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TPE et PME en route vers la prevention ?

Enquête | publié le : 08.02.2005 | Jean-François Rio

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TPE et PME en route vers la prevention ?

Crédit photo Jean-François Rio

Alors que le gouvernement met la dernière main à son «plan santé au travail 2005-2009», qu'en est-il de la prévention des risques professionnels dans les PME et TPE ? Ont-elles digéré le document unique ? Leurs dirigeants sont-ils davantage impliqués dans les politiques de prévention ? Quelles sont les démarches les plus efficaces et les pistes de progrès ? Tour d'horizon...

Qui a dit que la santé au travail était l'apanage des grandes entreprises ? Sébastien Lebeurrier est un dirigeant de TPE qui pourrait figurer dans tous les bons manuels de prévention. A la tête de la Boucherie de la Gare, un commerce de six personnes situé à Pomponne, une commune de Seine-et-Marne, ce «petit patron» a décroché, l'an dernier, l'un des trophées décernés par l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) dans le cadre de sa Semaine pour la qualité de vie au travail. Son action ? Avoir repensé de A à Z l'aménagement de sa boucherie afin de limiter les risques d'accidents et de juguler les tâches pénibles. « Les conditions physiques du travail étaient vraiment harassantes, se souvient-il. Le personnel est jeune, donc encore résistant à une certaine forme de pénibilité, mais cela ne pouvait plus durer. D'autant qu'un accident était possible à tout moment. »

396 300 euros d'équipement

Avec le soutien de la Cram (caisse régionale d'assurance maladie) et de la CCI, Sébastien Lebeurrier investit 396 300 euros. Un budget qui lui permet d'acquérir un rail aérien destiné à mécaniser le transport des carcasses. Autres réalisations : la pose d'un revêtement de sol antidérapant pour limiter les risques de chute et la conception de plans de travail ergonomiques intégrant des tiroirs à garde pour les couteaux. Sans compter une climatisation et des vestiaires flambant neufs pour le personnel ! Des équipements qui ont changé la vie de la boucherie.

« Outre une diminution de la fatigue, il y a un effet certain sur la productivité ainsi que sur la motivation des salariés, constate Sébastien Lebeurrier. C'est aussi un élément de fidélisation dans un secteur où il faut compter plus d'un an pour trouver un bon ouvrier. Par ailleurs, nous avons enregistré une progression de notre chiffre d'affaires en améliorant le service. Auparavant, lorsqu'un client arrivait à 19 heures, il n'était pas forcément accueilli avec le sourire. »

Manque de recul

La Boucherie de la Gare, un cas isolé ? Sans doute pas. Mais force est d'admettre, qu'obnubilés par la survie de leur entreprise et ne disposant pas des ressources financières et humaines suffisantes, les dirigeants de TPE et de PME ne brillent pas par leur volontarisme en matière d'évaluation et de prévention des risques. « En tant que médecin du travail, lorsque je discute avec eux, ils me disent qu'ils sont étranglés par leur business, qu'ils ne bénéficient d'aucun recul pour l'analyse des risques », soulève Bernard Salengro, président du syndicat des médecins du travail et responsable de la santé au travail à la CFE-CGC.

Culture de la sécurité

D'après certaines estimations, les PME enregistreraient deux fois plus d'accidents du travail que les grandes entreprises (1). Dans l'Union européenne, le taux d'accidents mortels dans les sociétés de moins de 50 personnes est près de deux fois supérieur à celui observé dans les groupes. « La Commission européenne a admis que la culture de la sécurité au travail dans les PME était une vraie problématique, notamment en raison de l'absence de ressources. Dans ces entreprises, il y a une sur-représentation des accidents du travail », confirme Roland Gauthy, ergonome et chargé de recherche au Bureau technique syndical européen (BTS), une structure créée, à Bruxelles, sous l'égide de la Confédération européenne des syndicats.

Dépourvues, pour nombre d'entre elles, de structures de représentation du personnel, et en particulier de CHSCT, les PME sont également contraintes de gérer, pour le compte de leurs donneurs d'ordres, les tâches les plus dangereuses. « Les groupes externalisent le risque vers leurs sous-traitants. En interne, poursuit Roland Gauthy, les multinationales font la course au zéro accident, mais, en réalité, elles reportent la gestion de leurs risques sur leurs prestataires. »

Responsabilité des donneurs d'ordres

« La PME ne peut plus tout assumer, remarque Jean-François Veysset, le vice-président de la CGPME : la flexibilité, les réductions de coûts, la qualité et, maintenant, la pénibilité, pour le compte d'autrui. Le donneur d'ordres doit avoir une responsabilité envers ses fournisseurs et ses sous-traitants. » Facile à dire. Après l'explosion de l'usine AZF, la CFDT a bien tenté de réclamer une transparence dans les contrats de sous-traitance et de prestations de services, lesquels auraient, selon le voeu du syndicat, comporté des clauses spécifiques sur la prévention des risques. En vain.

