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Réforme du marché du travail : un maigre bilan

Les Pratiques | Point fort | publié le : 06.09.2005 | marion leo, à Berlin

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Réforme du marché du travail : un maigre bilan

Crédit photo marion leo, à Berlin

La France a choisi, cet été, par décret, de sanctionner plus sévèrement les chômeurs qui refusent un emploi ou n'en recherchent pas assez activement. L'Allemagne s'est engagée encore plus nettement dans cette voie. Après huit mois, cette vaste réforme du marché du travail n'a, pour le moment, pas tenu ses promesses.

Alors que la France renforce les pouvoirs de sanction des Assedic et de l'ANPE (décret du 2 août 2005, relatif au «suivi de la recherche d'emploi»), l'Allemagne a choisi, depuis huit mois, de lutter contre son chômage endémique par une vaste réforme durcissant les conditions d'indemnisation, réduisant les allocations des chômeurs et renforçant le soutien à la recherche d'emploi.

Entré en vigueur au 1er janvier dernier, le quatrième volet de la réforme du marché allemand du travail, baptisée «Hartz IV» (du nom de son inspirateur, Peter Hartz, célèbre ex-DRH de Volkswagen), poursuit, en effet, un double objectif : aider (fördern) les chômeurs de longue durée à retrouver un emploi, mais aussi les forcer à mener des recherches plus actives en réduisant le montant de leurs prestations et en durcissant les sanctions en cas d'abus (lire encadré p. 27).

Cette réforme très impopulaire avait été qualifiée « d'historique » par le gouvernement de Gerhard Schröder. Mais, aujourd'hui, son premier bilan est encore maigre. Chômage record, coûts de l'inactivité en hausse, chaos administratif, les débuts difficiles de la réforme devraient bientôt faire un chômeur de plus : le chancelier Schröder est, en effet, donné battu par tous les sondages aux élections législatives anticipées, qui se tiendront le 18 septembre dans le pays.

Coûts supplémentaires

Première illusion : en dépit de la baisse des prestations chômage, la réforme n'a pas allégé le budget fédéral. Bien au contraire. « Elle nous coûtera, cette année, 8 milliards d'euros supplémentaires, confie un porte-parole du ministère allemand du Travail. L'explication est simple : nous avons beaucoup plus de bénéficiaires de l'aide chômage que prévu. » Soit un million de plus, affirme Der Spiegel. Selon l'hebdomadaire, le gouvernement avait tablé sur 3,4 millions de bénéficiaires. En avril, ils étaient déjà 4,4 millions. « La mauvaise situation économique explique en partie cette hausse », déclare avec prudence le porte-parole, qui sait qu'il ne s'agit que d'un facteur parmi d'autres. En ex-RDA, par exemple, de nombreux couples ont préféré divorcer pour ne pas être obligés de déclarer le revenu de leur conjoint(e).

Job centers paralysés

D'autre part, la fusion des allocations de chômage et de l'aide sociale (lire encadré p. 27) a eu des effets inattendus : « Les gens, qui n'osaient pas, avant, se rendre au bureau de l'assistance publique, éprouvent apparemment, aujourd'hui, moins de gêne et vont chercher leur argent auprès de l'Etat », explique Christian Ude, président des communes allemandes.

Deuxième problème majeur : si les chômeurs de longue durée ont bien vu leurs prestations réduites, leur prise en charge ne s'est, jusqu'à présent, guère améliorée. Car les job centers, créés par la réforme (lire p. 27), ont mis beaucoup de temps à se mettre en place. Gérés à la fois par les communes et les agences pour l'emploi (selon un compromis conclu entre le gouvernement et l'opposition conservatrice), ils souffrent de l'absence d'un partage clair des compétences. « Le bilan est assez effrayant. Les job centers semblent paralysés. Les couloirs sont souvent encore remplis de cartons. Les responsables n'assurent souvent que le transfert des prestations financières », critique Holger Schäfer, expert de l'institut de recherche économique IW, décrivant toutefois la réforme comme n'allant « pas dans la bonne direction ».

Le gouvernement estime, quant à lui, qu'il s'agit de problèmes provisoires, et assure que la réforme a déjà permis à près de 100 000 jeunes chômeurs de retrouver un emploi. « La réforme commence à faire son effet », a lancé, fin juillet, Wolfgang Clement, ministre allemand de l'Economie, lui aussi en campagne électorale.

