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Vent de panique sur les complementaires sante

Dossier | publié le : 28.06.2005 | Jean-François Rio avec Marie-Pierre Vega

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Vent de panique sur les complementaires sante

Crédit photo Jean-François Rio avec Marie-Pierre Vega

Dérives des dépenses de santé, nouveaux transferts de charges, progression des arrêts de travail et allongement de leur durée, les compteurs des complémentaires santé risquent à nouveau de s'affoler, au grand dam des entreprises et des salariés. Pour les DRH, l'équilibre financier des régimes collectifs est plus que jamais d'actualité. La chasse aux économies est ouverte !

Alors que la réforme de l'assurance maladie entre dans une période charnière, avec la mise en oeuvre, au 1er juillet prochain, du parcours de soins (lire p. 14) ordonné autour du médecin traitant, les DRH naviguent encore à vue sur les conséquences de la loi du 13 août 2004. Le décret qui doit fixer les contours des contrats responsables (lire p. 18) est bloqué depuis plusieurs mois. Sa publication est pourtant très attendue, à la fois par les organismes complémentaires santé et par les entreprises. Ces contrats doivent normalement s'appliquer à partir du 1er janvier 2006. Leur objectif : baliser le parcours de soins en pénalisant les mauvais élèves. L'enjeu est de taille, car seuls les contrats qui porteront le label «responsable» profiteront des aides publiques. « Le système français est bon, mais il ne facilite pas le contrôle des dépenses, car il dilue les responsabilités. D'où le mythe de la gratuité des dépenses de santé. Le contrat responsable va essayer d'aller à l'encontre de ces comportements », soulève Martin Leroy, consultant en épargne salariale, protection sociale et retraite du cabinet Idée Consultants.

Exonérations fiscales

Si les critères d'admission au titre de contrat responsable sont aujourd'hui connus - l'un d'eux a été ajouté, fin décembre 2004, par amendement - reste, désormais, à préciser le montant des dépassements d'honoraires, hors parcours de soins, que les assureurs, les institutions de prévoyance et les mutuelles seront autorisés à prendre en charge à partir du 1er janvier 2006 pour pouvoir bénéficier des exonérations fiscales et sociales. Face à ces incertitudes, l'attentisme des DRH paraît, du coup, compréhensible.

Transferts de charges

Les entreprises peuvent, cependant, être certaines d'une chose : les transferts de charges, du régime obligatoire vers les complémentaires, vont à nouveau faire grimper la note. « Environ 400 à 450 millions d'euros supplémentaires devraient être supportés par les complémentaires. C'est l'optimisation de la gestion du régime obligatoire qui crée ce mouvement. On ne peut pas parler de transfert de charges », tempère Jean-Louis Faure, le délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP).

Peu importe la sémantique utilisée, les déséquilibres des régimes collectifs d'entreprise risquent de s'aggraver. D'autant que la norme IAS 19 sert de caisse de résonance, notamment sur le coût des engagements vis-à-vis des retraités. « La situation n'est pas nouvelle, observe Anne André, directeur général de Aon Assurances de personnes. C'est à partir du début des années 2000 qu'ont commencé les premiers déremboursements de la Sécurité sociale, provoquant un transfert de charges vers les complémentaires. »

Dérapage

Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress), ces transferts ont déjà atteint 4,9 milliards d'euros sur la période 2000-2003. « Précisons aussi, poursuit Anne André, que le dérapage constaté sur les complémentaires santé s'explique, d'une part, par l'augmentation des dépenses de santé et, d'autre part, par l'existence de régimes très généreux bâtis dans certaines entreprises. »

Alors que plus de 67 % des salariés du secteur privé jouissent d'une complémentaire santé dans le cadre de leur entreprise et, qu'en moyenne, la part employeur s'élève à hauteur de 50 %, la question financière est donc au centre des débats. Et les estimations vont aujourd'hui bon train sur la teneur de l'addition. Selon le Haut conseil sur l'avenir de l'assurance maladie, la réforme impacterait à hauteur d'environ 4 % le tarif des complémentaires.

