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Créer des synergies entre les salariés d'âges différents

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 07.06.2005 | Pauline Rabilloux

Les directions sont confrontées à la nécessité de faire travailler ensemble des salariés d'âges différents. Grâce à des formations interculturelles sur les générations, elles pourraient créer un consensus générationnel, devenu vital pour le développement des entreprises.

E & C : Vous n'êtes évidemment pas le seul à penser que le vieillissement de la population va poser des problèmes à l'entreprise. Votre originalité est de mettre l'accent sur les aspects culturels plutôt que de vous focaliser sur les aspects quantitatifs.

Serge Guérin : La France a privilégié la substitution du travail par le capital, et le choc de 2006 lié au départ à la retraite des baby-boomers sera certainement moins massif qu'on ne le dit. Reste que les seniors, après trente ans de politiques sociales fondées sur leur éviction, devront prolonger leur temps d'activité. Les entreprises, qui ont pris l'habitude de gérer une population majoritairement comprise entre 30 et 50 ans, vont devoir réapprendre à composer avec d'autres tranches d'âge.

A une époque où la société découvre l'extraordinaire marché que représentent, aujourd'hui, les seniors, on peut d'ailleurs penser que ce rééquilibrage interne inévitable se révélera une chance pour l'entreprise, qui sera, ainsi, plus en phase avec ses clients. La gestion de l'intergénérationalité est donc vitale pour le développement des entreprises. Elle concerne d'abord le maintien d'une cohésion minimale des acteurs qui la forment, mais également la capacité à se saisir des attentes du marché. Mais il va falloir réapprendre à vivre ensemble. Le manager de demain sera jugé sur sa capacité à créer des synergies entre les salariés d'âges différents.

E & C : Quelles solutions suggérez-vous ?

S. G. : L'apartheid générationnel est si fort, en France, que la nécessaire réconciliation entre les générations doit passer par des politiques volontaristes. Les DRH doivent prendre la mesure de cette tendance au communautarisme de l'âge qui constitue des tribus fermées sur leurs références culturelles, langagières, comportementales... La cohabitation des différentes générations relève donc d'une logique de l'interculturalité. Celle même que l'on met en place pour faire travailler ensemble, dans les entreprises multinationales, des personnes et des groupes issus d'horizons géographiques différents. Comme on apprend, par exemple, aux salariés à se conduire avec des collaborateurs ou des clients japonais, il convient d'apprendre aux salariés quels sont les valeurs, les us et coutumes des autres classes d'âge.

Si l'on excepte la famille, qui n'est d'ailleurs pas un modèle de consensus générationnel, les lieux de rencontre sont rares. C'est peut-être dans la pratique de certains sports que l'on déroge le plus à cette règle. Pour le reste, les municipalités construisent souvent des crèches à côté de maisons de retraite, mais les classes d'âge intermédiaires vivent de plus en plus dans une logique de développement parallèle. C'est d'ailleurs un enjeu des politiques de la ville que de réussir à faire cohabiter des personnes de tout âge pour éviter la stigmatisation de certains quartiers.

E & C : Pensez-vous que les entreprises sont prêtes à vous suivre sur ce terrain ? Et si oui, quelles formes cela pourrait-il prendre ?

S. G. : L'entreprise de demain sera multiculturelle ou ne sera pas. Pourquoi, dans le cadre d'actions RH vraiment novatrices, ne pas envisager des formations à la différence culturelle ? Elles pourraient comprendre le rappel des grands faits historiques qui ont marqué les générations successives, l'histoire des évolutions des pratiques culturelles, des techniques... Ce n'est évidemment pas la même chose, par exemple, de venir d'un milieu rural ou d'avoir grandi dans un cadre urbain, d'avoir été bercé par la musique des Beatles ou par le rap, d'avoir évolué avec «Au théâtre ce soir» ou avec la téléréalité, etc.

Au plan des valeurs et des codes également, certaines choses demanderaient à être rappelées. Pour ne prendre qu'un exemple, avoir les mains dans les poches est ressenti par la plupart des seniors comme un signe négatif, alors que pour les plus jeunes, il s'agit d'un comportement absolument insignifiant.

Si l'on veut que les personnes coopèrent, il faut qu'elles se sentent comprises, prises en compte, inscrites ensemble dans la modernité. Occasion unique, peut-être, de découvrir que pas plus qu'un senior n'est forcément dépassé, «out», un jeune ne cherche pas obligatoirement à en faire le moins possible. Dans l'entreprise comme dans la vie, on est peut-être simplement passé d'une culture du long terme, de l'investissement à vie, à une culture du court terme, le temps que dure l'amour ou... un CDD.

Les désordres du travail, Philippe Askenazy, Seuil, 2004.

Sociologie du changement dans les organisations, Philippe Bernoux, Seuil, 2004.

Belle du seigneur, Albert Cohen, Folio, 1937.

parcours

Serge Guérin est professeur associé à l'université Lyon-2.

Il a publié plusieurs ouvrages sur la question des seniors, dont Le boom des seniors (Economica, 2000) ; Le grand retour des seniors (Eyrolles, 2002) ; Manager les quinquas (éditions d'Organisation, 2004).

Auteur

  • Pauline Rabilloux