logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Les remedes au dumping social

Enquête | publié le : 13.09.2005 | Anne Bariet

Image

Les remedes au dumping social

Crédit photo Anne Bariet

En France, malgré la suspension de la directive Bolkestein sur la libéralisation des services, le risque de dumping salarial existe. La différence de traitement entre salariés français et étrangers détachés apparaît dans plusieurs secteurs d'activité. Le gouvernement s'apprête à publier un décret renforçant les obligations de contrôle des donneurs d'ordres à l'égard de leurs sous-traitants étrangers.

Il aura fallu huit jours de grève de la faim aux 13 électriciens polonais employés aux Chantiers navals de Saint-Nazaire (Alstom Marine) pour obtenir le paiement de leur salaire, quelque 30 000 euros. Et c'est la société Gestal, donneuse d'ordres du sous-traitant polonais défaillant Kliper, qui a mis la main à la poche, le 3 août dernier. Déjà, en septembre 2003, les chantiers avaient défrayé la chronique lorsque des salariés indiens, employés par Avco Marine, puis les ouvriers roumains, employés par Klas Impex, lui-même sous-traitant d'Avco, réclamaient leur dû, mettant en lumière les dérives de la sous-traitance en cascade : retard ou non-paiement des salaires, non-prise en compte des heures supplémentaires, patrons absents fuyant leurs responsabilités... L'affaire avait fait un tel scandale qu'Alstom avait rompu son contrat avec Avco, la société italienne qui avait remporté le contrat d'installation de l'air conditionné sur le Queen Mary II.

60 heures de travail hebdomadaires

En mai dernier, c'était au tour de Constructel, une société travaillant pour le compte de France Télécom, d'être placée sous les feux des projecteurs. Cette entreprise, filiale française d'une société portugaise Visabeira, employait une centaine de salariés sous contrat de travail portugais, rémunérés au salaire de leur pays pour 60 heures hebdomadaires.

Dans le monde du spectacle, le dumping social fait également recette. Fin février, le chef d'orchestre allemand Volker Hartung, qui avait fait jouer, en France, à bas prix, des musiciens d'Europe de l'Est, majoritairement des Bulgares, a été mis en examen pour «travail dissimulé».

Ouverture des frontières

La mise en sommeil de la directive Bolkestein n'a pas apaisé la crainte des Français. La peur du «plombier polonais» est toujours présente dans les esprits. L'externalisation, mise en place par les entreprises pour réduire les coûts de production, ne date pourtant pas d'hier. Mais, depuis mai 2004, avec l'ouverture des frontières, la sous-traitance confiée à des entreprises étrangères, notamment d'Europe de l'Est, a ravivé les tensions.

Certains professionnels étrangers, ouvriers du bâtiment, chauffeurs routiers, maritimes, artistes, ont l'avantage d'être à la fois tout aussi compétents et moins-disants financièrement que leurs homologues français. Travailleurs indiens, grecs, roumains, portugais... qualifiés acceptent de venir sur des chantiers français. Car même moins bien payés que les salariés français, ils gagnent beaucoup plus que dans leur pays. D'où la fréquence croissante des dérives de dumping social. Dès lors, comment résister ?

Règles de droit social strictes

En France, le recours à la sous-traitance est pourtant strictement encadré. De fait, selon la directive européenne de 1996, tout prestataire de service doit appliquer les règles de droit social dans lequel il intervient, en l'occurrence le temps de travail, les repos obligatoires et le salaire minimum.

Les chiffres officiels de la Dilti (Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal) montrent que la présence de salariés étrangers en France reste limitée : 120 000 prestataires étrangers ont travaillé, en 2003, dans l'Hexagone. Sur cette base, le nombre de salariés détachés par ces sociétés est évalué à 125 000. Ils sont employés dans tous les secteurs d'activité, mais plus spécialement dans les métiers qui connaissent des «pénuries» de main-d'oeuvre : agriculture, transports, BTP, hôtels, cafés, restauration.

Patrons peu scrupuleux

Selon le ministère, les fraudes commises à l'occasion du détachement temporaire de travailleurs étrangers dans le cadre d'une prestation de service européenne ou internationale se multiplient. Plusieurs types d'infractions : non-déclaration des prestataires à l'Inspection du travail, fausse domiciliation, double détachement ou encore fausses missions temporaires... Des pratiques qui font le bonheur des patrons peu scrupuleux, qui disposent ainsi d'une main-d'oeuvre corvéable à merci. Mais des comportements qui pénalisent fortement les entreprises respectueuses de la loi, confrontées à une véritable concurrence déloyale.