Hausse des cotisations

Un niveau que confirme Jean-Pol Mairiaux, directeur général des Mutuelles Mieux-Etre : « Sur les deux dernières années, les hausses de cotisations ont été de l'ordre de 4 % à 5 %. Cette tendance va, à mon sens, perdurer dans les années qui viennent. » Mais d'autres experts tablent sur des niveaux beaucoup plus importants. La Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (Fnim) estime, ainsi, que les tarifs des complémentaires santé pourraient s'envoler de 12 % : 7 % à mettre à l'actif de la mise en place du parcours de soins et de la convention médicale, auxquels s'ajoutent les 5 % relatifs à la progression des dépenses de santé pour une année moyenne.

« A chaque fois que l'assurance maladie diminue d'un point sa prise en charge, la progression se situe entre 6 % et 7 % pour les complémentaires, avance Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA). Un consensus existe entre les organismes pour ne pas rembourser la contribution de 1 euro sur la consultation, comme la loi le prévoit. Mais le reste risque de faire mal aux cotisations », s'inquiète-t-il.

Manque de temps

Dès lors, de quelles marges de manoeuvre disposent les entreprises ? En premier lieu, les DRH vont devoir se livrer à une véritable course contre la montre. « Le plus inquiétant, souligne Anne André, c'est le manque de temps. Entre la sortie du décret sur les contrats responsables et le 1er janvier 2006, il y aura très peu de place pour la négociation. » Sans compter qu'avec cette thématique de discussion sociale, les DRH jouent avec le feu, étant donné le degré d'attachement des salariés pour les régimes collectifs. « Cette année, la renégociation des contrats collectifs promet d'être encore difficile, prévient Yanick Philippon, directeur technique d'AG2R. Depuis deux ans, les majorations tarifaires se succèdent. Désormais, la tendance est à rechercher des garanties davantage maîtrisables ou plus responsabilisantes. »

Sensibilisation

Pour tenter d'endiguer ces dérives, les DRH disposent de quelques outils. A commencer par l'information, qu'il s'agit de distiller aux salariés afin de les sensibiliser sur l'esprit de la réforme. Une démarche qui, dans l'idéal, doit être conduite avec le concours des partenaires sociaux et les institutions de prévoyance. Le message à faire passer ? La santé a un coût.

Autre piste, bien connue : les plates-formes de soins, issues d'accords négociés entre les assureurs et les professionnels de santé, permettent d'encadrer les tarifs, en particulier dans les domaines très inflationnistes de l'optique et du dentaire. « Pour maîtriser les dépenses en optique, dentaire et prothèses, trois spécialités dont les prix sont libres et qui génèrent des dérapages dans les régimes, nous avons constitué, il y a quelques années, un réseau composé de professionnels spécialisés. Nous incitons nos assurés à y recourir, en échange de tarifs négociés et du tiers payant », indique Stéphane Lecoq, directeur technique des assurances collectives et santé d'Axa France. « Ce qui fonctionne très bien, ajoute Emmanuel Gineste, responsable du pôle prévoyance chez Adding, ce sont les outils de reporting destinés à scruter les postes, à analyser les dérives, à comprendre les dysfonctionnements. C'est aussi très utile pour un DRH, notamment lorsque celui-ci doit entrer en négociation avec les organisations syndicales. Il a tout intérêt à se munir d'une documentation solide, technique et objective. »

Actions de prévention

« Il y a aussi les actions de prévention, à mener avec les assureurs », complète Jean-Pol Mairiaux. L'article 57 de la loi du 13 août 2004 stipule, à ce titre, que parmi les règles devant être respectées par les complémentaires figure la prise en charge totale ou partielle des prestations liées à la prévention. Les entreprises auront donc tout intérêt à développer des politiques cohérentes entre les risques qu'elles ont identifiés et les actions de prévention prises en charge dans les contrats collectifs.