Menace de sanction pécuniaire

« Dans le secteur de l'intérim, rappelle Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT chargé des conditions de travail, un tiers des cotisations AT/MP sont assumées par les entreprises utilisatrices de travail temporaire. Or que remarque-t-on ? Elles ont une sensibilité plus importante en matière de prévention, tout simplement parce que plane la menace d'une sanction pécuniaire. »

Alors que la finalisation du «plan santé au travail 2005-2009» de Gérard Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, est imminente, le chantier de la prévention des risques dans les petites entreprises reste à construire. Au moins les experts sont unanimes sur une chose : la prise en compte des questions de santé au travail est de plus en plus prégnante dans les petites structures. L'obligation - issue de la directive européenne de 1989 - de fournir un document unique sur l'évaluation des risques et la multiplication des procédures judiciaires mettant sur la sellette la responsabilité pénale de l'employeur ont été les principaux détonateurs.

Mouvement engagé

« Il est exact de souligner que les PME ont accompli des progrès sur la prise en compte des risques professionnels. J'en veux pour preuve les investigations que nos responsables syndicaux ont mené dans certaines branches, montrant que la quasi- totalité des PME avait rempli l'obligation du document unique. Avec plus ou moins de bonheur, certes, mais le mouvement est engagé », observe Dominique Olivier. « Cette prise de conscience est le fruit de nombreuses démarches d'information et de prévention lancées à l'initiative des branches avec l'appui des Cram et du réseau Anact », soutient, quant à lui, le vice-président de la CGPME.

Nouvelle approche du document unique

Autre évolution notable, marquant un changement d'attitude des chefs d'entreprise vis-à-vis de la prévention : le document unique, perçu, au départ, comme une contrainte administrative de plus, commence à trouver du sens. « Les employeurs font désormais le lien entre compétences et prévention, entre prévention et environnement. Un seul exemple : l'absentéisme n'a plus la même lecture. Les dirigeants vont chercher à connaître les raisons d'un absentéisme chronique afin d'agir sur les causes », souligne Pascale Mercieca, chargée de mission au département santé au travail de l'Anact. Du coup, des pathologies professionnelles qui étaient autrefois ignorées des PME commencent à être prises en compte ou, pour le moins, à susciter une réflexion. C'est le cas du stress et des troubles musculo-squelettiques.

Gare, toutefois, à ne pas verser dans l'angélisme ! Des secteurs sont à la traîne. Dans certains d'entre eux, moins d'un tiers des entreprises ont rédigé le document unique, obligatoire pourtant depuis novembre 2002 (le décret date de novembre 2001).

Renforcer les démarches collectives

Pour les PME et TPE, les pistes de progrès sont fort heureusement nombreuses. La première d'entre elles consisterait à renforcer les démarches collectives qui ont prouvé leur efficacité. Le principe : associer, à des niveaux décentralisés (région ou département), et sur un risque bien identifié, différents partenaires (organisations professionnelles, organismes consulaires, services de médecine du travail, Inspection du travail, Cram, le réseau des agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail - Aract) ayant cette capacité à rassembler. C'est l'action de prévention - ciblant le risque cancérogène - qu'ont déployée avec bonheur l'Inspection du travail, la Cram et le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) à destination des garages du Finistère (Entreprise & Carrières no 743/744).

« Ces démarches, pour lesquelles nous sommes de plus en plus sollicités, créent une dynamique parmi les entreprises affiliées. Les dirigeants n'hésitent pas à mutualiser leurs ressources et à échanger des expériences », affirme Pascale Mercieca. Le partage des bonnes pratiques, c'est aussi ce que prône Robert Piccoli, adjoint au sous-directeur des conditions de travail à la DRT. « Dans le domaine des risques routiers, par exemple, les PME peuvent aisément s'inspirer des expériences réussies. A mon sens, les branches professionnelles sont les mieux placées pour les diffuser », soulève-t-il.

Améliorer l'accession aux aides

Reste aussi à inventer. Pourquoi pas, par exemple, améliorer l'accession aux aides pour les TPE et PME. Celles versées par les Cram, au titre des contrats de prévention, restent dans l'ombre, malgré un budget annuel conséquent d'environ 40 millions d'euros. Seul problème : environ 10 % de celui-ci serait réellement utilisé. La faute, entre autres, à un cruel déficit de communication de l'assurance maladie. Résultat : « Ce sont les PME les plus importantes, les plus structurées et les mieux informées qui en profitent », constate Franck Ollivier, coordinateur prévention chez Adecco.

Dans son plan santé au travail qu'il présentera le 17 février, Gérard Larcher consacrera, en outre, un chapitre à la réforme du système de tarification des AT/MP. Objectif : moduler les cotisations versées par les employeurs en fonction des risques que présente l'activité de l'établissement pour la santé et la sécurité des salariés. L'idée serait d'aboutir à un système de tarification qui remplisse son rôle d'instrument incitatif au service de la prévention. En clair, s'inspirer du fameux bonus- malus, en pénalisant financièrement l'employeur négligeant et en récompensant le patron modèle.

Contrats révisés

« Aux Etats-Unis, explique Bernard Salengro, les assureurs révisent les contrats en fonction des résultats obtenus par l'entreprise. Les accidents du travail et les maladies professionnelles ont diminué de 30 % au cours de la décennie 90. » Alors que l'Igas mène actuellement une réflexion sur ce sujet, la mise en place d'un système incitatif pour les PME, et en particulier pour celles de moins de 20 salariés qui fonctionnent avec un taux de cotisation mutualisé, n'est pas sans risques : il pourrait, comme certains le craignent, conduire les employeurs à sous-déclarer les accidents et les maladies professionnels.

Formation nécessaire

Pour améliorer la prévention dans les PME, la formation - des salariés mais aussi des dirigeants - est un autre levier. « Aujourd'hui, observe Dominique Olivier, n'importe qui peut créer son entreprise de chimie sans rien connaître des risques potentiels. »

Enfin, en attendant la création, prévue par le plan Larcher, des comités régionaux de la prévention des risques professionnels, les observatoires régionaux de la santé au travail (Orst) - instances paritaires nées de l'accord santé au travail de septembre 2000 - doivent monter en puissance et passer, comme le signale Pierre-Yves Monteleon, responsable de la santé au travail à la CFTC, d'une « logique d'évaluation à une logique d'action ».

(1) En 2002, près de 1,6 million d'accidents du travail et de maladies professionnelles ont été déclarés en France.

L'essentiel

1 Les TPE et PME sont les entreprises qui enregistrent le plus grand nombre d'accidents du travail. Toutefois, la donne est en train de changer avec, semble-t-il, des dirigeants davantage impliqués dans la prévention des risques.

2 Encore sous-utilisées, les démarches collectives de prévention, déployées au plus près du terrain, se révèlent particulièrement efficaces.

3 En attendant la finalisation du plan gouvernemental santé au travail, des pistes de progrès existent, parmi lesquelles : une amélioration du système d'accès aux aides, une réforme de la tarification des AT/MP et la formation.

Les papetiers se bougent

A l'instar de nombreuses entreprises et fédérations professionnelles, celle de la papeterie, détaillants et fournituristes a commencé sérieusement à se pencher sur la prévention des risques à l'occasion du document unique. Faisant le constat que cette obligation était appliquée avec parcimonie, cette organisation, qui représente 4 000 entreprises pour 35 000 salariés, a mis en place, début 2003, une démarche de sensibilisation de ses adhérents.

« Nous avons, relate Laure Lazard-Holly, la déléguée générale, provoqué de nombreuses réunions locales avec les chefs d'entreprise. Le but était de leur faire comprendre que l'objectif final était bien la prévention et que le document unique n'était qu'un moyen. Nous avons, par ailleurs, insisté auprès d'eux sur les impacts positifs - sur la réduction de l'absentéisme, la productivité, l'attractivité - qui découlent d'une gestion des risques. »

Autre temps fort pour la fédération : l'obtention, en 2004, auprès du ministère du Travail, d'un fonds pour l'amélioration des conditions de travail (Fact) d'un montant de 35 000 euros. Un budget qui va aider la Fédération française de la papeterie, détaillants et fournituristes à concevoir un guide méthodologique dédié à la prévention, achevé en septembre dernier.

L'année 2005 sera, elle, consacrée à la formation des salariés et des chefs d'entreprise à la prévention, ainsi qu'au déploiement d'un logiciel. Développé par Technologia, un cabinet d'expertise en conditions de travail agréé par les pouvoirs publics, cet outil a été conçu avec le concours du ministère de la Recherche. Véritable logiciel décisionnel, il permet de réaliser le document unique et surtout de l'actualiser. Des simulations et des tableaux de bord sont également proposés.

Auteur

  • Jean-François Rio