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DES ENTREPRISES S'ENGagent pour la diversite

Enquête | publié le : 19.04.2005 | Violette Queuniet

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DES ENTREPRISES S'ENGagent pour la diversite

Crédit photo Violette Queuniet

Alors que le thème de la diversité séduit de plus en plus les entreprises, de grands groupes, mais aussi quelques PME, ont signé une charte qui les engage à lutter contre la discrimination. Mais, pour durer, cet engagement doit s'intégrer à la stratégie de l'entreprise et s'appuyer sur les partenaires sociaux.

Le 22 octobre dernier, près de 40 entreprises françaises (voir encadré p. 14) faisaient la «une» en signant, à l'instigation de Claude Bébéar, ex-président d'Axa et président de l'Institut Montaigne - un lieu de réflexion de dirigeants - la «Charte de la diversité dans l'entreprise». Une signature qui pèse lourd, car les entreprises s'engagent à rien de moins que « garantir et promouvoir l'application du principe de non-discrimination sous toutes ses formes et dans toutes les étapes de gestion des RH que sont, notamment, l'embauche, la formation, l'avancement et la promotion professionnelle des collaborateurs ». Rédigée par des entreprises, promue par un grand patron, soutenue par l'ANDCP et par Entreprise & Personnel : tous les ingrédients étaient réunis pour obtenir un accueil favorable auprès des employeurs. Avec, de plus, le thème de la diversité, plus porteur que celui de la lutte contre les discriminations.

Vision d'entreprise

« Nous avons constaté qu'il était beaucoup plus facile de parler aux entreprises de «gestion de la diversité» que de «lutte contre les discriminations», positionnement perçu comme défensif et à caractère réglementaire. Si le concept de «gestion de la diversité» est bien reçu dans l'entreprise, c'est qu'il suppose au contraire un positionnement plus proactif et une vision d'entreprise », indique l'IMS-Entreprendre pour la Cité (dont le président est également Claude Bébéar), qui a mené une étude auprès de 50 responsables d'entreprise sur leurs actions en faveur de la diversité. Depuis, vingt autres entreprises ont rejoint les pionnières. Sans compter celles qui, sans être signataires de cette charte, ont bâti une politique de ressources humaines fondée sur la non-discrimination et l'ouverture aux profils les plus divers.

Risque judiciaire

Pourquoi cet engouement pour la diversité ? Pour Martine Le Boulaire, directrice du pôle «organisation et management» d'Entreprise & Personnel et auteure d'une étude sur la gestion de la diversité, les entreprises s'engagent pour plusieurs raisons. Le risque judiciaire, d'abord. « Avec la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) et la transposition des directives européennes sur la lutte contre les discriminations, le risque juridique est réel pour les entreprises, même s'il se traduit encore par très peu d'actions en justice. » Il n'est pas anodin que plusieurs entreprises engagées dans une politique de diversité entreprennent de faire certifier leur processus de recrutement.

Diversifier les recrutements

Deuxième facteur : la pénurie de candidats. « Les entreprises de secteurs confrontés à des difficultés de recrutement se disent qu'il est peut-être temps d'élargir, au fond, le champ naturel de leur recrutement vers d'autres populations, qu'il s'agisse des jeunes issus de l'immigration, des femmes... On n'en est pas aux quinquas, mais ça ne saurait tarder ! », note Martine Le Boulaire. C'est une des raisons qui poussent la fonction publique à se préoccuper, elle aussi, de la diversification de ses recrutements (lire article p. 15) : le choc démographique y sera plus important et plus précoce que dans le privé avec, par exemple, le départ à la retraite de 50 % des enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur d'ici à 2009, et de 45 % des fonctionnaires d'Etat d'ici à 2012.

Ressembler aux clients

Le troisième enjeu est stratégique et se rapporte à la proximité avec les marchés. « Les populations issues de l'immigration, les femmes, les quinquas, etc., constituent aujourd'hui un segment stratégique non négligeable pour l'activité des entreprises, estime Martine Le Boulaire. On commence à voir des expériences à l'étranger dans cette direction. Je pense à la Deutsche Bank, qui féminise ses gestionnaires de patrimoine ou qui met face aux clients les plus âgés des gestionnaires de plus de 50 ans. » C'est la même préoccupation qui guide le groupe Air France lorsqu'il embauche : « Nos clients sont à 50 % étrangers : nous avons le souci que nos salariés ressemblent à nos clients, qu'ils se reconnaissent dans ceux qui s'occupent d'eux », indique Christine Briche, DRH du personnel au sol.

Risque de réputation

Autre motivation détectée par Martine Le Boulaire dans son étude : le risque de réputation. « A l'heure où la notation sociale se développe rapidement, où les marchés financiers sont demandeurs d'informations précises, les entreprises voient bien qu'elles sont de plus en plus observées, évaluées, notées, non seulement sur leur réputation vis-à-vis de leurs fournisseurs mais également vis-à-vis de leurs salariés. D'où la nécessité pour elles de prendre en compte cette dimension-là. »

Bref, l'engagement dans la diversité est, avant tout, une démarche pragmatique. Mais, précisément, on peut s'interroger sur la pérennité d'un engagement pris uniquement pour des raisons externes à l'entreprise. Auteur d'un mémoire de fin d'études, à l'ESCP-EAP, sur les politiques d'égalité professionnelle, Guilhem Nègre observe « qu'une politique d'égalité professionnelle obtiendra de bien meilleures performances si elle est initiée par des facteurs internes plutôt qu'externes. Une politique d'égalité mise en place pour se mettre en conformité avec le cadre légal ou suite à la plainte d'un employé - la question d'image est alors en jeu - sera toujours moins efficace que lorsqu'elle résulte d'une réflexion et d'une volonté interne de l'entreprise ».

Le même constat vaut pour une politique de la diversité. Il faut, en effet, une volonté forte, portée par la direction, pour que cette politique s'incarne dans l'entreprise et s'intègre dans une démarche RH qui aura pour mission de sensibiliser le personnel, d'établir des indicateurs, d'effectuer un suivi, etc.

Diversité et performance économique

Chez HP, par exemple, où le concept de diversité est arrivé des Etats-Unis en France au début des années 1990, il s'agissait bien d'une stratégie d'entreprise, fondée sur le principe que la diversité contribue à une meilleure performance économique. « L'objectif est que l'entreprise tire parti des différences qui la composent : moins on a de clones, plus on a de chances d'avoir une population créative et innovante. Avoir une population diverse est donc un besoin fondamental pour une entreprise qui doit sans cesse innover », indique Véronique Bouhafs-Blanchard, responsable du programme «diversité» de Hewlett-Packard.

Elément de dialogue social

Cependant, même solidement implanté dans l'entreprise - le programme de HP est mesuré depuis l'origine, avec une revue des indicateurs tous les trois mois -, il a connu une période de déclin au moment du dernier plan social, ce qui montre toute la difficulté à mener une telle politique sur le long terme.

Associer les partenaires sociaux est également essentiel pour faire vivre la diversité. PSA l'a bien compris, qui a signé un accord, en 2004, sur la diversité et la cohésion sociale dans l'entreprise, en prenant des engagements chiffrés pour 2005, comme l'embauche de 45 candidats diplômés issus des zones urbaines sensibles. « Les entreprises ont tout intérêt à faire de la diversité un élément de dialogue social pour se mettre d'accord sur le sens à donner à leur démarche », indique Martine Le Boulaire.

Programme de sensibilisation

Quant aux rares PME qui s'engagent dans une politique de diversité, elles sont, mues par la conviction de leur dirigeant. Signataire de la charte, le Centre des jeunes dirigeants (CJD), qui regroupe des patrons de PME à la fibre sociale, commence, cette année, un programme de sensibilisation qui aboutira à accompagner entre 350 et 500 entreprises dans une démarche de diversité en 2006.

Pour Samuel Douette, responsable des expérimentations au CJD, une telle démarche ne peut reposer que sur des convictions humanistes. « Nous partons des valeurs de respect de l'homme, pas des contraintes du marché. Sinon, les pratiques ne changeront pas, pas plus que le regard que nous portons sur l'autre. »

L'essentiel

1 Un certain nombre d'entreprises ont formalisé leur engagement à diversifier le profil de leurs salariés en adhérant à des chartes ou en diffusant des codes de déontologie.

2 L'intérêt pour la diversité est souvent motivé par au moins une de ces raisons : le risque judiciaire, les difficultés de recrutement, le business et le risque de réputation.

3 Pour s'inscrire dans la durée, l'engagement dans la diversité doit faire partie de la stratégie de l'entreprise et associer les partenaires sociaux.

Les signataires de la Charte de la diversité

52 entreprises ont signé ou se sont engagées à signer la Charte de la diversité dans l'entreprise : Accor ; Adecco ; Adia ; Airbus ; Air Liquide ; Arcelor ; AT Kearney ; Axa France ; CCF ; CS Communication & Systèmes ; Caisse des dépôts et consignations ; Canal + ; Carrefour ; Club Méditerranée ; Groupe Casino ; Deloitte ; Dexia ; Edigraphie ; Europe Sécurité ; France Telecom ; France Télévision ; GL Trade ; IBM ; Ikea ; INPES ; Lafarge ; La Poste Rouen ; Les Hôpitaux de Rouen ; L'Oréal ; NEF ; Noos ; Pernod Ricard ; PPR ; PSA ; Radio France ; RATP ; Relais Intérim ; Renault ; Rhodia ; Sagep ; Schneider Electric ; Serda ; Servia Informatique ; Sietar ; SNCF ; Société générale ; Sodexho ; Stream ; Suez ; Total ; Trace TV ; Groupe Vedior France.

Auteur

  • Violette Queuniet