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« Gérer la diversité : une vraie dynamique d'entreprise »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 28.06.2005 | Pauline Rabilloux

La diversité dans l'entreprise est un remarquable atout dans la course à la performance. Des secteurs entiers de l'économie devront intégrer des profils différents pour, entre autres, faire face à la pénurie de compétences.

E & C : La diversité est un thème émergent dans l'entreprise. Quel en est l'enjeu ?

Thierry Picq : On parle beaucoup de gestion de la diversité, mais surtout dans une perspective législative. Tous les citoyens étant égaux en droit, ils doivent donc être égaux également dans l'entreprise, et cela, à tous les niveaux : recrutement, rémunération, progression de carrières, etc. Et pourtant, le salaire des femmes continue d'être inférieur à celui des hommes ; les comités de direction restent toujours aussi masculins ; les seniors continuent de prendre en masse le chemin de l'ANPE ; et les minorités ethniques rencontrent toujours autant de difficultés à décrocher un emploi.

A l'heure des bilans, cette approche législative semble donc inefficace. La raison en est simple : malgré ses inégalités flagrantes, le système reste viable et fonctionne. L'éthique ne paye pas. Par ailleurs, à la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis, la pression de la société civile vers l'égalité reste, en France, assez théorique.

E & C : Cela veut-il dire qu'il faut renoncer à cheminer vers l'équité dans l'entreprise ?

T. P. : Non, bien sûr, mais la seule manière d'impulser à ce niveau plus de justice consiste à ce que l'entreprise relaie elle-même le combat vers la diversité, qu'elle y ait intérêt.

Si on y regarde bien, la diversité est partout présente. Les individus sont différents, ils exercent des métiers divers ; l'entreprise, de plus en plus souvent internationale, travaille avec des personnes issues d'autres cultures, parlant des langues différentes...

Reste la tendance à calibrer tout le monde sur le même moule. Aujourd'hui, le taux de permanence dans l'emploi des profils atypiques est alarmant. Quand la sélection ne se fait pas à l'entrée, elle s'exerce spontanément par la suite : les outsiders finissent par être exclus ou bien s'excluent eux-mêmes. Résultat : le travail en équipe, indispensable à l'économie moderne, marque le pas.

Or, la confrontation des différences non seulement permet d'échapper à la pensée unique, mais encore est-elle source d'enrichissement réciproque et favorise l'innovation. A l'heure de l'économie du réseau, la diversité représente une vraie dynamique d'entreprise, dans le sens de l'ouverture et de l'échange.

E & C : Quels sont les secteurs concernés ?

T. P. : La nécessité d'un management de la diversité est surtout sensible aux deux extrémités sociales. Dans le secteur de la recherche et de l'innovation, par exemple, la quête de performance la rend incontournable. L'innovation technologique a besoin de tous les talents, indépendamment de la couleur de peau ou de la religion de ceux qui les possèdent.

A l'autre bout de la chaîne, la pénurie de compétences dans des secteurs entiers de l'économie de service ou de proximité nécessite d'ouvrir l'entreprise à des personnes qui n'y ont pas ou plus accès : les femmes dans certains secteurs, les personnes issues de l'immigration, les seniors...

E & C : Concrètement, comment faire pour développer la diversité ?

T. P. : La gestion des ressources humaines a, ici, un vrai rôle à jouer. Actuellement, la GRH est surtout placée sous le signe de l'urgence : gérer les restructurations, les plans sociaux, répondre aux besoins de recrutement au coup par coup... La prospective est rarement présente. La question du renouvellement des générations, notamment, est remise à plus tard. De plus, les déclarations sur l'égalité des chances restent souvent l'apanage des dirigeants ou des directions de la communication, alors qu'elles sont vraiment de la compétence des directions des RH. Celles-ci sont déjà en charge du recrutement, mais il semble logique que leur incombe également de mener à bien cette éducation quotidienne au travail en équipe et de mettre en place des dispositifs innovants et systématiques d'évaluation.

En fait, cela revient à sortir des schémas classiques d'organisation planifiée, pour fonctionner de manière à la fois transversale et plus ouverte.

La GRH doit, aujourd'hui, faire la preuve de sa capacité à renoncer au modèle de gestion uniforme au profit de systèmes à géométrie variable, aptes à répondre à la diversité des formes organisationnelles. Le métissage, l'hybridation qui, dans l'entreprise comme dans la nature, optimisent les performances, est à ce prix.

Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin, ESF éditeurs, 1990.

L'auto qui n'existait pas, Christophe Midler, Interéditions, 1992.

La société en réseaux, Manuel Castells, Fayard, 1998.

parcours

Docteur en gestion, Thierry Picq a été conseil en organisation et expert en formation auprès du Bureau international du travail (BIT). Il est actuellement directeur du département management & ressources humaines à l'EM-Lyon.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles portant sur le management de projet, les nouvelles formes d'organisation et la conduite du changement.

Auteur

  • Pauline Rabilloux