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« L'entreprise de demain sera obligatoirement métissée »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 11.10.2005 | Gina de Rosa

La rencontre est souvent difficile entre l'entreprise et les jeunes issus de l'immigration. La «charte de la diversité» et des initiatives locales ont entamé leur rapprochement. Mais, pour connaître l'impact de ces dispositifs, il faut pouvoir mesurer leur application concrète au sein de l'entreprise.

E & C : Dans votre livre*, vous développez l'idée d'une responsabilité partagée entre les jeunes issus de l'immigration et les entreprises concernant leurs difficultés à se rencontrer. Quels seraient les «torts» de chacun ?

Jamila Ysati : Il ne s'agit pas de désigner un bouc émissaire, mais pour avoir écouté et observé les uns et les autres, il me semble que la responsabilité de la non-rencontre se partage entre l'entreprise, le système éducatif, l'Etat, les Beurs, les Blacks eux-mêmes et les médias. La relation entre Beurs, Blacks et entreprise a été abondamment abordée ces dernières années, mais le plus souvent par le biais de la lutte contre la discrimination. Certains de ces débats n'ont pas amélioré cette relation, et pour cause, ils ont été menés à l'insu des principaux intéressés, culpabilisant les uns et victimisant les autres, et donc catastrophiques pour tous.

E & C : Pensez-vous que la «charte de la diversité» signée par de grandes entreprises va favoriser cette relation ?

J. Y. : La charte de la diversité est une excellente initiative. Elle est actuellement testée par de grandes entreprises, mais il serait bon que les PME, qui emploient en France 75 % des salariés, soient davantage concernées par cette question. Plusieurs initiatives ont été menées ces deux dernières années, à l'instar de celle d'Alliances, à Lille. Cette association a mis en place un «guide de la diversité» et une «convention partenariat diversité». Grâce à son réseau d'entreprises, Alliances a instauré des systèmes pour faciliter la rencontre avec celles-ci. Mis en place il y a cinq ans, cela a permis de créer une promotion de 15 jeunes, bac + 4 et + 5, ayant plus de six mois de chômage derrière eux, et de leur proposer un «contrat d'insertion professionnelle». Ce dispositif vise à compenser leur absence de réseaux dans le monde professionnel, et le handicap lié, notamment, à la différence de culture et de patronyme. Ces jeunes suivent des formations et passent des entretiens fictifs d'embauche. Leur entrée dans le monde du travail, par le biais de stages, de CDD ou de CDI, est ainsi facilitée. Alliances affiche, aujourd'hui, un taux de réussite de 80 %. Les missions locales font un travail très important également pour aider les jeunes en difficulté.

E & C : Comment sensibiliser les PME à s'ouvrir à la diversité ?

J. Y. : Il est vrai que la PME ne se donne pas toujours les moyens de diversifier ses habitudes de recrutement. Parfois, elle ne prend même pas le temps de recevoir des candidats «atypiques». Pour autant, dans cette idée de responsabilité partagée, les jeunes doivent également aller à la rencontre des dirigeants de PME et ne pas se résigner. Cela étant, les entreprises de demain seront obligatoirement métissées, et il appartient à chacune d'elles de trouver des solutions selon son environnement et de s'approprier elle-même la problématique. Il me paraît important, en outre, de former les chefs d'entreprise et les recruteurs à la diversité. Le CJD (Centre des jeunes dirigeants) a déjà montré la voie. Une expérience, menée à Grenoble, mérite d'être mentionnée : un recruteur se met dans la peau d'un candidat discriminé en face de chefs d'entreprise. Il y a ensuite une réflexion collective sur ce qui se produit à cette occasion. Cette expérience de psychodrame, élaborée avec l'Observatoire des discriminations et territoires interculturels de la ville, a permis à 250 jeunes dirigeants d'y participer. On peut également envisager de faire conseiller les entreprises par des cabinets spécialisés. Des aides financières ou fiscales exceptionnelles peuvent être proposées pour celles qui signeraient des contrats avec des jeunes Blacks ou Beurs en cours de formation prenant l'engagement d'aller jusqu'au bout d'une formation difficile et valorisante. On peut également proposer que l'attribution de l'argent public (par exemple pour les pôles de compétitivité) prenne en compte, parmi ses critères, des politiques de recrutement diversifiées.

E & C : Quelles sont, d'après vous, les mesures les plus incitatives pour que les entreprises recrutent des blacks et des beurs pour des postes à responsabilité ?

J. Y. : Tout d'abord, je pense que l'opinion publique a bien intégré l'idée que blacks et beurs d'aujourd'hui ne sont pas les immigrés de la première génération en moins vieux, pour paraphraser une pensée d'Hervé Serieyx, à qui revient l'idée de ce livre. Leur donner leur chance, c'est en faire d'excellents collaborateurs. Mais, pour véritablement progresser, il est nécessaire de mesurer. S'il était possible de faire une réelle évaluation du nombre de jeunes issus de l'immigration dans les effectifs de l'entreprise et des postes qu'ils occupent, cela pourrait constituer un critère supplémentaire dans les rapports de responsabilité sociale des entreprises. Cela n'est pas interdit par la loi, et il faut s'affranchir des fausses pudeurs et de la langue de bois qui, au nom de l'égalité républicaine, conduisent à ne pas vouloir reconnaître des différences et à refuser d'en comprendre les incidences, ce qui finit par produire du racisme à l'envers. Tout cela est possible si les uns et les autres contribuaient à faire aboutir l'excellente suggestion d'Azouz Begag, celle de « banaliser la diversité dans la société française ».

* Beurs, blacks et entreprise, éd. Eyrolles, septembre 2005.

Jeunes et entreprise, des noces ambiguës, Hervé Sérieyx, éd. d'Organisation, 2005.

Le ghetto français, Eric Maurin, Le Seuil, 2004.

Sociologie de l'immigration, Andrea Rea et Maryse Tripier, La Découverte, 2003.

parcours

Jamila Ysati est docteure en sciences de l'information et de la communication et membre du Centre de recherche sur les médiations (Crem) à l'université Paul-Verlaine à Metz.

Enseignante à l'université, elle poursuit, par ailleurs, une carrière professionnelle de cadre en entreprise.

Auteur

  • Gina de Rosa