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Homme d'affaires ou homme d'entreprise ?

Demain | Chronique | publié le : 22.03.2005 | De P.-L. chantereau

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Homme d'affaires ou homme d'entreprise ?

Crédit photo De P.-L. chantereau

Dîner d'anciens élèves. On sait qu'il s'agit là d'un exercice périlleux, qui demande finesse et psychologie pour maintenir un équilibre subtil entre le détachement que devrait nous avoir donné le temps qui passe (mon Dieu, mais qu'est-ce que je fais là, avec tous ces gens ?) et le tribalisme inusable qui soude (dit-on) les promotions de la même école (quand même, ça fait du bien de se retrouver. On se referait bien une petite année sur le campus, si on pouvait).

Bref, on s'applique. Je passe sur les préliminaires, qui consistent essentiellement à trouver le mot juste pour chacun. Dans certains cas, la rencontre vire au pitoyable : impossible de reconnaître vraiment ce gros monsieur chauve qui prétend avoir tant rigolé dans la même équipe de TP que les autres. Un imposteur glissé dans le groupe ? Dans d'autres cas, c'est inouï : on a l'impression de s'être quitté la veille au soir. Et la conversation reprend comme si de rien n'était.

Puis, on passe aux choses sérieuses. On parle de la vie. De nos métiers. De l'entreprise. Encore quelques cognacs. Il se fait tard. La plupart sont déjà repartis. Les langues se délient. On est près des confidences. Peut-être même près de la vérité des vies d'homme.

« Moi, qu'est-ce que j'ai fait, finalement ? Des affaires. Réussi quelques bons coups. Gagné pas mal d'argent. J'en ai perdu aussi des tonnes. Poker menteur ou roulette russe, comme on veut. Quelquefois dans le mille. Souvent complètement à côté de la plaque. J'ai créé de la richesse. Surtout pour les banquiers, il faut bien le dire. Et pour le fisc. Ah, le fisc... »

Soupir. On sent qu'un cognac de plus ne sera pas de trop. Petit moment de détresse. Un peu ivre et un peu déçu, le virtuose de la finance, déjà si brillant à l'époque. Enrichi et frustré.

« Moi - dit un autre - quel bilan pourrais-je tirer ? Je suis un homme d'entreprise, ça c'est sûr. Pas un homme d'affaires. J'ai monté des projets, embauché plein de gens. J'en ai viré plus souvent que je voulais. J'ai créé de la richesse aussi. Partie Dieu sait où, la richesse. Dans les poches d'actionnaires anonymes. Dans les griffes du fisc aussi, tout comme pour toi. Qu'est-ce qui me reste ? Je ne sais pas. Si, je sais : essentiellement des souvenirs partagés avec plein d'équipes. Ah oui, c'est ça. Des souvenirs d'anciens combattants, de mercenaires du business des autres. Voilà ce qui me reste. C'est pas grand-chose, finalement... »

On me demande ce que j'en pense. Pas facile de penser, vu le taux d'alcoolémie. Essayons quand même. « Respect, Messeigneurs. A celui qui s'est enrichi, je dis bravo ! Fallait le faire ! A celui qui a enrichi les autres, je dis : bravo et merci pour eux ! Il n'y a qu'un bon choix : celui que vous avez fait. Et à ceux qui nous suivent, je dis : regardez bien ces dinosaures ; contre vents et marées, ils ont pris des risques, entraîné les autres, chuté, recommencé, recommencé encore. »

« Et priez pour qu'on vous laisse faire la même chose : assumer votre liberté économique. »

Pierre-Loïc Chantereau <www.groupe-equation.com>

Auteur

  • De P.-L. chantereau