logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

La guerre des talents fait rage

Enquête | publié le : 06.09.2005 | C. L.

Image

La guerre des talents fait rage

Crédit photo C. L.

Dans une économie en plein boom, les entreprises étrangères s'arrachent les candidats expérimentés, denrées rares sur le marché du travail chinois. Au programme : turn-over à deux chiffres, chasses en série et délais de décision obligatoirement raccourcis.

Avec une population active de plus de 800 millions de personnes, la Chine a de quoi séduire. Mais voilà, cette dernière est largement peu qualifiée. Et pour cause ! Plus de la moitié travaille encore dans le secteur agricole, quand 28 % sont dans l'industrie et 22 % dans les services. « De fait, le marché est particulièrement tendu, notamment à Shanghai et ses environs immédiats tels que Suzhou et, depuis quelque temps, à Pékin », explique Thierry Lacarne, DRH Asie d'Areva, groupe français fortement présent en Chine au travers de trois filiales (Framatome-ANP, Areva T & D et FCI) réunissant 2 800 salariés, dont 24 % d'ingénieurs et cadres.

Recruter pour deux ou trois ans

« Il faut accepter de ne recruter peut-être que pour deux-trois ans, signale Sabine de Villoutreys, DRH d'Arkema, la branche chimie de Total comptant 660 salariés et six usines en Chine. Ici, les candidats ont le choix. Les entreprises doivent véritablement les séduire ; d'autant plus que la concurrence fait rage entre entreprises étrangères, mais aussi entre entreprises étrangères et chinoises. Depuis peu, ces dernières ont un développement international, très attrayant pour la main-d'oeuvre locale. »

Du coup, le turn-over va bon train, et les « job hoppers, c'est-à-dire ceux qui sautent de poste en poste, sont légion », confirme Thierry Lacarne. Et il n'est pas uniquement question d'appât du gain.

Changer souvent de poste

« Les Chinois ont un autre rapport au temps. Selon eux, il faut changer souvent de poste en début de carrière pour s'enrichir au contact de diverses sociétés », précise Sabine de Villoutreys. A cela s'ajoute, selon Nelly Biche de Bere, Pdg de la marque de bijoux et de vêtements éponyme, installée à Shanghai depuis deux ans (70 salariés), une autre approche de l'engagement : « Pour eux, un contrat n'est pas une fin en soi, rien n'est jamais clos. »

Et puis, « la plupart des Chinois n'ont pas la patience d'attendre. Je passe mon temps à expliquer à nos collaborateurs que, pour réussir, il faut apprendre et donc rester plusieurs années pour progresser », commente Jean Laporte, career development à la direction du service du personnel Asia Pacifique de Michelin.

Un turn-over de 25 %

On évoque, ainsi, un turn-over dépassant les 25 % dans les grandes villes, alors qu'il plafonne à 6 % en Europe. Les entreprises françaises ne sont donc pas épargnées. Le turn-over chez Danone China (27 000 salariés dans le pays), s'il est inférieur à la moyenne locale, culmine toutefois à 13 %. Même Michelin, avec 5 000 salariés et une centaine de recrutements par an dans le pays, est confronté à un turn-over, certes inférieur à 10 %, mais qui reste inhabituel pour cette entreprise.

Pénuries

La chasse aux talents est donc devenu un sport national, surtout sur les postes frappés de pénurie. En ligne de mire : les managers. « Pendant toute la révolution culturelle (1966-1972), la Chine n'a produit aucun manager. Il y a donc, d'un côté, des seniors qui sont de bons experts dans leur domaine, mais ignorants des questions du management ; et, de l'autre, des jeunes âgés de 30 ans et moins, très motivés mais pas encore assez expérimentés pour piloter une équipe », décrit le représentant local d'une société française de 570 salariés en Chine, dont plus d'une centaine d'ingénieurs et cadres.

Autres professionnels qui manquent à l'appel : les spécialistes des achats, du marketing, de la qualité et « tous les métiers des relations publiques où l'on exige un bilinguisme chinois/ anglais. Ce qui n'est pas si fréquent », ajoute Eric Tarchoune. A ces fonctions s'ajoutent celles, plus nouvelles dans le pays, « liées à la grande distribution ou aux ressources humaines », ajoute Pierre Deheunynck, vice-président développement hommes et organisation de Danone.

Gentlemen agreements

Cette course aux talents n'est pas sans conséquences pour les ressources humaines d'une entreprise. En effet, il est fréquent qu'un manager débauché entraîne avec lui son équipe. « On peut envisager des gentlemen agreements avec nos homologues, avance Sabine de Villoutreys. Cela permet de limiter certains excès dans un contexte de féroce compétition. » « Ces ententes existent, par exemple, entre Auchan et Carrefour, signale Eric Tarchoune. Mais ces pratiques sont encore marginales. »

Il ne reste plus qu'à se protéger. En l'occurrence, à l'aide de clauses de non-concurrence ou de dédit-formation, qui oblige un salarié à rembourser les frais engagés pour sa formation s'il démissionne avant un certain délai. « Elles deviennent quasi systématiques dans les contrats de travail », ajoute ce dernier. Le corollaire à cet environnement concurrentiel ? L'exigence de réactivité. En la matière, il semble que les Français ont des progrès à faire. « Devant un candidat jugé compétent pour un poste, l'entreprise a une semaine pour réagir, pas plus. Quel est le risque de temporiser ? Perdre le candidat qui, entre-temps, aura saisi une autre proposition, et devoir en recruter un autre, moins bon et souvent plus cher », prévient Eric Tarchoune.

Flambée des salaires

Pour combler autant de manques, il faudra une dizaine d'années, selon Eric Tarchoune. En attendant, les salaires flambent. « Il est courant que les entreprises offrent, a minima, 25 % d'augmentation pour attirer un candidat. D'autres grandes sociétés, comme, récemment, un géant du microprocesseur, n'a pas hésité à doubler le salaire d'un finance manager pour le garder encore quelque temps », raconte Thierry Lacarne, ajoutant que, pour certains postes de manager, l'avantage différentiel de coût tend à se réduire car les aspirations matérielles ne sont pas éloignées de celles des expatriés.

Rémunération de la performance

Pour autant, de nombreuses entreprises françaises préfèrent attendre que les collaborateurs fassent leurs preuves pour aligner les zéros. « La politique de Michelin est de s'aligner sur le marché. Nous sommes dans la moyenne des entreprises étrangères », convient Jean Laporte. Même approche chez Arkema et chez Danone, qui préfèrent rémunérer la performance, une fois en poste. Reste que la concurrence est sévère, surtout face aux entreprises américaines qui n'hésitent pas à jouer la surenchère.

Auteur

  • C. L.