Pooling

Dédiée aux groupes internationaux, la technique du pooling (mutualisation des risques à l'échelle mondiale) n'aurait, en revanche, qu'un intérêt limité. « Elle est pertinente lorsqu'elle est utilisée pour absorber les chocs. Mais, dès lors que l'entreprise est en présence d'une dérive structurelle, le pooling trouve vite ses limites s'il n'est pas accompagné d'autres mesures de maîtrise du risque », tranche Anne André. En matière de renégociation de régimes, tous les schémas restent possibles. Les entreprises arbitrent, le plus souvent, entre baisse des garanties et hausse des cotisations.

Solutions individualisées

D'autres peuvent opter pour la voie du désengagement et privilégier des solutions individualisées. La tendance d'un régime à deux niveaux, émergente depuis quelques années, devrait s'affirmer. « Il est composé d'un socle de protection minimal, cofinancé par l'employeur et le salarié, incluant des garanties ciblées sur les principales dépenses médicales et contre les gros risques. Il est assorti d'un système de deux à quatre options, que le salarié choisit en fonction de sa situation familiale et de ses besoins, et qu'il finance seul », explique Yanick Philippon, d'AG2R.

En outre, les DRH n'échapperont pas à une réflexion sur la gestion des arrêts de travail (lire p. 20). La multiplication des arrêts et, surtout, l'allongement de leur durée creusent le déficit du régime obligatoire tout en faisant vaciller l'équilibre des régimes de prévoyance. Selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), les arrêts maladie ont augmenté de 46 % en cinq ans. Environ 6 % seraient injustifiés. Si le gouvernement a annoncé un renforcement des contrôles des patients et des médecins afin de limiter les abus, les entreprises et les branches professionnelles seraient aussi bien inspirées de se lancer dans une vaste politique d'amélioration des conditions de travail. A ce titre, la piste néerlandaise (lire p. 22) est peut-être à explorer.

L'essentiel

1 Si des incertitudes demeurent sur les règles entourant les contrats responsables, les experts prévoient une nouvelle hausse des cotisations sur les complémentaires santé.

2 Les DRH disposent de quelques outils pour endiguer les dérives financières qui creusent le déséquilibre des régimes collectifs.

3 Enfin, les entreprises devront mettre les bouchées doubles pour maîtriser la question des arrêts de travail et de l'allongement de leur durée.

L'Unedic diagnostique ses dérives

- Assurée auprès de Médéric, l'Unedic vient de démarrer la renégociation de son contrat collectif de prévoyance. « Nous sommes en train de poser le diagnostic, explique Stella Louis-Delamotte, secrétaire nationale de la Fédération CFDT protection sociale. Les dérives sont marginales sur l'invalidité et le décès. En revanche, la situation est préoccupante sur les frais de santé. Les compteurs explosent. Est-ce l'effet de la dégradation des conditions de travail qui génère davantage de stress ? Nous ne pouvons pas encore le dire. Il va falloir affiner l'analyse. La direction (qui n'a pas donné suite à notre demande d'entretien, NDLR) veut renégocier rapidement vu l'ampleur du déséquilibre. Mais nous n'arriverons pas à conclure avant la rentrée. Il faut aussi discuter du contrat responsable. Les propositions de l'employeur ne sont pas ambitieuses. Si le contrat responsable se limite, par exemple, à mettre en place un suivi sur le nombre de paires de lunettes remboursées par salarié, c'est ridicule ! »

Parcours de soins, parcours du combattant ?

- A partir du 1er juillet, la Sécurité sociale pénalisera les mauvais élèves : ceux qui ne respecteront pas le nouveau parcours de soins seront moins bien remboursés et le spécialiste consulté directement sera autorisé à augmenter ses tarifs. Pivot du système : le médecin traitant, qui peut être un généraliste ou un spécialiste. Le patient est incité à le consulter, pour tout acte médical, à l'exception de la gynécologie, l'ophtalmologie, la pédiatrie et la psychiatrie. Dans le cas contraire, l'assurance maladie obligatoire le remboursera de manière moindre. Seule exception : si le médecin traitant est indisponible, en cas d'urgence ou d'éloignement géographique, le praticien consulté sera considéré comme le médecin traitant.