Une réforme alliant la «carotte» et le «bâton»

- Réduction des prestations chômage

Pour inciter les chômeurs de longue durée à retrouver plus vite un emploi, la réforme «Hartz IV» a fusionné les allocations de chômage (un célibataire touchait à vie, jusqu'alors, 60 % de son dernier salaire net) et l'aide sociale (versée par les communes aux plus démunis).

Depuis le 1er janvier, toutes les personnes classées aptes à travailler, ex-ingénieurs comme ouvriers, touchent, après un an au chômage, un montant identique, payé par les contribuables : soit 345 euros par mois pour un célibataire en Allemagne «de l'Ouest» et 331 euros en ex-RDA, auxquels s'ajoutent le montant du loyer et celui du chauffage.

Point capital : ces chômeurs n'ont droit à cette allocation que s'ils ne disposent pas de revenus supplémentaires. Tout est pris en compte : salaire du conjoint, patrimoine immobilier, assurances vie...

- Durcissement des sanctions

Un chômeur de longue durée doit accepter toute offre de travail «raisonnable», même si elle ne correspond pas à sa formation, qu'elle exige un déplacement plus important qu'avant ou qu'elle est moins payée que les tarifs fixés par les conventions. Celui ou celle qui refuse une telle offre voit son aide chômage amputée de 100 euros pendant trois mois.

- Une meilleure prise en charge

Les chômeurs de longue durée ne sont plus pris en charge par les agences pour l'emploi, mais par des job centers modernes, gérés à la fois par les communes et par les agences pour l'emploi.

Au sein de ces nouvelles structures, un agent de placement n'est censé s'occuper que de 150 chômeurs, contre 400 auparavant. Pour les moins de 25 ans, le rapport est de 1 pour 75. En théorie.

Trois questions à Jürgen Wuttke

Jürgen Wuttke est responsable de la division marché du travail au sein de la fédération patronale allemande (BDA).

La réforme «Hartz IV» peut-elle aider à surmonter la pénurie de main-d'oeuvre qui sévit dans certaines branches en Allemagne ?

Dans le domaine des emplois hautement qualifiés, cette réforme n'aura pas d'influence. Elle s'adresse aux chômeurs qui, souvent, n'ont pas travaillé depuis des années. Il ne s'agit pas vraiment du personnel qualifié dont les entreprises ont besoin. Mais, en revanche, dans le secteur des emplois peu qualifiés, elle devrait jouer un rôle important. Par exemple, l'année passée, l'Allemagne a fait venir environ 320 000 travailleurs saisonniers d'Europe de l'Est pour les récoltes. Il est inadmissible que les chômeurs allemands ne soient pas prêts à accepter ces emplois. Sur ce point, la réforme devrait avoir un impact.

Le premier bilan de «Hartz IV» ne semble pas brillant.

Cette réforme était indispensable et elle offre un bon mélange entre les aspects contraignants et les mesures de soutien. Mais elle n'a pas encore vraiment démarré. Les job centers, censés s'occuper du placement de ces chômeurs, n'ont pas pu réellement commencer leur travail. Car le partage des responsabilités entre les communes et les agences pour l'emploi, qui assurent leur gestion, n'est pas clairement défini.

Quelle est votre solution ?

Il faut revoir cette structure, donner plus de pouvoir aux communes, qui sont les seules à pouvoir gérer les problèmes privés dont souffrent souvent les chômeurs de longue durée, comme l'alcoolisme, le surendettement, la charge des enfants... Je reste optimiste. Une fois ces problèmes d'organisation réglés, la réforme devrait faire son effet.

L'essentiel

1 La «réforme Hartz», du nom de l'ancien DRH de Volkswagen, a largement modifié la situation des demandeurs d'emploi allemands.

2 Réduction des allocations chômage, sanctions en cas de refus d'un poste et aide accrue à la recherche d'emploi... Cette réforme très impopulaire est mise en oeuvre depuis huit mois.

3 Le bilan est maigre : le régime d'indemnisation du chômage n'a pas fait d'économies, et les job centers, censés aider les chômeurs, pâtissent de leur double gestion, nationale et communale.

Auteur

  • marion leo, à Berlin