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Enquête

Une loi pour limiter les mauvaises conduites sociales

Enquête | publié le : 13.09.2005 | Marie-Pierre Vega

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Une loi pour limiter les mauvaises conduites sociales

Crédit photo Marie-Pierre Vega

Désormais, une loi assimile les conducteurs routiers étrangers en cabotage sur le territoire français à des salariés détachés, assujettis aux mêmes dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles que leurs 400 000 confrères français.

C'est dans le projet de loi sur les PME, adopté le 13 juillet dernier, que sont venus se glisser cinq amendements visant à combattre une concurrence des chauffeurs routiers européens fondée sur le dumping social. Les principales mesures concernent l'encadrement du cabotage routier, un système qui autorise une entreprise d'un pays membre de l'Union européenne, à l'exception des nouveaux entrants pendant une période maximale de cinq ans (1), à effectuer des transports intérieurs dans un autre pays sur une période temporaire.

Réponse au manque de règles

Jusqu'alors, cette pratique, organisée par un règlement européen, n'était pas encadrée par la loi française, en dépit de deux tentatives, l'une annulée, l'autre suspendue par le Conseil d'Etat. « Or, le règlement européen ne prévoit ni durée maximale de présence du véhicule sur le territoire national, ni document de contrôle, ni sanction, explique Françoise Antiniac, déléguée aux affaires européennes de l'Aftri (Association française des transports routiers internationaux). Pour ce qui est du droit social, une directive européenne oblige, a priori, le transporteur étranger à appliquer les dispositions françaises. »

Mais, dans les faits, les transporteurs européens appliquent à leurs salariés le droit du pays d'origine, moins-disant que la loi française. D'où les revendications portées par les fédérations patronales devant le gouvernement.

Fiscalité supérieure à la moyenne européenne

Selon la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), les coûts sociaux des transporteurs français sont jusqu'à quatre fois plus élevés. Elle dénonce aussi une fiscalité française « nettement supérieure à la moyenne européenne », alors que la marge nette de ses adhérents n'était, selon elle, que de 1 % en 2003. La situation se serait aggravée, depuis mai 2003, à la suite d'un arrêté ministériel autorisant les locations transfrontalières, c'est-à-dire la location d'un véhicule avec un chauffeur étranger pour tracter un semi-remorque français sur le territoire hexagonal.

Loi-cadre pour le cabotage

Cette pratique est désormais interdite par la loi du 13 juillet. Le texte encadre également le cabotage, tant sur le plan juridique que social. Tout d'abord, la durée de circulation d'un véhicule qui cabote en France ne pourra excéder 30 jours consécutifs et 45 jours cumulés sur une période d'un an. Le cabotage est défini comme une activité ni habituelle ou régulière, ni exercée à partir d'infrastructures ou locaux situés sur le sol français.

Mêmes règles que les conducteurs français

Enfin, la loi assimile les conducteurs en cabotage à des salariés détachés, dès lors qu'ils exercent leur activité durant une période de plus de sept jours. Traduction : le conducteur bénéficiera des mêmes dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles que ses confrères français en matière de rémunération, durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés, règles relatives à la santé, à la sécurité, à l'hygiène au travail, surveillance médicale et exercice du droit de grève. Il sera également affilié à un régime de sécurité sociale spécifique. Enfin, le cabotage illégal ou irrégulier devient un délit. Chacune de ces mesures doit donner lieu à un décret d'application qui établira les modalités de contrôle.

Alors encore ministre des Transports, Gilles de Robien avait affirmé, en mai dernier, que 30 contrôleurs supplémentaires avaient été recrutés pour porter le total à 630. « Cela ne changera rien, affirme Dominique Cornil, responsable de la branche transport routier de marchandises à la Fédération CGT des transports. Les moyens de contrôle restent trop faibles. Les études montrent qu'une entreprise de transport routier se fait contrôler, en moyenne, tous les huit ans. »

Et Gérard Apruzzese, secrétaire général de la fédération FO Transport, ajoute : « Les sanctions sont quasi nulles par rapport aux marges dégagées dans les opérations de cabotage. » Côté organisations patronales, seule la FNTR, qui avait suggéré ces mesures au ministère précédent, applaudit des deux mains.

Nécessité d'un règlement européen

La loi suscite moins d'enthousiasme chez TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France). « C'est une mesure cosmétique, le système sera incontrôlable, estime Stéphane Levesque, délégué aux activités routières. Nous réclamons un règlement européen qui réduise les écarts entre les pays en introduisant une flexibilité qui permette de restaurer la compétitivité, comme, par exemple, la directive sur le temps de travail transposée récemment dans le droit français. Au plan national, il faut réfléchir à une législation adaptée au caractère mobile de nos salariés et à des allègements de charges, notamment sur les heures supplémentaires. »

Harmonisation des règles du jeu

L'Aftri préconise aussi un encadrement du cabotage par un règlement européen plus précis, qui harmoniserait les règles du jeu entre tous les pays. Elle estime que la loi du 13 juillet « introduit et fige un système. Trente jours autorisés, ça permet déjà de ratisser une bonne partie du marché national. Or, c'est sur celui-ci que les transporteurs français se recentrent pour faire face aux pertes enregistrées sur le marché international, souligne Françoise Antiniac. Quant au détachement, il suppose que le transporteur fasse les déclarations nécessaires auprès des administrations françaises. On peut aussi présager des problèmes de langue lors des contrôles. »

Faux débat

Pour les syndicats, le cabotage est un faux débat. « Les entreprises françaises dénoncent ce qu'elles pratiquent elles-mêmes. Par exemple, elles organisent un transport Varsovie-Paris avec des salariés polonais qu'elles utilisent quelque temps sur le sol français pour faire du cabotage avant de les renvoyer dans leur pays. C'est monnaie courante, avec la Pologne comme avec l'ensemble des pays européens », explique Gérard Apruzzese.

Dominique Cornil, renchérit : « Les transporteurs français sont responsables de la situation dans laquelle ils sont aujourd'hui. Depuis des années, ils se mangent entre eux en tirant les coûts sociaux vers le bas et les temps de travail vers le haut pour pratiquer des prix moins élevés. » « Les gros transporteurs routiers sont de véritables laboratoires d'idées sociales », ironise Gérard Apruzzese.

(1) Sauf Malte, Chypre et la Slovénie, également autorisés à pratiquer le cabotage.

Les Polonais soignent leur paie à Strasbourg

Les grands chantiers de Strasbourg aiment les travailleurs de l'Est. Déjà intervenus dans la construction du nouveau Parlement européen par sous-traitants interposés, on les retrouve dans la capitale alsacienne pour participer à la réalisation du nouvel hôpital civil, projet hospitalier le plus important de France depuis l'ouverture du site Georges-Pompidou à Paris, avec ses 230 millions d'euros de travaux.

Une trentaine de Polonais, sur un total de 700 ouvriers sur le chantier, s'active dans le cadre de sous-traitances multiples pour des sociétés ouest-européennes.

Pour quel salaire ? Certains autres intervenants du chantier ont avancé aux Dernières Nouvelles d'Alsace la fourchette de 1,80 à 2,70 euros de l'heure. Pas du tout, ont alors rétorqué plusieurs donneurs d'ordres. Selon l'un d'eux, basé en Allemagne, les Polonais gagnent 7,75 euros net.

Une société transalpine fait savoir qu'ils sont payés comme en Italie. De fait, l'inspection du travail, qui a vérifié les conditions d'embauche, n'a accordé que des avis favorables. Les intéressés affichent leur bonheur de gagner trois à quatre fois plus que dans leur pays et de pouvoir s'échapper, l'espace de quelques mois, de leur région d'origine où le taux de chômage flirte ou dépasse les 20 %.

Même si certains rangent dans leur poche leur diplôme d'ingénieur pour endosser le bleu de chauffe du poseur de baies vitrées.

Auteur

  • Marie-Pierre Vega