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Les «mauvais» emplois sont plus souvent le lot des femmes

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.04.2005 | Gina de Rosa

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Les «mauvais» emplois sont plus souvent le lot des femmes

Crédit photo Gina de Rosa

Les temps partiels et les emplois précaires occupés majoritairement par les femmes expliquent une bonne part de l'écart du salaire moyen entre hommes et femmes. «Toutes choses égales par ailleurs», outil utilisé pour comparer les situations des hommes et des femmes, a une portée limitée. Car cette égalité se rencontre peu dans la réalité.

E & C : Vos recherches ont conduit à identifier un certain nombre de facteurs responsables des écarts de salaire entre les hommes et les femmes. Quels sont les principaux ?

Sophie Ponthieux : L'écart des salaires vient d'abord du fait que les hommes et les femmes n'occupent pas les mêmes emplois. Et la différence la plus cruciale est celle du temps partiel. Le nombre d'heures de travail des femmes, en moyenne, est inférieur à celui des hommes. Cela explique une bonne part de l'écart des salaires moyens.

Pour le reste, c'est assez compliqué de chiffrer l'effet des autres différences sur l'écart des salaires ; d'abord, parce que le nombre d'heures de travail n'est pas indépendant des types de postes occupés. Donc, si on retire les temps partiels, on enlève aussi des emplois peu qualifiés et mal rémunérés (caissière de supermarché, salariée d'entreprise de nettoyage...). On ne peut pas «neutraliser» l'effet des horaires et comparer le reste. Plus généralement, le problème, ici, est qu'il existe un outil génial : le «toutes choses égales par ailleurs», mais justement, les «choses» ne sont pas égales par ailleurs. Ce qu'on met en évidence avec cet outil a une portée assez limitée pour expliquer l'inégalité globale constatée. Il permet surtout de sérier les «morceaux» : différences d'horaires, de qualifications, de secteurs, de tailles d'entreprise. Il faut prendre l'écart des salaires comme le résultat d'un ensemble de choses difficiles à démêler les unes des autres, et, aussi, remonter à d'autres facteurs qui dépendent largement de ce qui se passe hors du marché du travail.

E & C : Pour des salariés hommes et femmes, de qualification, de temps de travail et d'âge... égaux, les écarts de salaires persistent-ils ?

S. P. : Toutes choses égales par ailleurs, on n'a quasiment pas d'écart de salaire. Si on prend un homme et une femme qui occupent exactement le même poste, ont la même trajectoire de carrière et les mêmes fonctions, il y a neuf chances sur dix pour qu'on n'observe aucun écart. Le problème, c'est que ce «toutes choses égales par ailleurs» ne se rencontre pas massivement dans la réalité. Des femmes vont effectuer les mêmes missions que les hommes, mais pas formellement dans les mêmes postes.

E & C : Pensez-vous que l'organisation même de l'entreprise génère les écarts de salaire - elle récompense aussi le présentéisme, la disponibilité, la mobilité... ? Et quels sont ses leviers pour les corriger ?

S. P. : Il existe ce que les économistes appellent la discrimination statistique : c'est l'idée que l'on se fait d'une certaine catégorie de personnes. Là, on peut penser, par exemple, que les femmes sont faites pour avoir des enfants, qu'elles préfèrent s'en occuper que d'aller à des réunions tardives, à des déjeuners d'affaires, en déplacement aux Etats-Unis, ou qu'elles risquent d'être absentes pour s'occuper d'un enfant malade. Plutôt que de prendre le risque d'embaucher ou de promouvoir une femme qui, peut-être, n'aura pas ça en tête, on préférera prendre un homme.

C'est aussi dans le déroulement des carrières et dans les postes où sont affectés les hommes et les femmes que se trouvent les raisons des écarts de salaire. Effectivement, il y a des choses à changer dans les comportements, en matière de promotion, par exemple. Mais cela s'imbrique à la fois dans l'évolution de la société dans son ensemble et dans celle du travail et de la relation salariale.

Un aspect intéressant de la question du salaire des femmes est la raison pour laquelle il est, en moyenne, inférieur : plus souvent que les hommes, les femmes occupent des «mauvais» emplois. Des postes où l'on prend les gens, puis on les jette ; où ils doivent s'adapter à n'importe quel horaire... Des femmes acceptent ces emplois parce qu'il faut qu'elles travaillent, qu'elles ne sont pas qualifiées, que c'est près de chez elles, et qu'elles n'arrivent pas à organiser la garde de leurs enfants. Ces emplois menacent la norme salariale de tous, hommes et femmes, surtout ceux dont les niveaux d'éducation sont les plus faibles.

E & C : Peut-on imaginer que ces écarts de salaire disparaissent ? Que pensez-vous du projet de loi sur l'égalité des salaires ?

S. P. : Si on fait une projection grossière à partir de ce qui s'est passé dans les dix dernières années - un resserrement de l'écart des salaires de l'ordre d'un point en dix ans -, l'égalité, c'est dans environ deux siècles. Pour que le processus s'accélère, cela met un peu tout en question : il y a des choses qui tiennent aux pratiques des entreprises et d'autres aux normes sociales, à l'idée que l'on a de chacun dans la société.

Si la loi est un moyen de sensibiliser aux inégalités de traitement dans l'entreprise, c'est une bonne chose. Mais il y a déjà des lois... S'il y a peu d'actions en justice, ou d'actions de rattrapage des salaires, est-ce que ça tient à un déficit légal ou à autre chose ? Toutes choses égales par ailleurs, il y a probablement peu de discrimination salariale. C'est en agissant sur ce qui n'est pas égal par ailleurs qu'on va avancer, comme sur l'orientation des filles et des garçons durant leur scolarité et après le bac, ainsi que sur la répartition des tâches domestiques et des responsabilités familiales.

Quand les femmes s'en mêlent - Genre et pouvoir, Christine Bard, Christian Baudelot et Janine Moussuz-Lavau, éd. de la Martinière, 2004.

Histoire du travail des femmes, Françoise Battagliola, La Découverte, collection Repères, 2e édition 2004.

Le temps partiel : un marché de dupes ?, Tania Angeloff, Syros, 2000.

parcours

Docteure en sciences économiques, Sophie Ponthieux est chargée d'études, d'abord à la Dares (ministère du Travail), de 1994 à 1999, puis à l'Insee, au sein de la division «conditions de vie des ménages», où elle a mené des études sur les inégalités (dont entre femmes et hommes) et sur la pauvreté.

Elle a contribué au rapport, pour la ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle, intitulé Inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité (mission dirigée par F. Milewski, mars 2005) ; également à Femmes, genre et sociétés, au chapitre «Ecarts de salaire entre femmes et hommes», avec Dominique Meurs (sous la direction de M. Maruani, La Découverte, 2005).

Auteur

  • Gina de Rosa