- Le patient devra aussi consulter son médecin traitant pour être orienté vers un spécialiste de son choix, pour un avis ponctuel ou pour des soins répétés. S'il respecte cette règle, il sera normalement remboursé tant par la Sécurité sociale que par son régime complémentaire. Ce dernier sera autorisé à prendre en charge le dépassement d'honoraires d'un médecin en secteur 2 si la garantie souscrite le permet. En revanche, si l'assuré consulte directement un spécialiste, la Sécurité sociale pratiquera un remboursement moindre. Le spécialiste sera également autorisé à pratiquer un dépassement limité à 7 euros en secteur 1, libre en secteur 2. Reste à savoir si les complémentaires seront autorisées à prendre en charge une portion de la part non remboursée par l'assurance maladie.

Complémentaire santé : 4 milliards d'euros récoltés par les institutions de prévoyance

- 4 milliards d'euros, c'est le montant des cotisations reçues, l'an dernier, par les institutions de prévoyance au titre de la complémentaire santé. Après +2 % en 2003, la progression s'est établie à +5,8 % en 2004. Au total, les cotisations complémentaire santé ont généré presque la moitié du chiffre d'affaires 2004 des institutions de prévoyance. Selon un premier bilan du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), celui-ci s'est élevé à 8,5 milliards d'euros, en hausse de 5 % par rapport à 2003. Parmi les garanties de prévoyance, ce sont celles liées au décès (+6,4 %), à l'incapacité et à l'invalidité (+8,2 %) qui ont le plus contribué à l'amélioration de l'activité des institutions de prévoyance.

- « Ces progressions s'expliquent par les accords négociés par les partenaires sociaux, employeurs et salariés, en vue de compléter ou d'étendre ces couvertures au plus grand nombre de participants. Elles résultent également de réajustements tarifaires opérés par les institutions, principalement pour les risques liés à l'arrêt de travail », souligne le CTIP. Seul poste en baisse : les cotisations liées à la retraite supplémentaire, en diminution de 9 %, s'expliquant par la refonte des dispositifs dans les entreprises suite aux récentes évolutions réglementaires en matière de retraite.

- En 2004, indique encore le CTIP, « près de 1,9 million d'entreprises ont confié la gestion des garanties de prévoyance aux institutions de prévoyance, ce qui représente plus de 5 millions de salariés et d'anciens salariés au titre de la complémentaire santé et plus de 11 millions au titre des couvertures de prévoyance ».

Bientôt des surcomplémentaires ?

- C'est l'hypothèse dont tout le monde parle : la création d'un troisième niveau, traité dans un contrat à part, dit de surcomplémentaire. Facultatif au sein de l'entreprise, à la charge du seul salarié et assujetti aux charges sociales et fiscales, il rembourserait, notamment, les majorations de ticket modérateur et les dépassements d'honoraires pour le patient qui ne respecte pas le parcours de soins.

- Les réflexions sur ces contrats santé d'un troisième type sont déjà lancées, notamment chez AGF, AG2R et Réunica. Ces produits haut de gamme pourraient intéresser une population de cadres supérieurs, prêts à payer très cher pour leur santé.

- Reste de nombreuses inconnues. Tout d'abord, quelle sera la réalité de la demande des assurés ? Ensuite, comment se prémunir contre le risque de présélection, ce type de contrat n'attirant que des personnes fortement consommatrices de prestations de santé ? Enfin, il n'est pas sûr que la Direction générale des impôts autorise la cohabitation d'un contrat responsable permettant de bénéficier des avantages fiscaux et d'une surcomplémentaire généreuse.

- « Ces contrats seront rapidement déficitaires. Les organismes complémentaires soutiennent le contraire. Mais, dans les grands groupes qui pratiquent un système davantage à la carte, on voit bien que les comptes analytiques des options ont toujours été déficitaires et finissent par «planter» la totalité du régime », analyse Martin Leroy, du cabinet Idée Consultants.

Auteur

  • Jean-François Rio avec Marie-Pierre Vega