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Jusqu'où peuvent aller les blogs de salariés ?

Les Pratiques | Point fort | publié le : 24.05.2005 | Céline Lacourcelle

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Jusqu'où peuvent aller les blogs de salariés ?

Crédit photo Céline Lacourcelle

Nouveaux supports d'expression, les blogs, à la fois journaux intimes et billets d'humeur, exposent les états d'âme de certains salariés. Est-il possible de tout dire ? Rappels sur la liberté d'expression et l'obligation de loyauté.

Depuis maintenant cinq ans, les blogs fleurissent un peu partout sur Internet. Ils se chiffrent aujourd'hui par millions. Parmi eux, une petite poignée est l'oeuvre de salariés. A la fois journaux personnels et billets d'humeur, ces blogs exposent, en ligne, leur vie au bureau. Mais voilà, tout n'est pas toujours bon à dire ni à montrer. Certains salariés américains l'ont, en effet, appris à leur dépens. Un employé de Wells Fargo s'est, ainsi, fait remercier après avoir raconté, sur son blog, sa participation à l'achat d'une carte d'anniversaire destinée à une collègue qu'il n'appréciait guère. Autre mésaventure, celle de cette hôtesse de l'air de Delta Airlines, licenciée pour avoir publié des photos d'elle en uniforme, jugées «déplacées». Evoquons, enfin, l'histoire de cet ingénieur de Microsoft qui a trouvé amusant de diffuser des photos sur lesquelles les visiteurs de son blog pouvaient assister à la livraison de palettes d'ordinateurs de la marque Apple au siège de sa société avec, pour commentaire, « Même Microsoft veut des G5 ». Un sens de l'humour qui lui a valu de prendre la porte.

Ils ne sont, semble-t-il, pas les seuls à avoir fait les frais de ces e-bavardages. Selon un récent sondage, réalisé auprès de 279 responsables RH par la Society for Human Resources Management, 3 % des entreprises déclarent avoir pris des mesures disciplinaires à l'encontre de quelques blogueurs. En France, rien de tel. Pour autant, comme tout autre média, le blog n'est pas exempté de respecter certaines règles.

Droit à la critique

« La liberté d'expression reste le principe de base, quel que soit le support utilisé, rappelle Sophie Brézin, avocate en charge du département droit social du cabinet Herbert Smith. Un salarié peut donc, s'il le souhaite, raconter à loisir sa journée au travail. » Sachant, par ailleurs, que le droit à la critique existe. Mais il y a une ligne blanche à ne pas franchir : « L'injure, la diffamation, l'atteinte à la réputation, la contestation systématique de l'autorité ou encore la fausse accusation sont considérés comme outrepassant cette liberté d'expression », énumère Me Viviane Stulz, du cabinet Clifford Chance. S'ajoutent les obligations, celles-ci contractuelles, « de discrétion et liées au secret professionnel », précise Me Brézin. Mais, en matière d'excès, l'acceptable et le non-acceptable sont une question d'appréciation. Autant dire que « les dérapages des blogueurs seront donc à appréhender au cas par cas », prévient Me Laurent Guardelli, du cabinet Dubarry, Le Douarin & Veil.

Licenciement sans cause réelle et sérieuse

Plusieurs arrêts font la preuve de cette difficulté. Parmi les plus célèbres, l'arrêt Clavaux, de 1988. Au coeur de la polémique : un ouvrier d'une usine Dunlop avait décrit ses conditions de travail dans les colonnes du quotidien L'Humanité. « Il a été licencié pour atteinte à l'entreprise, un licenciement jugé nul par les prud'hommes et, ensuite, par la cour d'appel et la Cour de cassation », explique Sophie Brézin. Le licenciement de plusieurs salariés d'une maison de retraite a également été déclaré sans cause réelle et sérieuse par la Cour de cassation, en novembre 1996. Dans cette affaire, ces salariés avaient distribué, dans la boîte aux lettres des habitants, en dehors du temps de travail, une lettre ouverte adressée à leur directrice. Les juges ont conclu que, dès lors que le contenu de la lettre n'était pas diffamatoire, ni excessif, les intéressés n'avaient pas fait un usage abusif de leur liberté d'expression.

Usage abusif

Autres arrêts, autres dénouements : tout d'abord, celui concernant cet enseignant qui avait remis aux parents d'élèves une lettre revendiquant son opposition à une réforme pédagogique engagée par l'association qui l'employait. Les juges ont, alors, considéré cette démarche comme une campagne dénigrante aux conséquences négatives pour la survie de l'activité de l'association (cour d'appel de Versailles, janvier 2003). Il s'agissait, selon eux, d'un abus de la liberté d'expression et d'une violation des obligations résultant de son contrat de travail justifiant son licenciement sans préavis. Même punition pour ce salarié à l'origine d'un courrier électronique, diffusé à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise, accusant son employeur de pratiquer une politique discriminatoire, notamment à l'égard des homosexuels. Considérés comme diffamatoires selon la cour d'appel de Versailles (novembre 2002), portant atteinte à l'image de marque de l'employeur, ses propos ont motivé son licenciement.

Bon fonctionnement de l'entreprise

La différence entre toutes ces affaires ? Le préjudice causé au bon fonctionnement de l'entreprise. Mais, là encore, rien d'automatique. En juillet 2001, le tribunal de grande instance de Paris a condamné l'auteur du site «jeboycottedanone», créé en réaction au plan de restructuration du pôle biscuit du groupe agroalimentaire, sur le fondement de la contrefaçon de marque. Ce jugement a finalement été infirmé partiellement en cour d'appel, le 30 avril 2003 ; celle-ci ayant admis l'exception dès lors que la parodie a eu lieu hors « vie des affaires ». Autrement dit, hors contexte de concurrence commerciale.

« Les sanctions vont, ensuite, dépendre de la gravité des propos et du statut du blogueur. Les propos d'un cadre supérieur dénigrant les membres de son conseil d'administration n'ont, en effet, pas la même portée que ceux d'un ouvrier se plaignant du bruit dans son atelier », signale Me Guardelli. En février 2001, la cour d'appel de Metz a, ainsi, considéré qu'un cadre ayant traité d'incompétents et d'incapables, en leur présence, l'ensemble de ses homologues, a outrepassé les limites du droit à la critique reconnu à tout salarié.

L'employeur peut toujours tenter de faire fermer le site pour « troubles manifestement illicites », en référé, selon les dispositions du nouveau Code de procédure civile (article 809, NDRL) », évoque Sophie Brézin, circonspecte. Mais, dans le cas des blogs, encore faut-il identifier l'auteur. Une tâche particulièrement délicate : les blogueurs préférant se cacher, à raison, derrière des pseudonymes, à l'instar de Max*, salarié d'une entreprise, décrivant, semaine après semaine, les faits et gestes de ses collègues, caricaturés à l'aide de surnoms. « Le problème de l'imputabilité est entier. Si, en tant que chef d'entreprise, je peux éventuellement deviner qui sont certains des protagonistes des aventures décrites dans ce blog, et même me reconnaître, il est plus délicat d'identifier Max et, plus encore, de rapporter une preuve irréfutable de son identité devant le juge », souligne Me Guardelli.

Une chose est sûre : le blog n'est pas assimilable à de la correspondance privée, comme ce peut être le cas avec les mails. « Il s'anime dans une sphère publique et est ouvert à tous. La jurisprudence Nikon ne peut donc s'appliquer », signale Me Stulz, indiquant, par ailleurs, qu'un blog peut, certes, causer des torts à l'entreprise, mais aussi aux autres salariés.

* <www.lejournaldemax.co>

L'essentiel

1 Les blogs, nouvelles tribunes libres sur Internet, questionnent sur le principe de la liberté d'expression.

2 Un salarié, s'il a le droit de raconter à loisir sa vie au bureau, doit se garder de tout abus (diffamation, dénigrement, insultes...). Abus qui demeurent, néanmoins, difficiles à appréhender.

Auteur

  • Céline Lacourcelle