Après avoir doublé les contrôles entre 2003 et 2004, le gouvernement est passé à la vitesse supérieure. La loi PME, votée le 13 juillet, tente d'apaiser les inquiétudes, en renforçant le dispositif juridique existant. Le texte crée un nouveau chapitre du Code du travail consacré au détachement transnational de travailleurs.

Autre innovation : les conducteurs routiers étrangers, en cabotage sur le territoire français, seront désormais assimilés à des salariés détachés soumis aux mêmes dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles que leurs confrères français (lire article p. 16). Une disposition longtemps revendiquée par la Fédération nationale des transports routiers (FNTR).

Plus de vigilance

Par ailleurs, le ministère du Travail s'apprête à publier un décret, probablement d'ici à la fin du mois, pour renforcer les obligations de contrôle des donneurs d'ordres à l'égard de leurs sous-traitants, afin que ces derniers soient bien enregistrés. Pour plus de vigilance, la vérification des documents légaux exigés par le Code du travail devient obligatoire tous les six mois jusqu'à la fin de l'exécution du contrat commercial (et non plus uniquement à la signature du contrat). Sous peine de se voir condamnés à la solidarité financière. En cas d'infraction, les donneurs d'ordres seront passibles de trois ans de prison maximum.

Faciliter les recours judiciaires

Le ministre délégué du Travail, Gérard Larcher, a également demandé aux partenaires sociaux de lui soumettre des propositions sur ce sujet. La CFTC demande, par exemple, que les recours judiciaires soient facilités en cas de non-paiement des salaires, comme c'est le cas, actuellement, pour la malfaçon : « Il faut donner la possibilité de retenir les éléments sociaux sur la facturation, indique Michel Coquillon, secrétaire général adjoint. Pour l'instant, les procédures sont trop lourdes et trop complexes pour parvenir à un tel résultat. »

Clauses de responsabilité sociale

La CGC préconise, de son côté, l'insertion de clauses de responsabilité sociale du donneur d'ordres dans les contrats commerciaux en cas de défaillance de l'entreprise sous-traitante. La centrale de Bernard Thibault, quant à elle, propose également que les salaires des salariés étrangers soit calqués sur les conventions collectives du secteur et non uniquement sur les minima légaux.

Côté entreprises, en revanche, le bilan est mince. Peu d'entre elles se sont dotées d'un code de bonne conduite. Le secteur du bâtiment, souvent épinglé pour ses mauvaises pratiques, pourrait, pourtant, jouer les pionniers. Les trois fédérations patronales, la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) peaufinent, actuellement, une charte, afin de «formaliser» leurs responsabilités à l'égard des sous-traitants : respect du droit, des règles de sécurité, d'hygiène, démarches à suivre auprès de l'administration du travail, recommandations vis-à-vis de contractants potentiels à prix trop bas...

Audits de conformité

A Saint-Nazaire, également, la vigilance est de rigueur. Pour éviter que la charte de progrès social (1), signée en 2003 par 130 entreprises, reste une « coquille vide », selon les termes de la CGT, la direction des chantiers prend plusieurs engagements. Concrètement, des audits de conformité vont être lancés, au quatrième trimestre, non seulement chez les sous-traitants de rang 1, mais aussi chez les prestataires de rangs 2 et 3, derniers échelons de la sous-traitance. Des promesses encourageantes mais, malheureusement, trop tardives pour les 13 ouvriers polonais rentrés au pays.

(1) Charte qui fixe les droits et les devoirs des prestataires, en termes d'emploi, d'accueil sur le site, de législation du travail, de formation professionnelle, d'hygiène-sécurité ou encore de conditions de travail... (Entreprise & Carrières, n° 663).

L'essentiel

1 Certains professionnels étrangers, ouvriers du bâtiment, chauffeurs routiers, maritimes, artistes ont l'avantage d'être à la fois tout aussi compétents et moins-disants financièrement que leurs homologues français.

2 En France, le recours à la sous-traitance est strictement encadré : tout prestataire de service doit appliquer les règles de droit social du pays dans lequel il intervient : temps de travail, repos obligatoire, salaire minimum.

3 Le ministère du Travail s'apprête à publier un décret pour renforcer les obligations des donneurs d'ordres à l'égard de leurs sous-traitants.

Auteur

  • Anne Bariet