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Enquête

quand l'esprit d'entreprise vient aux salaries

Enquête | publié le : 22.03.2005 | Guillaume Le Nagard

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quand l'esprit d'entreprise vient aux salaries

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Faire de leurs managers de vrais entrepreneurs internes : beaucoup de grands groupes y voient le moyen d'être plus innovants et compétitifs, peu y parviennent. Il faut donner des marges aux salariés, encourager l'initiative. C'est une affaire d'organisation comme de culture. Car l'esprit d'entreprise ne se décrète pas.

Si l'esprit d'entreprise se décrétait, la plupart des managers seraient de vrais patrons. Cette formule à la Audiard, avancée par un consultant en management, indique bien que le compte n'y est pas. Des collaborateurs engagés, autonomes, capables de prendre des initiatives : beaucoup d'entreprises en rêvent, quelques-unes seulement en ont fait un état d'esprit. Pourtant, l'«intrapreneuriat», qui définit l'entrepreneuriat au sein d'une organisation, est un thème régulièrement remis à la mode au sein des grands groupes.

« Aujourd'hui, l'intérêt des dirigeants pour l'entrepreneuriat est vif, indique Thomas Legrain, Pdg de Coach'Invest, une structure spécialisée dans l'accompagnement des PME, notamment par les grands groupes, et qui bénéficie du soutien actif d'une cinquantaine de grands patrons français. En quête de compétitivité, ils ont largement suivi la voie de la réduction des coûts depuis quatre ans. Beaucoup considèrent qu'ils sont arrivés au bout et qu'il faut désormais renouer avec une stratégie plus dynamique. »

Effet de conjoncture

Innover, créer, se réinventer : avec une croissance mondiale moyenne à 5 %, avec des frémissements en Europe occidentale, la tâche de créer de la richesse pourrait désormais reposer autant sur des entrepreneurs internes que sur les cost-killers. Olivier Basso, professeur à l'Institut Singleton et enseignant dans le cadre de programmes internationaux pour dirigeants (ESCP-EAP, Esade, Duke University...), qui vient de publier avec Thomas Legrain un cahier sur le thème à l'Institut de l'entreprise (lire l'interview p. 17), y voit même un peu plus qu'un effet de conjoncture : « Au-delà de cette succession de phases, l'idée de croissance est peut-être de plus en plus fondée sur les notions d'innovation et de différenciation. Et, même l'avantage sur les coûts peut passer par de l'innovation. »

D'autant que, selon les auteurs, l'impact en matière de management et de GRH d'une telle approche est de plus en plus recherché, alors que, pendant la période de croissance des start-up, les grands groupes ont souvent considéré l'entrepreneuriat comme une façon d'accéder à de nouveaux marchés ou à de nouvelles technologies, en accompagnant ou en finançant de jeunes entreprises. « Avec un effet souvent faible sur leur activité », note Thomas Legrain.

Leadership

Douglas Rosane, directeur d'ISR France, société d'étude et de conseil spécialisée dans l'engagement des salariés, voit dans le leadership l'un des leviers essentiels de la motivation des salariés. La prise de conscience est d'autant plus forte que les entreprises ne peuvent plus proposer un seul schéma de carrière à leurs cadres. « On recherche une meilleure adéquation poste/individu, on recrute de plus en plus pour mener un projet, on réfléchit aux carrières experts, indique-t-il. Tous les groupes travaillent en ce moment sur le sujet. »

Réactivité

Au-delà du constat, parmi les stratégies mises en oeuvre dans les sociétés qui favorisent l'innovation, ISR France a relevé un certain nombre de traits communs : la réduction des échelons hiérarchiques ; la diversité des profils d'individu ; la notion de respect affirmée dans les valeurs d'entreprise ; la mise en oeuvre du travail collaboratif, en réseau, en projets ; l'accompagnement de la prise de risque ; la reconnaissance et la rétribution de l'innovation. Un environnement qui permet, en outre, de mettre l'accent sur l'action : saisir les opportunités, être réactif.

Et les grandes entreprises qui en ont fait leur viatique ne le regrettent pas, pas plus que leurs actionnaires. Des exemples ? L'Oréal, son patron charismatique, sa croissance à deux chiffres depuis vingt ans et son culte de l'entrepreneuriat sur tous les marchés du monde. Ou l'Américain WL Gore, internationalement connu pour son textile respirant, le Goretex, incessamment amélioré, qui en fournit une illustration moins mondialisée, plus axée sur l'innovation technologique que sur le marketing. Ici, on a privilégié les relations informelles, le travail en réseau.

Discours volontariste

Dans les deux cas, un discours continu, volontariste, sur la valorisation de l'initiative et l'acceptation de l'échec, qui doit en être une contrepartie, est appuyé par l'organisation : multiplication des business units chez L'Oréal, approche par sites autonomes (recherche, production, gestion, administration) de 200 personnes chez Gore.

Ce discours sur l'initiative peut d'ailleurs irriguer tout ou partie de l'entreprise. Ainsi, chez 3M, l'innovation se crée avant tout dans les laboratoires. Les chercheurs et les développeurs du groupe bénéficient de dispositions très spécifiques : la double échelle de carrière, qui permet de progresser en rémunérations et en responsabilité tout en restant dans son domaine d'expertise technique ; la règle des 15 % «bootleg», littéralement 15 % de recherche clandestine, permettant de faire progresser, hors programme établi, une recherche personnelle. De quoi inventer, presque par hasard, mais en en saisissant l'opportunité, un succès mondial nommé Post-it.

Risques assumés

Mais faire de ses salariés de vrais patrons n'est pas si simple. Il faut accepter une part de désordre et de prise de risques, des essais et des erreurs. Deuxième équation à résoudre : la contrainte du REI et de la pression financière constante des actionnaires. Le rendement à court terme et la réinvention permanente comme la recherche des opportunités suivent des rythmes différents et des logiques souvent antagonistes. D'autant plus difficiles à imposer que la logique entrepreneuriale dans les grands groupes ne s'impose pas comme une exigence, car elle ne concerne pas la survie à court terme.

Michel Santi, professeur de stratégie, créateur et animateur de la filière «Entreprendre» du MBA de HEC, considère, ainsi, que l'esprit d'entreprise tient à la fois aux individus, les « germes », et à l'organisation, le « terrain ».

Adapter l'organisation

« Vouloir rendre les hommes entreprenants sans transformer l'organisation, c'est prendre le risque de la frustration et des départs, explique-t-il. Nous avons beaucoup de demandes d'entreprises, et, le plus souvent, nous commençons par essayer de savoir jusqu'où sont prêts à aller nos interlocuteurs. » Les marges étant toujours à définir dans la grande organisation, il faut, en effet, avant tout, préciser ce qu'est un entrepreneur interne : en quoi est-il différent d'un manager, d'un gestionnaire de projet, dont le planning et les objectifs sont précisément fixés par l'organisation ? Jusqu'où peut-il prendre des risques et comment d'éventuels échecs seraient sanctionnés ? Jusqu'où peut-il questionner l'entreprise sur son fonctionnement ? Comment rétribuer l'initiative ?

L'enjeu, résument Olivier Basso et Thomas Legrain, est de combiner des logiques différentes pour devenir une « entreprise ambidextre, capable à la fois d'exploiter son métier de base et d'explorer de nouveaux territoires ».

L'essentiel

1 La réduction des coûts atteint ses limites, et les grandes entreprises recherchent désormais une stratégie de croissance plus dynamique : comment innover, saisir les opportunités ?

2 Transformer ses salariés en entrepreneurs internes est séduisant. Mais la dynamique entrepreneuriale n'est pas simple à mettre en oeuvre dans des groupes hiérarchisés, aux process lourds.

3 Certains ont su adapter leur organisation et leur culture à cet objectif, comme L'Oréal, ou WL Gore ; d'autres y consacrent des programmes de formation ou des départements. Mais tous y voient, désormais, aussi, un enjeu de management, de motivation et de gestion de carrière.

Définitions et pratiques

Intrapreneur : Michel Santi, professeur à HEC et créateur du programme «Entrepreneuriat», le définit, notamment, comme un manager qui poursuit un projet d'activité dépassant les ressources qu'il contrôle habituellement, pour lequel il doit convaincre et obtenir des moyens supplémentaires. Par son action, il crée une nouvelle organisation ou participe au «renouvellement» de l'organisation par l'innovation. Dans l'univers fortement structuré de la grande entreprise, il est difficile de rapprocher la posture du manager de celle de l'entrepreneur. De nombreuses différences résident dans le choix des collaborateurs, la légitimité en matière de choix de stratégie, en partie liée à la propriété ou non du capital de l'entreprise. Certaines organisations ou discours d'entreprise visent à réduire ces différences en accordant des marges aux managers.

Corporate venturing : définit les processus et actions conduisant à la création de nouvelles activités à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise. Corporate venturing interne, conduisant à la création de start-up internes, de centres de profits ou de business units bénéficiant d'une certaine autonomie (reporting, gestion, moyens). Corporate venturing externe : joint-venture, essaimage, prise de participation dans des entreprises innovantes.

Strategic and management renewal : se réfère aux actions de l'entreprise permettant des changements d'organisation, de comportement ou de mode de fonctionnement et visant à créer une culture entrepreneuriale en interne.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard