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« La main-d'oeuvre étrangère qualifiée est très convoitée »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 04.10.2005 | Violette Queuniet

Recruter de la main-d'oeuvre qualifiée par la voie de l'immigration fait l'objet de politiques actives au sein des pays de l'OCDE. En Europe, la tendance au vieillissement des populations devrait accentuer cette orientation à court terme.

E & C : Quelles sont les politiques des grands pays en matière de recours à la main-d'oeuvre immigrée qualifiée ?

Jean-Pierre Garson : Plusieurs pays ont adopté des mesures pour faciliter le recrutement de cette population. Il y a les politiques migratoires sélectives adoptées par l'Australie, le Canada, et la Nouvelle-Zélande. Elles ont pour but de recruter en fonction des besoins de l'économie. Leur aspect original est d'attribuer des points aux immigrés en fonction de leur expérience professionnelle, de leurs diplômes, de leur âge... Il est important de souligner qu'il s'agit d'une stratégie d'immigration permanente : les migrants sont destinés à rester dans le pays d'accueil et ils viennent, le plus souvent, avec leur famille. Le système britannique se caractérise par le rôle très important joué par les employeurs et une extrême souplesse pour répondre aux besoins du marché. Le Home Office - principal ministère chargé de l'immigration - établit une liste des secteurs connaissant des pénuries (NTIC, infirmiers, etc.). En fonction de cette liste, le recrutement sera plus ou moins ouvert et les formalités accélérées. Alors qu'au Canada, il faut six mois en moyenne pour recruter, le dossier peut être bouclé en une semaine au Royaume-Uni. Dès qu'il y a moins de besoins, la liste est fermée. En France, contrairement à ce que l'on croit, il est toujours possible de recruter des étrangers avec une autorisation de la DDTEFP, qui vérifie que le poste ne peut pas être occupé par un demandeur d'emploi français ou un étranger en situation régulière. C'est donc un peu le même système qu'au Royaume-Uni, mais en plus réduit. Le système américain est à part, puisqu'il repose sur la préférence familiale. Cependant, il existe une catégorie spéciale d'immigrants permanents (82 000 en 2003) sélectionnés annuellement selon leur qualification.

E & C : Existe-t-il une concurrence entre pays pour recourir à la main-d'oeuvre qualifiée ?

J.-P. G. : Oui. Dans le domaine de la migration qualifiée, la concurrence est très forte entre les pays de l'OCDE et, notamment, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, la Suède, le Japon, l'Australie et le Canada. Rappelons que l'Allemagne a conçu un programme «green card» spécialement pour les informaticiens et en a recruté 15 000 depuis août 2000. Les Australiens s'inquiètent de l'élargissement de l'Europe à 25, car ils considèrent que les gens qualifiés des pays de l'Europe centrale et orientale seront davantage tentés d'aller travailler en Europe de l'Ouest, en raison de sa proximité, qu'en Australie. C'est pourquoi ils viennent de lancer un programme visant à recruter 20 000 travailleurs de qualifications diverses en Europe. Pour répondre à la demande, certains pays forment de la main-d'oeuvre à des fins d'émigration. En Inde, aux Philippines, il existe des écoles spécialisées qui forment des informaticiens et/ou des infirmières à cet effet. Les informaticiens peuvent aussi travailler dans leur pays d'origine en sous-traitance pour des firmes étrangères.

La concurrence entre les pays de l'OCDE commence très en amont, chacun s'efforçant d'attirer les étudiants étrangers. Ces derniers sont considérés comme les atouts de demain, parce qu'ils représentent une future main-d'oeuvre de qualité et qu'ils peuvent, par la suite, jouer le rôle d'ambassadeurs des pays d'accueil dans leur pays ou région d'origine. Le Royaume-Uni, l'Australie, bien sûr, mais aussi la France, l'Allemagne, la Suisse, le Japon et le Canada ont accru leur recrutement d'étudiants étrangers. Plus ceux-ci accompliront la plus grande part de leurs études dans le pays d'accueil, plus cela facilitera ensuite leur connaissance de la société et du marché du travail.

E & C : La baisse démographique va-t-elle conduire les employeurs européens à recourir davantage à la main-d'oeuvre immigrée ?

J.-P. G. : A court terme, oui, car la pression des employeurs est forte. Elle l'a toujours été. Il suffit de regarder la législation française sur l'immigration, c'est aussi l'histoire de multiples dérogations. Si des cohortes arrivent à l'âge de la retraite, il est possible que, dans certains secteurs connaissant des pénuries, il y ait recours à plus d'immigration. Mais, sur le moyen terme, cela peut se discuter. Il ne faut pas négliger la mobilisation des ressources internes, par exemple les femmes dans les pays où leur taux de participation au marché du travail est faible (Allemagne, Autriche, Suisse), et les jeunes (France, Belgique, Allemagne) en quête d'emploi. Il y a donc des réserves et, surtout, il faut aussi garder la main-d'oeuvre qualifiée, toutes nationalités confondues. Il ne faut pas oublier que le migrant a lui-même sa propre stratégie. Recourir à l'immigration sans savoir si les gens vont rester signifie qu'il faut aussi transformer les politiques migratoires, accorder un statut plus stable aux migrants et renforcer la coopération avec les pays d'origine.

Le responsable des ressources humaines, Avraham B. Yehoshua, Calmann-Lévy, 2005.

Les années anglaises, Elias Canetti, Albin-Michel, 2005.

Danube, Claudio Magris, éd. L'Arpenteur, 1990.

parcours

Economiste de formation, Jean-Pierre Garson a commencé sa carrière dans le secteur privé, puis a rejoint l'université de Paris-11 (Orsay) où il a enseigné l'économie et la gestion. Il travaille, depuis 1988, à l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), où il est chef de la division des économies non membres et des migrations internationales.

Spécialiste des politiques migratoires, il a dirigé récemment deux ouvrages sur le sujet : Migration et emploi : les accords bilatéraux à la croisée des chemins (OCDE, 2004) et Tendances des migrations internationales (OCDE, 2005).

Auteur

  • Violette Queuniet