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L'ergonomie informatique est source de productivité

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 19.04.2005 | Rodolphe Helderlé

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L'ergonomie informatique est source de productivité

Crédit photo Rodolphe Helderlé

Alors que les applications informatiques structurent de plus en plus les modes d'organisation, aucune démarche n'est mise en oeuvre lors de leur conception pour optimiser le confort des utilisateurs finaux et leur productivité. L'ergonomie informatique propose des méthodes pour améliorer les outils en collaboration avec les utilisateurs.

E & C : Vous estimez que l'ergonomie des applications informatiques est insuffisamment prise en compte par les entreprises. Comment expliquez-vous cela ?

Jean-François Nogier : Je vois deux raisons. La première tient au fait que la démarche de conception des systèmes d'information est généralement descendante. Des experts porteurs des déclinaisons métiers des applications informatiques vont spécifier le besoin à partir de leur propre connaissance du domaine. Les utilisateurs n'interviennent qu'à la fin du projet. Cette méthode présente un intérêt à court terme. La phase de conception semble plus courte et les développements débutent rapidement. Mais les ajustements nécessaires à la mise en oeuvre dans le contexte réel d'utilisation sont nombreux. La phase de déploiement est difficile et la maintenance délicate. Au contraire, l'approche ergonomique intègre les utilisateurs dès la conception afin d'identifier concrètement la manière d'adapter le logiciel à la façon dont il sera effectivement utilisé au final.

La seconde raison est l'absence de compétences en ergonomie dans les équipes de développement. En fait, l'ergonomie informatique est méconnue. En France, les formations au métier d'ergonome sont encore trop théoriques.

E & C : Quelles sont les conséquences pour les utilisateurs et pour l'entreprise de l'approche descendante que vous évoquez ?

J.-F. N. : Le risque est de délivrer des solutions trop complexes, dont la cinématique et les fonctionnalités n'ont pas été validées dans le contexte réel d'utilisation. L'appropriation de l'outil par les utilisateurs finaux est donc difficile. L'entreprise doit mettre l'accent sur la formation avec des surcoûts à la clé. Mais cela ne suffit pas toujours. Dans le domaine du tertiaire, où le système d'information est l'outil de travail du commercial, il arrive que certains produits ne soient pas vendus car l'interface correspondante est inutilisable par les agents.

A titre d'exemple, nous avons été appelés par une administration où l'ensemble du personnel d'un service se plaignait de la nouvelle version du logiciel de saisie. Les utilisateurs souffrant de maux de tête et de troubles visuels, l'absentéisme a augmenté à tel point que le CHSCT est intervenu. La raison de ce rejet : une interface trop complexe. Dans l'année qui a suivi, après avoir simplifié l'interface en s'appuyant sur une analyse de l'activité réelle des opérateurs de saisie, la productivité du service a doublé et les douleurs ont disparu.

E & C : Vous préconisez une approche qui s'apparente parfois au marketing au travers de «tests d'utilisabilité». Pouvez-vous nous l'expliquer ?

J.-F. N. : Il y a effectivement des analogies avec le marketing puisque nous testons, avant la mise en production, un prototype de l'application auprès d'un panel d'utilisateurs finaux. Nous parlons de «test d'utilisabilité». Il consiste à observer en situation quasi réelle l'utilisation du logiciel. L'ergonome demande à l'utilisateur de réaliser des tâches précises. Celui-ci se sert du logiciel comme il le fera plus tard, c'est-à-dire seul, sans aide extérieure. Nous observons son comportement et relevons les difficultés qu'il rencontre. Ces difficultés le freinent dans la réalisation de sa tâche. En éliminant ces freins, le logiciel est plus facile à utiliser, il semble «naturel». De ce fait, les besoins en formation sont réduits de façon notable. La productivité est améliorée, car la tâche est réalisée plus rapidement. Cette démarche est appréciée des utilisateurs, car les actions correctives qui en découlent contribuent à un meilleur confort d'utilisation.

La finalité de l'ergonomie informatique vise bien à optimiser tout à la fois la performance de l'utilisateur et son confort d'utilisation. Ces deux considérations n'ont rien d'incompatible.

E & C : Internet a-t-il changé la perception de l'ergonomie par le grand public ?

J.-F. N. : Effectivement, en mettant l'informatique entre les mains de «Monsieur Tout le monde», Internet a contribué à sensibiliser le grand public sur l'importance de l'ergonomie. Qui plus est, de nombreuses entreprises «webifient» actuellement leurs applications informatiques. Pour les directions informatiques, l'objectif est de centraliser l'application sur un même serveur et, ainsi, d'en faciliter la maintenance. Généralement, les fonctionnalités sont conservées, seule l'interface doit être redéveloppée. Dans la mesure où ces chantiers concernent principalement la «surface» de l'application, les entreprises en profitent pour mettre en oeuvre des démarches de conception «orientée utilisateur» et, par là, gagner en productivité.

Usability Engineering, Jakob Nielsen, éd. Paperpack, 1994.

Zéro prise de tête, Steve Krug, éd. Dunod, 2001.

Cessez d'être gentil, soyez vrai : être avec les autres en restant soi-même, Thomas d'Ansembourg, éditions de l'Homme, 2004.

parcours

Docteur ingénieur en informatique, Jean-François Nogier enseigne l'ergonomie du logiciel et le design web, depuis 1996, à l'université Paris-Dauphine, l'Institut national des télécommunications, l'Isep et Supélec. Il est membre du bureau de l'association des responsables intranet : ClubNet.

Après une carrière dans le domaine des interfaces homme-machine chez IBM et Thales, il a fondé son cabinet de conseil, spécialisé en ergonomie des produits interactifs (logiciels, systèmes d'information, intranet, sites web).

Il a publié Ergonomie du logiciel et design web, aux éditions Dunod (3e édition).

Auteur

  • Rodolphe Helderlé