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Enquête

Le vivier High-tech

Enquête | publié le : 01.03.2005 | Sandrine Franchet, envoyée spéciale en Inde

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Le vivier High-tech

Crédit photo Sandrine Franchet, envoyée spéciale en Inde

Fort d'une main-d'oeuvre nombreuse, bien formée et peu coûteuse, le sous-continent indien part à l'assaut des marchés mondiaux, et s'appuie sur les nouvelles technologies pour accélérer son développement. Et si, pour l'instant, l'Inde demeure un «nain économique» face à la Chine, c'est encore sur sa population qu'elle mise pour rattraper son retard.

Première affiche : la célèbre colline d'Hollywood barrée du mot «Bollywood». Deuxième affiche : La Joconde affublée du traditionnel «bindi» (point rouge) sur le front et de bijoux indiens. Troisième affiche : un marchand ambulant de douceurs indiennes sur la place du Trocadéro, la tour Eiffel en toile de fond. Dernière affiche, un slogan : «Parce que l'Inde va de l'avant». La campagne de publicité du Times of India qui s'étalait, début février, sur le «Marina Drive» de Bombay (l'équivalent de la Promenade des Anglais à Nice), résume bien l'état d'esprit qui règne dans la capitale économique et financière indienne : tranquillement, mais sûrement, le pays part à la conquête des marchés globaux... et s'y voit déjà. C'est avec fierté qu'il rappelle qu'il est la quatrième puissance mondiale en parité de pouvoir d'achat (cinquième si l'Union européenne est considérée dans sa globalité). Même si le professeur Misra, doyen à l'Indian Institute of Technology (IIT) de Bombay, tempère : « Le réel succès de l'Inde est encore à venir. Ce sont nos 358 millions de jeunes de 6 à 19 ans, qui représentent la main-d'oeuvre de demain, qui le feront. »

Un PIB supérieur à celui de l'Europe en 2040

Une étude, publiée en 2003 par Goldman Sachs, prévoit que le taux de croissance annuel indien se maintiendra à 6 % jusqu'en 2040, quand celui de la Chine passera en dessous des 5 % à partir de 2020. Résultat : le PIB indien dépassera celui de l'Europe en 2040, pour s'établir à environ 30 000 milliards de dollars en 2050, derrière les Etats-Unis (35 000 milliards de dollars) et la Chine (45 000 milliards de dollars).

Ouverture aux échanges internationaux

Depuis le début des années 1990, d'importantes réformes économiques ont mis fin au modèle de développement fondé sur l'étatisme et le protectionnisme, mis en place par Nehru, au lendemain de l'indépendance. L'Inde s'est lancée à corps perdu dans les privatisations et l'ouverture aux échanges internationaux. Même si elle demeure l'un des pays où les droits de douane sont les plus élevés, et si elle n'est encore qu'un «nain économique» au niveau mondial (l'Inde participe pour moins de 1 % du commerce international, et les investissements directs étrangers - 5 milliards d'euros - sont dix fois moins élevés qu'en Chine), en un peu plus de dix ans, elle a vu ses exports de marchandises multipliés par 4 et ses exports de services par plus de 7.

Depuis l'installation de Texas Instrument, à Bangalore (Etat du Karnataka), en 1985, le pays est également l'un des hauts lieux d'implantation des entreprises occidentales de nouvelles technologies : Microsoft, IBM, Intel, Oracle, Accenture, Capgemini sont, notamment, présentes. C'est d'ailleurs ce créneau des technologies de l'information que les entreprises indiennes ont massivement investi, s'appuyant sur des filières de formation en ingénierie en plein boom, de qualité comparable aux cursus américains ou européens (voir l'article p. 15).

«Bodyshopping»

Dès la fin des années 1960 en ce qui concerne TCS (Tata Consultancy Services), les entreprises indiennes proposent du «bodyshopping» (il s'agissait alors de «louer» des ingénieurs informaticiens sur site aux sociétés, principalement américaines). En 1991, l'entreprise Satyam établit la première une liaison satellite qui lui permet de proposer à ses clients américains des prestations offshore. « Pour prouver à nos clients que c'était réalisable, nous avons, pendant six mois, simulé aux Etats-Unis la réalisation d'une mission en Inde : les équipes travaillaient la nuit et ne communiquaient qu'à distance avec le client », se souvient Rama Raju, directeur général de Satyam. De 700 salariés en 1995, l'entreprise passe à 10 000 en 2000, et en compte aujourd'hui le double.

