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Réfléchir à la rétribution de la performance des cadres

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 25.01.2005 | Pauline Rabilloux

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Réfléchir à la rétribution de la performance des cadres

Crédit photo Pauline Rabilloux

La gestion des cadres se heurte à un véritable problème : l'évaluation de leur performance et sa rétribution. Cette difficulté à récompenser leur investissement génère parfois le développement de comportements de repli et de protection.

E & C : Vous venez de publier un ouvrage intitulé Les cadres : grandeur et incertitude. Quelles sont les raisons qui poussent à écrire un livre de plus sur les cadres ?

Olivier Cousin : La littérature sur les cadres s'est surtout intéressée à la construction de cette catégorie et à la question de leur statut. J'essaie, dans cette recherche, de m'intéresser au sens que les cadres donnent à leur travail. Donc à un aspect plus subjectif. Ce qui les caractérise, c'est probablement la perception d'une plus grande distance à l'égard de leur entreprise, qui se matérialise en particulier par l'idée qu'ils doivent devenir les entrepreneurs de leur propre carrière.

A défaut d'être de véritables «self made man», les cadres sont pris dans une logique complexe et ambivalente. D'un côté, ils doivent effectivement prendre leur carrière en main et, bien souvent, cette stratégie est payante. La très grande majorité des cadres bénéficie d'une mobilité positive objective : ils progressent en responsabilité. De l'autre, la carrière se déroule dans un contexte de très grande incertitude, car, bien évidemment, ils ne la maîtrisent que partiellement. Par exemple, à partir de 50-55 ans, et parfois avant si l'on pense au monde des informaticiens, le risque d'être écarté, de ne plus avoir de promotion, est réel. C'est pourquoi les cadres sont pris dans un jeu particulier s'apparentant à une course. Ils courent pour progresser, mais ils sont aussi obligés de courir pour ne pas être disqualifiés. Plus ils ont de l'expérience, moins cette course est orientée vers la progression de leur carrière, et plus elle vise à se protéger des risques de mise à l'écart.

E & C : Au-delà de cette bipolarité, n'observe-t-on pas une tendance générale à la détérioration des conditions de vie des cadres du fait des obligations qui pèsent sur eux ?

O. C. : Il est vrai que les cadres sont dans l'obligation de résultats et sont soumis à la pression du management par objectifs. Toutefois, là aussi, la situation est plus complexe. D'une part, la pression est forte et les objectifs sont largement assimilables à la nécessité de tendre vers l'excellence. De l'autre, les objectifs sont souvent négociables et les acteurs conservent des latitudes d'action non négligeables. Les cadres jouissent d'une relative autonomie. Surtout, il faut, je crois, insister sur le fait que le travail, l'activité, procure de la satisfaction et du plaisir. Parce que, dans bien des cas, il existe le sentiment d'avoir pu peser sur la situation : résoudre un problème, mener à bien un projet. Ainsi, ce n'est pas parce que les situations de travail peuvent être pénibles que les acteurs sont détruits.

E & C : Vous pointez cependant dans le discours sur le management des cadres une dimension de duperie contre-productive ?

O. C. : En effet, l'entreprise se plaît, notamment, à vendre l'idée que les cadres, et les salariés en général, sont évalués sur leurs performances. Ce qui est sujet à caution puisqu'on ne sait pas vraiment les évaluer, et que le lien entre compétence et récompense est plus théorique que réel.

Dans bien des cas, en effet, ce hiatus génère des conduites contraires à ce que l'entreprise attend de ses salariés. Puisque l'investissement n'est qu'aléatoirement récompensé, les cadres, loin d'être toujours innovants, créatifs, engagés, vont, au contraire, chercher à se protéger. Ils vont, en cela, se révéler plutôt conformistes, faire comme les autres, voire parfois faire semblant ou tricher. L'exemple type étant les informaticiens, qui, pour répondre aux délais demandés, font des impasses sur les tests de fiabilité prévus dans le cahier des charges. Les cadres adoptent ainsi des stratégies défensives, de repli, ce qui est un moyen de compenser les incertitudes auxquelles ils doivent faire face. Ce faisant, ils tournent le dos à ce que l'entreprise valorise. Une véritable réflexion sur la rétribution de la performance semble donc nécessaire, à la fois pour récompenser l'investissement des cadres, mais aussi pour ajuster le discours et les pratiques.

Les managers de l'âme, Valérie Brunel, La Découverte, 2004.

La chaîne invisible, Jean-Pierre Durand, éditions du Seuil, 2004.

La concurrence des victimes, Jean-Michel Chaumont, La Découverte, 2002.

parcours

Sociologue, chargé de recherche au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis) du CNRS, Olivier Cousin a commencé par s'intéresser à l'école avant de se pencher sur le monde de l'entreprise et, plus précisément, sur les cadres.

Il a été l'auteur, en 1994, d'une thèse sur la comparaison entre les établissements scolaires.

Il publie, aujourd'hui, Les cadres : grandeur et incertitude, consacré à la construction de l'identité des cadres (L'Harmattan).

Auteur

  • Pauline Rabilloux