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Le blues des gestionnaires

Dossier | publié le : 27.09.2005 | Marie-Pierre Vega

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Le blues des gestionnaires

Crédit photo Marie-Pierre Vega

Officiellement, les Opca se disent tous en ordre de marche et prêts à mettre en oeuvre les accords négociés par les branches. Sur le terrain, ils cherchent comment faire davantage à moyens constants. Et, sous couvert d'anonymat, ils fustigent des textes réglementaires et conventionnels plus ou moins «bâclés».

« La réforme, pour nous, c'est d'abord des emmerdements, un gâchis phénoménal d'intelligence et une dépense d'énergie énorme », tempête un directeur d'Opca. « Pour rester politiquement correct, je dirais que la réforme laisse planer des zones d'ombre. Sinon, je le dis tout net : la réforme est totalement bâclée », maugrée un autre. « Les branches que nous couvrons ne nous ont pas suffisamment associés aux négociations, qui se sont déroulées en circuit fermé », proteste un autre directeur.

Renvoi vers les branches

« C'est dommage, car le point de vue des négociateurs n'est pas forcément celui des administrateurs et de la direction de l'Opca. Pour moi, à cet égard, la réforme nous a porté un coup grave. Les entreprises adhérentes ne cessent de nous interpeller : nous ne pouvons que les renvoyer vers les branches, car nous ne pouvons pas appliquer des accords qui ne sont pas allés au bout de la démarche. » Ces directeurs d'Opca ne mâchent pas leurs mots. Mais uniquement sous couvert d'anonymat. Nombre de patrons d'Opca interrogés n'ont pas accepté de voir reproduits nominativement leurs propos les plus fermes et les plus critiques à l'égard de la réforme et de ses déclinaisons dans les accords de branche. Les critiques à l'égard des branches sont vives. Mais les pressions politiques de celles-ci le sont tout autant, rappellent, en «off», les directeurs d'Opca.

D'autres directeurs d'Opca, qui ont accepté de témoigner officiellement, ne cachent pas pour autant toute inquiétude. « On nous a collé des missions supplémentaires, mais pas de moyens supplémentaires pour fonctionner », regrette Bruno Couillard, directeur de Plastifaf, l'Opca de la plasturgie. « Nous sommes au point sur la connaissance des dispositifs dans leurs grandes lignes. Reste l'ajustement », concède Didier Antoniol, directeur de l'Agefos-PME Paca.

Gagner en expérience

« L'appropriation sera terminée quand nous aurons traité un certain nombre de cas, car c'est par l'expérience que la compétence arrive. Les conseillers se réunissent ainsi chaque semaine pour traiter de ce qui sort de la règle ordinaire du contrat ou de la période de professionnalisation. Nous nous faisons notre jurisprudence et nous remontons au paritaire les cas imprévus. D'ores et déjà, on constate que la réforme est chronophage. Avant, un conseiller qui rendait visite à l'un de nos 3 000 adhérents de plus de dix salariés passait une heure à discuter du plan de formation. Aujourd'hui, l'entretien dure trois heures, car les entreprises s'interrogent beaucoup. Comment allons-nous faire avec les 16 000 adhérents de moins de dix salariés ? Comment leur offrir une qualité de prestation identique sans augmenter les frais de gestion ? »

Comprendre la réforme

Opcassur, l'Opca des métiers de l'assurance, reconnaît « ne pas encore bien se rendre compte de toute la complexité. Nous en sommes encore à chercher à comprendre la réforme, car tout n'est pas stabilisé sur le plan législatif et réglementaire, notamment sur le DIF CDD », regrette son directeur, Georges-Eric Leroux. « La difficulté de cette réforme, c'est la gestion, ajoute son président, Francis André. Le DIF est à gérer sur six ans, nous n'en avons pas l'habitude. Les entreprises, elles, ne savent pas faire non plus et n'en ont pas forcément envie. » Et, finalement, tous deux de lâcher : « Dès que l'on creuse, on rencontre vite les limites du système. »

« Le système a été critiqué parce que nous ne sommes pas allés vite. Mais ça prend du temps de décliner la réforme dans des accords de branche, notamment quand ils introduisent des dispositions dérogatoires », tempère Guy Garnier, directeur du Forco, l'Opca qui gère les contributions des entreprises de quinze branches du commerce et de la distribution. « Certes, ce serait prétentieux de dire qu'aujourd'hui, nous avons une maîtrise totale des dispositifs. Il reste difficile d'obtenir des services de l'Etat les réponses réglementaires qui nous manquent pour traiter les 20 % de cas particuliers qui se présentent à nous. Mais, dans l'ensemble, le système roule et les Opca ont remarquablement bien fait leur travail. »

Autre donnée du problème : le surcroît de travail et la complexité accrue des règles du jeu génèrent beaucoup d'inquiétudes chez les salariés d'Opca.

Complications

« Cela devient très compliqué, on ne sait plus où donner de la tête, et le risque existe de voir certains de nos salariés jeter l'éponge et aller voir ailleurs », avoue un directeur.

« Tout le monde ne s'y est pas mis avec le même enthousiasme et la même conscience professionnelle, reconnaît Daniel Soidet, directeur du Fafsab, l'Opca des artisans du bâtiment. Nous demandons beaucoup, notamment aux responsables d'encadrement. Certaines le vivent bien, d'autres moins. »

Pour Jacques Solovieff, du Faf-TT (travail temporaire), « si la réforme a été digérée, des bouleversements vont encore survenir avec la régionalisation et les nouveaux cas de recours au travail temporaire prévus par la loi de cohésion sociale. Le personnel est inquiet, car il doit modifier sa façon de travailler et accroître son niveau de compétences. Nous sommes dans une phase de transition où il faut accepter une baisse temporaire des performances. »

Auteur

  • Marie-Pierre Vega