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« Les TMS : une bombe à retardement pour l'entreprise »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 29.03.2005 | Violette Queuniet

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« Les TMS : une bombe à retardement pour l'entreprise »

Crédit photo Violette Queuniet

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) connaissent une forte évolution. Le coût de leur traitement et les arrêts maladie qu'ils entraînent représentent une véritable bombe à retardement pour le régime de la Sécurité sociale et pour les entreprises. La solution passe par la robotisation des postes.

E & C : Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent la première maladie professionnelle en France. Médicalement, de quoi s'agit-il et à quoi sont-ils dues ?

Francis Chaise : Les TMS sont un groupe de pathologies. C'est la tendinite de l'épaule, qui peut aller jusqu'à la rupture des tendons. Au niveau du coude, ce sont des inflammations tendineuses, des contorsions nerveuses (nerf cubital et nerf radial). Le nerf radial est très fréquemment atteint et, au niveau du poignet, on a aussi un ensemble de tendinopathies et de compressions nerveuses comme celle du canal carpien, qui est une pathologie d'une fréquence extraordinaire. Il faut bien comprendre que ces maladies ne sont pas associées à des professions spécifiques mais à des gestes répétitifs exécutés à très haut rythme : voilà la spécificité des TMS. Le travail à la chaîne en est la cause, car il n'y a pas de temps mort. Les ouvriers, en particulier dans la découpe de volaille, effectuent des milliers de gestes souvent très durs. Chaque geste répétitif va induire une surcharge ostéotendinoarticulaire, c'est-à-dire qu'elle va toucher les structures anatomiques du membre supérieur et entraîner les pathologies qui en découlent : les tendinopathies, les syndromes compressifs nerveux.

Mais il ne faut pas dissocier le physique du psychologique : les personnes atteintes sont souvent peu qualifiées, payées à bas prix, malheureuses dans leur vie et dans leur boulot, et n'ont qu'une envie : exprimer leur douleur. La maladie professionnelle est une manière d'exprimer la douleur de vivre qu'elles ressentent. Ce genre de travail rend donc deux fois malade : psychologiquement, parce qu'il n'a pas de sens, et physiquement, parce que les salariés sont transformés en automates face aux chaînes ou aux machines d'usine.

E & C : Le traitement chirurgical est-il toujours obligatoire ? Y a-t-il récidive ?

F. C. : Le traitement du syndrome du canal carpien et de la contorsion du cubital donne d'excellents résultats. Le taux de récidive - 0,14 % - est insignifiant. La douleur se mesure bien : ce sont des fourmillements dans la main, plus intenses la nuit. Quand on opère, ces fourmillements disparaissent. En revanche, je suis beaucoup plus prudent avec toutes les pathologies tendineuses, les tendinopathies, en général, que ce soit l'épaule ou le coude. Je n'opère qu'après épuisement de toutes les tentatives médicales possibles : anti-inflammatoires, repos, massages. On n'a rien pour mesurer la douleur dans les cas de tendinite. Il convient de vraiment bien analyser la pathologie, le poste et la motivation du patient. Quand on examine les résultats du traitement d'une pathologie, on ne peut pas faire l'économie de sa prise en charge sociale. Or, en termes d'arrêt maladie, les suites de ces pathologies sont très différentes.

Une opération du syndrome du canal carpien, c'est 15 à 50 jours d'arrêt de travail. Quinze jours pour un salarié qui aime ce qu'il fait ou quelqu'un qui exerce une profession libérale, 50 jours pour un ouvrier de la volaille qui redoute de reprendre une activité pénible, alors que, physiquement, il ne souffre plus. En revanche, pour les tendinopathies, il est beaucoup plus difficile de remettre les gens au travail : on voit des arrêts maladie de deux ou trois ans. Les gens ne veulent pas reprendre, même s'ils se sentent en forme. Ils disent que ce qu'ils font est trop dur et qu'ils ne pourront pas réussir à tenir le rythme. Ce n'est pas mesurable, c'est du subjectif pur. Il est clair qu'il existe une composante psychologique qu'il faut prendre en compte. Psychologique ne veut pas dire tire-au-flanc : ces personnes souffrent vraiment.

E & C : Comment faire diminuer ces pathologies ?

F. C. : Les TMS, c'est l'inadaptation d'une personne à une machine ou à une chaîne. Il faut donc changer la machine. Cela passe par une ergonomie des postes. Les entreprises qui ont fait l'effort de modifier les postes de travail ont vu leurs taux d'accidents du travail et de maladies professionnelles fortement diminuer. Mais la piste idéale, c'est la robotisation de ces postes à faible valeur ajoutée. Il y a certainement, dans les établissements, des pistes pour robotiser les postes et proposer aux salariés d'autres travaux, par exemple de surveillance de machines, comme on le voit dans l'automobile. Evidemment, la robotisation a un coût. Mais les maladies professionnelles sont quand même payées par les employeurs. Je pense qu'il faut les aider à automatiser les postes pour ne pas assister à une explosion des TMS. On fait, en France, 80 000 opérations du canal carpien par an. Pour ma part, j'en vois tous les jours, on est écrasé par le nombre de patients. Les TMS représentent, aujourd'hui, 50 % des cas de maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail. C'est une véritable bombe à retardement pour la Sécurité sociale mais surtout pour les entreprises. La Sécurité sociale a toujours le levier formidable de l'impôt. Les entreprises, qui sont taxées pour la maladie professionnelle et l'accident du travail, n'accepteront pas indéfiniment de voir leur cotisation augmenter. Elles n'auront qu'une envie, c'est d'y échapper en délocalisant.

La Bible.

Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, éd. Gallimard.

Fausse piste, James Crumley, 10/18, 1990.

parcours

Chirurgien de la main et des nerfs périphériques, Francis Chaise est ancien interne et ancien chef de clinique des Hôpitaux de Paris. Il a fait une partie de ses études en Amérique du Nord et est diplômé de l'université Laval, au Canada. Il a également été chef de clinique au Centre d'orthopédie de Tunis.

Il exerce, aujourd'hui, à la Clinique Jeanne-d'Arc, à Nantes, un des six pôles d'urgence spécialisés en chirurgie de la main en France.

Il est secrétaire général de la Société française de la chirurgie de la main.

Auteur

  • Violette Queuniet