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Enquête

Le nouveau prix du social

Enquête | publié le : 22.02.2005 | Guillaume Le Nagard

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Le nouveau prix du social

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Les nouvelles normes comptables obligent à provisionner des charges pour des engagements sociaux qui y échappaient en normes françaises. Certains régimes de retraites et de santé, notamment, seront dans le collimateur des auditeurs financiers, tout comme les stock-options et l'actionnariat salarié. Première mission des DRH : identifier tous ces dispositifs. Avant, peut-être, de refonder leur réflexion sur les rémunérations globales.

« Pas d'impact des normes IFRS », « Impact positif des nouvelles normes » : plusieurs multinationales françaises, parmi les plus précoces à tenir leur réunion d'information financière sur les chiffres 2005, s'empressent de rassurer leurs actionnaires depuis quelques semaines. PSA, PPR, Rhodia, notamment, viennent de faire passer le message, alors que cette transition obligatoire vers les nouvelles normes comptables, imposée par l'Europe au 31 décembre 2005 pour 7 000 sociétés cotées et leurs 30 000 filiales, fait peur. Elle est susceptible d'exhumer des passifs énormes dans les bilans et de réduire les résultats annuels.

Levée de rideau, en ce moment même, puisque le bilan de fin 2005 doit être comparable à un bilan d'ouverture, présenté au premier semestre de cette année. Objectif de ces normes appelées IFRS-IAS* : favoriser une harmonisation internationale de la présentation des comptes, les rendre plus compréhensibles et permettre une meilleure lisibilité de la valeur réelle ou «fair value» des entreprises cotées (les seules concernées pour le moment). Actionnaires de tous les pays, réjouissez-vous.

Les DRH impliqués

En revanche, certains DRH ont comme un poids sur l'estomac. Car les deux normes qui les intéressent en particulier peuvent faire émerger dans les bilans des engagements sociaux qui n'y figuraient pas en normes françaises. Et ils sont, en effet, soumis à la constitution d'une provision, de nature à alourdir la dette de l'entreprise. L'IAS 19 s'applique aux engagements de retraite et assimilés (régimes prestations définies, indemnités de fin de carrière, prévoyance santé pour les retraités), ainsi qu'aux engagements à long terme (primes et médailles du travail). Tous les avantages liés à un contrat de travail, un accord d'entreprise, une convention collective, et dus après un délai de douze mois, devront être provisionnés - en deçà, ils continueront de figurer dans les charges courantes.

Bombe à mèche lente

L'IFRS2 concerne, elle, les rétributions en actions et assimilés (stock options et plans d'actionnariat salarié avec décote). Dans les entreprises qui utilisent largement cet outil de rémunération, elle risque de se transformer en bombe à mèche lente sur le résultat annuel (le deuxième exercice en IFRS, et les suivants, seront plus impactés que le premier).

« Je n'avais pas réalisé à quel point je cumulais des passifs », indique ainsi le patron des RH d'une activité, dans une multinationale française présente dans quinze pays. Il ne détaille pas son bilan de compétences, mais bien les avantages consentis aux salariés de son entreprise. Ces engagements existaient déjà, mais, sous normes françaises, pouvaient être indiqués hors bilan, voire simplement financés au fil de l'eau.

Addition salée

Et la surprise peut coûter cher. Exemple avec les seules médailles du travail : l'addition pour Atofina se monte à 70 millions d'euros ; pour Thalès, à 100 millions d'euros. Les indemnités de fin de carrière (IFC) sont plus lourdes. Mais souvent sans surprise. « Il s'agit d'un des avantages les mieux identifiés, tempère en effet Jacqueline Massieux, consultante régimes sociaux chez Hewitt. Beaucoup d'entreprises françaises les comptabilisaient déjà. La norme américaine US Gaap, proche de l'IAS, l'imposait pour les filiales aux Etat-Unis. »

Plus significatifs encore : les régimes de retraites. Seules les retraites à prestations définies sont concernées. La France est globalement à l'abri des grosses surprises : « Les cotisations Agirc-Arcco n'ont pas à être provisionnées et les régimes à prestations définies - de type article 39 - sont, soit en cours de fermeture, soit réservés à une population restreinte, indique Philippe Burger, spécialiste rémunération et avantages sociaux de Towers Perrin. La transition aura des effets plus nets sur les dispositifs à l'international. »

Le poids des retraites étrangères

Par exemple, Air Liquide recense, au titre des engagements de retraites et des avantages sociaux, des régimes à prestations définies américains, japonais, suisses et allemands, ainsi que certains plans canadiens, auxquels il faut ajouter les couvertures de soins médicaux des retraités américains et canadiens. Les engagements de retraites les plus importants se trouvent d'ailleurs, en général, hors de France. En février 2003, l'agence de notation financière Standard & Poor's avait déjà pointé la situation d'une douzaine d'entreprises européennes en matière de retraites. Michelin et Arcelor y étaient cités pour le passif social de leur filiales américaines. L'avertissement a été levé depuis, mais Michelin cumule toujours 5 milliards d'euros de passifs de retraites, essentiellement sur son régime américain. Pour Carrefour, la Belgique sera le principal pays concerné par l'IAS19, compte tenu de sa législation sociale (plans de prépension, régime crédit temps).

Délai de deux ans

Quant aux régimes de retraite spéciaux, les chiffres donnent simplement le vertige. Des entreprises publiques comme EDF ou La Poste, qui ont un délai de grâce de deux ans avant de passer aux IFRS, cumulent des engagements de 15 milliards d'euros pour la première (avant la réforme de la fin 2002, ils étaient de 80 milliards d'euros), et de 57 milliards d'euros pour la seconde. Si ces sommes devaient être intégrées au bilan, creusant la dette, ces entreprises se retrouveraient en situation de faillite. Après avoir adossé une partie de ses retraites au régime général, EDF négocie un second étage avec l'Agirc et l'Arrco. L'accord de protection sociale, qui séparait notamment les actifs et les retraités dans le régime de prévoyance a, lui, fait long feu. Signé en décembre dernier, minoritaire, il est désormais caduc, la CGT, la CFDT et FO ayant fait valoir leur droit d'opposition.

Caractère conflictuel

C'est dire le caractère potentiellement conflictuel que pourrait prendre l'optimisation des régimes en fonction des nouvelles normes. La prévoyance-santé est au coeur des réflexions entamées par les entreprises. La volonté d'équilibrer des régimes aux coûts mal contrôlés l'y avait déjà placée, mais le passage aux nouvelles normes pourrait accélérer le processus. « Les retraités coûtent, en moyenne, deux à trois fois plus cher en consommation de santé que les actifs, indique John Hall, responsable du département benefits chez Mercer HR France. Si les contributions actifs, retraités et employeur sont mutualisées, l'engagement de l'entreprise vis-à-vis de ces bénéficiaires extérieurs doit être provisionné. Et, il n'est pas simple à comptabiliser. »

La BNP, le Crédit du Nord et Total ont commencé à renégocier des accords de prévoyance-santé séparant les retraités des actifs. Au fil du renouvellement des accords, ce point risque de devenir un élément de négociation classique. « Parmi la vingtaine de clients que j'ai accompagnés pour le passage aux nouvelles normes, la quasi-totalité avait modifié son régime santé dans ce sens, bien avant l'arrivée des IFRS », indique d'ailleurs Catherine Plessis, consultante de Deloitte.

Lister les engagements

Par la suite, il faudra sans doute encore éplucher la liste des engagements potentiels, qui n'ont pas revêtu le caractère d'urgence, ni le poids, des retraites et de la prévoyance, ou qui sont encore jeunes : les avantages en nature, le CET, le DIF - sur lequel le Conseil national de la comptabilité a rendu un verdict temporaire nuancé...

Depuis parfois deux ans, dans les groupes internationaux, DRH et direction financière ont appris à travailler ensemble, notamment à l'identification des engagements sociaux dans toutes les filiales ; parfois à un début d'harmonisation de ces avantages et rémunérations globales. Elles ne sont pas près de se quitter.

* Pour International financial reporting standards et pour International accounting standards.

L'essentiel

1 Pour la première fois cette année, les entreprises cotées devront présenter leur comptes en normes internationales IAS-IFRS. Les normes IAS19 et IFRS2 intéressent particulièrement les DRH.

2 Elles contraignent les entreprises à provisionner en charges certains dispositifs de leur politique RH. Des engagements sociaux, retraites et santé peuvent peser plus lourd dans les comptes. Idem pour les stock-options et l'actionnariat salarié.

3 Pour identifier ces différents dispositifs, les harmoniser, voire les optimiser en fonction des nouvelles normes, les DRH et les directions financières sont appelées à poursuivre un rapprochement, souvent inauguré avec la réflexion sur les rémunérations globales.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard