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Créer, en France, un droit d'alerte en matière sociale

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 15.03.2005 | Pauline Rabilloux

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Créer, en France, un droit d'alerte en matière sociale

Crédit photo Pauline Rabilloux

Dans la foulée de la législation s'appliquant aux entreprises américaines cotées, des entreprises françaises réfléchissent à la manière d'adapter le whistleblowing, une pratique anglo-saxonne du droit d'alerte en matière sociale. En jeu : la modification du rapport du salarié à son employeur.

E & C : Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre la notion de whistleblowing ?

Yves Medina : L'idée nous vient d'outre-Alantique et fait référence au coup de sifflet de l'arbitre pour signifier un hors-jeu dans la pratique d'un sport d'équipe. Pour l'entreprise, il s'agit d'un concept issu de la sphère financière, et surtout publique, qui se traduit aujourd'hui, aux Etats-Unis, pour les entreprises américaines, mais aussi pour les étrangères implantées sur le territoire, par une obligation légale d'alerte en cas de fraude comptable. Un dispositif semblable étendu au domaine social y est désormais fréquent, de même qu'au Royaume-Uni et au Canada.

Ce droit d'alerte offre au salarié la possibilité de dénoncer aussi bien les agissements personnels que les pratiques managériales contraires à la législation ou aux valeurs revendiquées par l'entreprise. En France, l'idée fait son chemin, bien que la mise en place d'un tel dispositif soulève nombre de questions relatives tant au cadre juridique qu'à son organisation même.

E & C : Quelles formes concrètes pourrait prendre, en France, ce droit d'alerte, et quelles questions pose-t-il ?

Y. M. : Shell France, qui vient de se doter d'un dispositif d'alerte de ce type, l'a fait sous la forme d'un comité comprenant cinq représentants de la direction et cinq représentants du personnel. Il a vocation à recueillir, en toute confidentialité mais pas sous couvert de l'anonymat, les plaintes émanant des salariés. Philips dispose, actuellement, d'un dispositif analogue. Chez EDF, des délégués à l'éthique peuvent être directement alertés. Chez PricewaterhouseCoopers France, nous y réfléchissons dans le cadre de la mise en oeuvre de notre code de conduite.

Mais, quelle que soit la forme prise, je crois qu'un certain nombre de contraintes sont à intégrer pour cadrer avec les spécificités législatives et culturelles françaises : le recours au droit d'alerte doit rester facultatif ; il doit compléter ce qui existe et non s'y substituer. Son introduction doit être soigneusement négociée avec les partenaires sociaux et son application devrait sans doute se limiter à des domaines précis comme, par exemple, les risques de corruption ou le respect du code de conduite ou de la «politique» de l'entreprise.

Pour éviter les risques de dérapage, nous avons, en droit français, deux garde-fous : le délit pénal de dénonciation calomnieuse et le délit d'entrave, qui est de nature à préserver les droits reconnus aux représentants du personnel. Par ailleurs, il faut aussi réfléchir à la protection des personnes qui useraient de ce dispositif puisqu'il n'est pas question qu'un risque plane sur leur emploi. Sous réserve du respect de ces conditions, je pense qu'un tel droit d'alerte peut constituer un outil puissant de transformation des relations sociales au sein de l'entreprise.

E & C : Quels sont les atouts du whistleblowing en termes de GRH ?

Y. M. : Ce droit d'alerte peut participer de la mise en place d'un nouveau contrat social entre le salarié et son entreprise, fondé sur un véritable échange «donnant donnant». D'un côté, les rapports hiérarchiques s'assouplissent et font l'objet d'un code de conduite de l'entreprise incluant le droit d'alerte éthique ; de l'autre, l'implication du salarié au service de la vision, des valeurs et des objectifs de l'entreprise est renforcée. A n'en pas douter, cela va dans le sens de ce consensus social qui est plus que jamais l'un des atouts de la performance collective. Historiquement, on peut d'ailleurs rappeler qu'un tel dispositif s'inscrit concrètement dans le prolongement des lois Auroux de 1982, qui prônaient le renforcement du droit d'expression des salariés dans l'entreprise.

* Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises.

L'éthique des décideurs, Henri Hude, Presses de la Renaissance, 2004.

Les entreprises seront-elles un jour responsables ?, Michel Descolonges et Bernard Saincy, La Dispute, 2004.

La mondialisation et ses ennemis, Daniel Cohen, Grasset, 2004.

parcours

Ancien élève de l'ENA et d'HEC, Yves Medina, magistrat à la Cour des comptes, est vice-président de l'Orse (Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises) et associé en charge des questions de déontologie chez PricewaterhouseCoopers.

Il a publié, en 2003, La déontologie, ce qui va changer dans l'entreprise (éd. d'Organisation). Faisant suite à cette recherche, il réfléchit aujourd'hui aux conditions d'introduction en France du système anglo-saxon de whistleblowing ou droit d'alerte éthique.

Auteur

  • Pauline Rabilloux