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Le travail décent : une question de survie pour notre société

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 12.07.2005 | Violette Queuniet

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Le travail décent : une question de survie pour notre société

Crédit photo Violette Queuniet

La valeur travail est reconnue par les différentes traditions philosophiques, spirituelles et religieuses. Consultées par l'Organisation internationale du travail pour étayer sa stratégie du «travail décent», elles peuvent contribuer à l'instauration de meilleures pratiques.

E & C : L'Organisation internationale du travail (OIT) a adopté un agenda pour le travail décent. Que recouvre cette notion et quel est l'objectif de l'agenda ?

D. P. : De même que le développement durable - qui, après son lancement, a mis dix ans à s'imposer - est un véritable objectif à poursuivre, un second objectif est de donner un travail décent à tout homme ou toute femme qui est au monde. C'est vraiment une question de survie de notre société : les hommes et les femmes de notre temps ne peuvent pas continuer à être laissés de côté, même s'ils ont des miettes pour leur permettre de survivre, car participer à la création commune est quelque chose de l'ordre de l'être de l'homme. Du travail décent pour du développement durable, tel est l'objectif que nous voulons promouvoir pour l'agenda général du développement qui, lui, n'évoque la croissance qu'en termes financiers et en termes de richesse, ce qui est tout à fait insuffisant.

Un plancher de décence universelle a été déterminé dans notre «Déclaration des principes et droits fondamentaux de l'homme au travail» de 1998. Elle porte sur quatre points : liberté d'association et de négociation collective ; élimination du travail forcé, qui concerne encore plus de 12 millions de personnes au monde ; élimination du travail des enfants (plus de 100 millions sont concernés) ; élimination de toute discrimination au travail. Sur ce plancher de décence, nous construisons selon quatre axes : l'emploi, le respect de la Déclaration et des normes, la sécurité et la santé, le dialogue tripartite.

C'est une dynamique permanente, lancée en 1999 par notre directeur général, Juan Somavia, et nous verrons, en 2009, si nous avons réussi à faire progresser le travail décent comme une stratégie universelle de développement.

E & C : L'OIT a consulté des représentants des principaux groupes philosophiques, religieux et spirituels de différents pays sur cet agenda. Dans quel but ?

D. P. : Il s'agissait d'évaluer le soutien initial de ces grandes traditions - ce qui est le cas, puisque toutes reconnaissent l'importance du travail - et d'affiner notre stratégie, en particulier à partir des points de différence. Par exemple, dans les pays bouddhistes, toute l'éducation consiste à faire abstraction de soi-même et à être de plus en plus tourné vers la compassion, vers l'autre. Difficile, dans ce contexte, de «défendre ses droits», c'est-à-dire de me centrer sur moi-même et pas sur l'autre... En revanche, on ira complètement dans le sens de la culture bouddhiste si l'on convertit la «défense de mes droits» en «faire tout mon possible pour réaliser mes devoirs», devoirs des employeurs à l'égard des salariés et de ces derniers à l'égard de l'entreprise.

De même, dans le confucianisme, le leader est quelqu'un qui est exemplaire aux yeux des autres. En Chine, on pourrait, ainsi, renforcer les associations d'employeurs pour les pousser à exercer leur devoir de leadership.

E & C : Les points de vue de ces différents groupes sont-ils suffisamment convergents pour définir une position commune ?

D. P. : Oui, et en particulier sur les dimensions subjective, sociale et transcendante du travail. La reconnaissance de la dimension subjective du travail est universelle. Nous sommes sujets actifs de notre travail, et il est très clair qu'il nous transforme comme personnes. Cette dimension est aussi sociale : elle a une influence énorme, à commencer par la famille, où le travail a une valeur exemplaire pour les enfants que nous éduquons. Et, quand nous sommes bien dans ce que nous faisons dans l'univers, nous nouons des relations sociales constructives. Si, en revanche, une société se sent complètement délitée du point de vue du travail et de sa dimension subjective, elle devient de plus en plus revendicative, émiettée. Cela aussi est universel.

Dimension transcendante, enfin : le travail n'est pas considéré seulement comme une activité routinière séculière dotée d'une valeur monétaire. Il est appréhendé comme un moyen de viser un objectif plus grand, progressivement réalisé à travers les objectifs individuels partagés des hommes et des femmes.

E & C : Quelle influence peuvent avoir les différentes religions et philosophies dans l'amélioration des conditions de travail et des droits des travailleurs ?

D. P. : Elles se prononcent toutes contre l'actuel paradigme du développement, qui est un paradigme matérialiste et néo-humain. J'appelle paradigme néo-humain la recherche a posteriori d'une caution morale à un projet complètement matérialiste (par exemple, certains codes de conduite à seule visée publicitaire). A ce paradigme, elles opposent un paradigme holistique qui articule le développement matériel au développement d'une dimension spirituelle et solidaire de l'humanité. Ces valeurs spirituelles ébranlent déjà le système ultralibéral qui domine actuellement. Certaines grandes traditions philosophiques et spirituelles sont prêtes à imaginer des types de révolution dont on ne sait pas quelle forme elles prendront. L'histoire nous le prouve : l'homme ne s'est jamais laissé abattre parce que des événements extérieurs tentaient d'annihiler sa liberté et sa solidarité.

* Le BIT est le secrétariat de l'Organisation internationale du travail.

Les mensonges de l'économie, J. K Galbraith, Grasset, 2004.

Quelles énergies pour demain ? Robert Dautray, Odile Jacob, 2004.

Ressusciter, Christian Bobin, Gallimard, coll. Folio, 2003.

parcours

Religieux jésuite, Dominique Peccoud a été enseignant-chercheur en informatique théorique à Paris-7, directeur des études du lycée privé Sainte-Geneviève, directeur de l'Ecole supérieure d'agriculture, puis président du groupe Purpan à Toulouse.

Il est actuellement conseiller spécial du directeur général du BIT, à Genève, pour les affaires socio-religieuses, et a dirigé l'ouvrage Le travail décent - points de vue philosophiques et spirituels (OIT, 2004, disponible sur le site de l'OIT, <www.ilo.org/publns>)

Il est également membre de l'Académie des technologies et de l'Académie d'agriculture de France.

Auteur

  • Violette Queuniet