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La compétitivité peut concilier performance et emploi

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.07.2005 | Violette Queuniet

A côté du modèle standard de la compétitivité, qui réduit les emplois, il en existe un autre, plus dynamique, qui parvient à concilier performance et emploi grâce à l'innovation et à la mobilisation des salariés. Mais ce modèle a besoin d'une volonté politique forte pour s'imposer.

E & C : Pour maintenir leur compétitivité, beaucoup d'entreprises ont recours à la réduction d'effectifs. Est-ce inévitable ou y a-t-il la place pour une autre voie, conciliant performance et emploi ?

Roland Perez : Il y a, en effet, une conception «standard» de la relation entre la compétitivité et l'emploi, qui est fondée sur un raisonnement relativement simple : l'entreprise a des pertes ou une rentabilité insuffisante il faut donc dégager des marges.

Pour dégager des marges, il faut réduire les coûts. Pour réduire les coûts, il faut des gains de productivité, c'est-à-dire augmenter ce qu'on appelle la productivité apparente du travail ; il faut donc mener une opération de restructuration du système de production. Ce schéma quasiment séquentiel relève d'une vision que j'appellerai de sciences de l'ingénieur. On a un problème, on le pose, on le résout et, au fond, on restructure un site comme on construit un pont. Le problème social, on le traite en accompagnement.

Si, dans certains cas, il n'y a pas d'autre solution que de restructurer, il existe une autre approche de la compétitivité, que nous avons nommée, au sein de l'Equipe de recherche sur la firme et l'industrie (Erfi Montpellier), la «conception dynamique» de la compétitivité. Deux grandes familles de situations positives se sont dégagées, à l'issue d'un programme de recherche de cinq ans. Dans la première famille, l'entreprise fait un effort considérable à la fois de recherche et d'innovation et de mobilisation de son personnel vers des objectifs communs. En créant une implication et un engagement plus importants, elle arrive à améliorer globalement la performance, et à éviter les restructurations. Cela se constate surtout dans les PME, où le lien social est fort entre le dirigeant et les salariés. Dans la seconde famille, l'entreprise coopère avec d'autres sociétés dans une politique de partenariat et d'alliance pour essayer de résoudre les problèmes. Par exemple des producteurs de fruits qui se regroupent pour à la fois faire de la qualité et peser plus lourd face à la grande distribution. Il n'y a donc pas une «one best way», qui serait cette voie standard qu'on observe de façon très mécanique, mais des voies diversifiées, qui méritent d'être explorées et évaluées.

E & C : Ce modèle dynamique peut-il prendre le pas sur le modèle classique ?

R. P. : Depuis deux ans, avec les effets plus forts de la mondialisation, on observe plutôt une accentuation de l'approche traditionnelle. Les différentiels de coût sont tels qu'on tombe dans le dilemme suivant : la voie standard permet d'avoir, apparemment, des résultats tout de suite, tandis que la conception dynamique est une voie à la fois plus longue et pas forcément couronnée de succès, il faut bien le dire. Donc, devant l'urgence, et aussi par souci de ne pas prendre de risque, la première l'emporte. Cette course à la réduction des coûts est préoccupante. Le concept de firme sans usine, par exemple, qui est développé par certains industriels, n'a aucun sens. C'est un rêve de penser qu'on va garder un marché sans avoir de base productive car, tout simplement, ce sont ceux qui produisent à votre place qui vont prendre le marché ! Le jour où les Chinois auront la maîtrise du système de production - ils commencent d'ailleurs à prendre des participations -, pourquoi voulez-vous qu'ils laissent les marges les plus intéressantes, qui sont celles en aval, aux autres ? Par ailleurs, garder une base productive permet d'avoir ce point de vue des processus de recherche et d'innovation qu'on appelle les feed-back. Un laboratoire pense quelque chose, mais les sites de production eux-mêmes lui renvoient d'autres réflexions.

E & C : Pour favoriser l'innovation, qui permet de concilier compétitivité et emploi, il faut donc une volonté politique ?

R. P. : En effet, et c'est l'objet de débats tant au niveau national qu'européen. En France, il y a les propositions de pôles de compétitivité et le rapport Blanc sur l'écosystème des entreprises. La mutualisation des risques et l'accompagnement de la dynamique entrepreneuriale par la collectivité sont des propositions à explorer. Au niveau européen, l'idée est de mettre en oeuvre le processus de Lisbonne : une économie fondée sur la connaissance, qui soit au premier niveau de la compétitivité. Mais l'Europe est aujourd'hui en panne. Au niveau international, il y a, pour l'instant, très peu de prise de conscience. Tout le problème, c'est de parvenir à un système d'évolution maîtrisée. Mais c'est difficile, car, comme Ashby l'a bien montré dans la théorie des systèmes, pour qu'un système A contrôle un système B, il faut qu'il ait une complexité plus grande que la sienne.

Il faudrait donc que le système politique, qu'il soit national, européen ou mondial, soit plus fort, plus diversifié que ce qu'il veut maîtriser. Et, actuellement, il n'y arrive pas, parce qu'il ne l'est pas. Aujourd'hui, la pure mécanique l'emporte sur la capacité de maîtrise.

Camus et Sartre, amitié et combat, Ronald Aronson, Alvik éditions, 2005.

Entre connaissance et organisation : l'activité collective, sous la direction de Philippe Lorino et Régine Teulier, éd. La Découverte, 2005.

Dérive du capitalisme financier, Michel Aglietta et Antoine Reberioux, Albin Michel, 2004.

parcours

Après une carrière universitaire à des postes d'enseignement et de direction, Roland Perez, ancien élève de l'ENS de Cachan et docteur en sciences économiques, est, aujourd'hui, professeur émérite à l'université de Montpellier-1.

Ses travaux récents portent sur le management, la gouvernance et la responsabilité sociale de l'entreprise. Il est, notamment, l'auteur de La gouvernance de l'entreprise, dans le hors-série n° 44 de Sciences humaines (avril 2004). Il a coordonné, avec Julienne Brabet, l'ouvrage Management de la compétitivité et emploi (éditions L'Harmattan, 2004).

Il est, par ailleurs, secrétaire général de la Société française de management.

Auteur

  • Violette Queuniet