Croissance exponentielle

Sur l'ensemble de l'Inde, de 6 800 en 1984-1985, le nombre de salariés qualifiés dans l'industrie des logiciels et des services est passé à 650 000. Sachant qu'un ingénieur indien débutant gagne, en moyenne, 5 000 dollars par an, pour atteindre 12 000 dollars au bout de quelques années d'expérience. « Certaines entreprises recrutent 3 000 à 5 000 jeunes diplômés en technologies de l'information chaque année, indique le professeur Misra. Il s'agit clairement d'une industrie de main-d'oeuvre. »

Tendance irréversible

En 2004, ce sont 12 milliards de dollars (+26 %) qu'ont rapportés les exports de services informatiques (à 68 % à destination des Etats-Unis), dont plus de 3 milliards dans le domaine, de plus en plus porteur, du BPO (Business Process Outsourcing : externalisation de processus complets, tels que le back office ou les centres d'appels).

Pour Azim Premji, président fondateur du groupe de services informatiques Wipro (dont les prestations sont fournies à 70 % offshore), « le développement des services offshore est une tendance irréversible : tant en matière de R & D que de juridique ou de comptabilité, les entreprises pratiquent désormais un sourcing global ! Grâce aux nouvelles technologies, travailler depuis Paris avec une entreprise indienne est aussi simple qu'avec une entreprise marseillaise ».

Pour autant, l'Europe, à l'exception notable du Royaume-Uni, n'«accroche» pas, pour l'instant, au modèle indien, ne serait-ce qu'en raison des problèmes de langue (mais aussi, notamment en France, en raison de l'opposition politique et syndicale aux délocalisations). A tel point que les entreprises indiennes se voient désormais obligées d'investir et de recruter en Europe pour développer le «near-shoring» (voir article p. 16).

Développer les infrastructures

Les autres obstacles que l'Inde devra franchir pour réussir son pari résident tant dans le développement des infrastructures (transports, télécoms, énergie...), qui ont, pour l'instant, bien du mal à suivre le boom des services, que dans l'augmentation des salaires, et donc des coûts, qui commence à se faire jour. « Les entreprises indiennes sont réputées pour leurs bas coûts, mais elles construisent aujourd'hui à partir de cette renommée et mettent en avant leur qualité de service et leur productivité », assure Azim Premji, qui considère que Wipro joue, désormais, dans la même cour qu'IBM, Capgemini ou Accenture.

200 000 ingénieurs par an

L'Inde mise également sur sa démographie, qui lui permet, à l'heure actuelle, de produire plus de 200 000 ingénieurs et plus de 2 millions de diplômés chaque année, pour contrer la concurrence des autres pays à faible coût de main-d'oeuvre, et notamment de la Chine. L'Inde comptera ainsi 180 millions d'actifs en plus d'ici à 2020, quand la Chine verra le nombre de ceux-ci se réduire de 10 millions.

Last but not least, dans un pays dont 70 % de la population tire encore ses revenus de l'agriculture, et dont 20 % vit en dessous du seuil de pauvreté, la diffusion de la croissance aux autres secteurs de l'économie et le partage de la richesse pourraient constituer le grain de sable qui grippe la machine...

L'essentiel

1 Depuis les années 1990, l'Inde s'est fortement spécialisée dans les services informatiques, dont elle est devenue le premier exportateur, grâce au succès de l'externalisation offshore à destination de clients majoritairement américains.

2 Son principal atout dans la compétition mondiale est sa population nombreuse (1,1 milliard d'Indiens), anglophone, peu coûteuse et qualifiée. L'Inde a, depuis les années 1950, développé des cursus de formation dans le domaine des sciences et technologies dignes des pays occidentaux.

3 Pour autant, le modèle de l'offshore rencontre aujourd'hui des limites, et les entreprises indiennes commencent à s'implanter au plus près des marchés européens.

L'Inde

> Superficie : 3 287 590 km2 (6 fois la France).

> Population : 1,1 milliard d'habitants (1/6e de la population mondiale).

> Système politique : démocratie fédérale (30 Etats et 5 territoires de l'Union).

> PIB : 664,2 milliards de dollars en 2004 (24 % provenant de l'agriculture, 27 % de l'industrie et 48 % des services).

> PIB par habitant : 610 dollars.

> Taux de croissance : 8,5 % en 2003 (5,7 % par an en moyenne depuis 1991).

> Taux de pauvreté : 20 % de la population en dessous du seuil de pauvreté.

Auteur

  • Sandrine Franchet, envoyée spéciale en Inde