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Enquête

Le repérage individuel camouflé dans les besoins collectifs

Enquête | publié le : 05.07.2005 | Véronique Vigne-Lepage

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Le repérage individuel camouflé dans les besoins collectifs

Crédit photo Véronique Vigne-Lepage

L'identification des salariés illettrés ne doit pas passer par un dépistage individuel, mais par la mise en avant d'un besoin de formation parmi d'autres.

Certains dirigeants d'entreprise prennent conscience de manière soudaine du problème de l'illettrisme. Par exemple, en confiant les entretiens individuels aux agents de maîtrise, dans le cas de la Société des montagnes de l'Arc (Savoie), ou encore en faisant passer le Caces (Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité) à des caristes, chez JohnsonDiversey, à Villefranche (Rhône).

Stratégies de contournement

Mais lorsque le processus de changement est lent, les salariés ont le temps d'échafauder des stratégies de contournement : refus des formations, arrêt maladie systématique, renoncement à une promotion, demande de changement de poste à l'arrivée d'une machine à commande numérique... « Nous avions repéré les personnes ayant des difficultés, précisément parce qu'elles avaient l'air de cacher quelque chose, rapporte, ainsi, Hervé Leroy, président de la société de nettoyage ENI (300 personnes, de Valence à Marseille). Elles faisaient en sorte de ne jamais avoir à écrire devant nous, travaillaient uniquement à partir de la mémoire et par la parole, et les demandes de congés payés étaient rédigées d'une belle écriture, parfois celle de leur enfant. Or, chez les clients, elles ont de plus en plus affaire à des digicodes, à des normes de sécurité pour l'utilisation des produits chimiques et à des consignes écrites. »

Besoin de formation

Au moment même où les dirigeants de cette société commençaient à s'interroger, l'Agefos-PME les a interpellés sur les besoins de formation en la matière. Le Centre de ressources illettrisme (CRI) Drôme-Ardèche est donc intervenu, dans le cadre d'une convention avec l'Agefos, pour aider ENI à aborder la question.

« Le problème se situe, généralement, non pas entre une personne et la langue française, affirme Marc Fontanié, chargé de recherche et formation au CRI, mais entre les besoins d'une entreprise en termes de langage spécifique et ses salariés. L'approche doit être contextualisée, pragmatique. Pour ENI, nous avons donc proposé une formation technique, intitulée «Améliorer sa communication professionnelle». La formatrice a discuté avec les salariés autour des documents à remplir dans le travail, qui étaient, d'ailleurs, mal conçus. »

Le premier repérage doit, ainsi, être celui de la problématique d'entreprise, c'est-à-dire des enjeux de l'écrit à chaque poste de travail. « Cela peut se faire simultanément à la mise en place de procédures de prévention des risques professionnels, précise Marc Fontanié, et non préalablement. »

Situations à problèmes

Béatrice Testud-Teudes, conseillère au Greta des vallées cévenoles (Gard), tient le même discours aux dirigeants. Avec eux, elle fait émerger les situations à problèmes : chez un fabricant de stores, le taux de mise au rebut a mis au jour des difficultés de repères spatio-temporels chez certains salariés.

Dans une société de menuiserie, le taux élevé d'accidents du travail s'est révélé lié à une incompréhension par les ouvriers des documents affichés ou diffusés, trop nombreux et mal présentés.

Rôle du management

Cet abord par l'évaluation d'une problématique collective peut, parfois, permettre aux personnes concernées de «s'identifier» naturellement. Cependant, le management a un rôle important à jouer dans le repérage. Deux encadrantes de ENI ont, ainsi, été formées à identifier, à sensibiliser et à être tutrices des personnes en situation d'illettrisme. « Elles voient les salariés au quotidien et les connaissent donc bien », explique le dirigeant. « Ce type de formation est indispensable, estime Béatrice Testud-Teudes, car de nombreux contremaîtres, par exemple, ne sont pas à l'aise avec la notion d'illettrisme. Certains craignent d'être mis dans le lot parce qu'ils font beaucoup de fautes d'orthographe. »

Grille d'évaluation

C'est pourquoi, dans une précédente mission, elle avait élaboré, avec l'aide de la DRTEFP, du Fonds social européen et de la région Poitou-Charentes, un Guide du prescripteur, présentant, notamment, une grille d'évaluation avec des situations concrètes à observer : difficulté à se situer sur un plan de bus, à se repérer dans le temps, etc. De la même façon, Eric Fontanié décrit aux DRH des signes pouvant éveiller leur attention : un parcours de formation initial très réduit, un poste de travail sans support écrit occupé depuis longtemps...

L'évaluation précise de ces critères permettra de situer le niveau de la personne, mais uniquement dans une seconde étape, afin d'adapter la formation à mettre en place. C'est, notamment, ce qu'explique aux Opca une fiche-action intitulée Maîtrise des savoirs fondamentaux, diffusée par le CRI Drôme-Ardèche.

Opca : des démarchesplurielles

Les modes d'intervention des Opca sont divers. Agefaforia a créé un dispositif de formation multimédia, Alice (Apprendre à apprendre, lire, informer, calculer, écrire). Le FAF propreté s'est engagé à affecter 5 % des fonds mutualisés à la lutte contre l'illettrisme.

L'Agefos PME finance, parfois jusqu'à 100 %, des actions dans les entreprises tout en formant ses conseillers à la sensibilisation de ces dernières.

Habitat formation, qui a créé, comme le FAF propreté, son réseau d'intervenants illettrisme, finance des journées de conseil et des heures de formation.

Forma HP (hospitalisation privée) et Uniformation (secteur associatif) financent des formations diplômantes ou qualifiantes dans le cadre de la VAE.

Même démarche chez Forcemat (matériaux de construction), qui a élaboré des cycles de VAE/CQP avec les professionnels et projette, en outre, de se consacrer au repérage des salariés.

D'autres secteurs, encore, leur emboîtent le pas : la sécurité, l'hôtellerie, le BTP, l'insertion... sans parler des nombreux Opcareg engagés dans la maîtrise des compétences de base.

Côté service public, enfin, le CNFPT, qui a inscrit la lutte contre l'illettrisme parmi ses priorités, réalise des supports pédagogiques à l'attention des collectivités...

Auteur

  • Véronique Vigne-Lepage