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Vers plus de garanties collectives

Les Pratiques | Point fort | publié le : 18.01.2005 | Marie-Pierre Vega

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Vers plus de garanties collectives

Crédit photo Marie-Pierre Vega

Révolution sociale dans le monde du portage salarial. Tour à tour, trois sociétés ont conclu avec la CFDT un accord qui organise les garanties collectives de leurs salariés «portés». Des textes ayant vocation d'exemples dans un secteur d'activité atypique.

C'est un peu un no man's land. Nul ne sait exactement combien il existe de sociétés de portage salarial ni combien de salariés sont «portés» par ces entreprises. L'Innef (Institut national des nouvelles formes d'emploi) parle de 240 acteurs. Le chiffre de 15 000 portés est fréquemment avancé sans qu'aucune étude sérieuse le corrobore. « Ce que les uns ou les autres peuvent dire s'apparente à du n'importe quoi, assène Jacques Vau, vice-président du Sneps (Syndicat national des entreprises de portage salarial) - qui regroupe treize des principaux prestataires du marché -, et président de la société de portage, ITG. Il n'existe aucun code NAF spécifique aux sociétés de portage salarial, l'Insee ne fournit donc aucune statistique sur notre champ. » « Le nombre de cadres exerçant leur activité dans le cadre du portage salarial reste marginal ; 97 % des cadres disposent d'un contrat de travail classique. Néanmoins, le flux commence à être suffisamment significatif pour que nous nous y intéressions », note, pour sa part, Laurent Coquelin, chargé de mission de la section professionnels autonomes de la CFDT Cadres.

Le portage salarial a pris son essor au début des années 1990, à la faveur de la crise du marché de l'emploi. « Ce système attire particulièrement les demandeurs d'emploi de plus de 50 ans en difficulté de reclassement et les personnes qui veulent travailler sans se mettre à leur compte ni avoir de patron. Parfois, les portés sont aussi des jeunes à la recherche d'une première expérience professionnelle », analyse Josette Londé, présidente de la FeNPS (Fédération nationale du portage salarial), qui regroupe 38 sociétés de taille diverse, implantées essentiellement en province.

Rappel du fonctionnement : la société de portage conclut un contrat de travail en CDD ou en CDI avec le porté. Elle assure pour lui la gestion administrative de l'activité, met à sa disposition des services et le rémunère sous forme de salaire en prélevant sur les prestations facturées au client une commission de 5 % à 15 %, correspondant aux frais de gestion engagés. A l'origine essentiellement intellectuelles et rattachées, de ce fait, à la convention collective Syntec des sociétés de conseil, les activités exercées par les portés sont, aujourd'hui, également manuelles. « Nos portés sont aussi bien des informaticiens que des coiffeuses à domicile », souligne Josette Londé.

Garantir la conformité avec le droit français

La formule peut être attractive. Pour autant, des pratiques douteuses, non conformes au droit du travail, entachent depuis longtemps la réputation de tout le secteur. La création du Sneps en 1998, puis de la FeNPS en 2004, vise à redorer le blason de leurs adhérents. « Il s'agit de réguler l'utilisation du concept en conformité avec le droit français en établissant des conditions minimales de fonctionnement », explique Jacques Vau. Le Sneps a, ainsi, élaboré un label du portage salarial éthique, tandis que la FeNPS s'est dotée d'une charte éthique. Les adhérents de ces deux organisations s'engagent, en théorie, à en respecter les principes.

Mais la conclusion des premiers accords d'entreprise en 2004 constitue la première avancée sérieuse sur la voie de la normalisation sociale. ITG s'y est engagé en avril 2004, suivi de Links Conseil en juillet, puis d'Aclys en septembre. Jam Conseil et Intervenances sont en cours de négociation. « Il s'agit de rapprocher le portage salarial du salariat. Ces accords établissent une relation salariale sécurisée entre le cadre porté et l'entreprise de portage. Ils organisent des garanties collectives au bénéfice des portés, sans pour autant mettre en question leur autonomie », précise Laurent Coquelin, de la CFDT. « C'est une démarche normale de syndicalisme, qui prend appui sur le développement d'une présence syndicale dans ces entreprises et qui consiste à améliorer les droits individuels garantis collectivement, dans le respect du droit du travail et des règles conventionnelles existantes. »

Lien de subordination

L'accord signé chez ITG entre la direction et une délégation unique du personnel indique qu'un « lien de subordination est avéré entre la société de portage et le porté, mais se caractérise par des modes d'expression différents [...], l'autonomie n'exclut pas l'existence d'un lien de subordination et donc d'un contrat de travail ». Sur cette base, l'accord prévoit un droit à la formation professionnelle, une grille de classification, des congés payés et un salaire mensuel, avec, quel que soit le niveau d'activité du porté, un minimum basé sur les grilles de rémunération de la convention collective Syntec. Le texte définit également les conditions d'exercice du droit syndical et de l'élection d'une représentation du personnel. Enfin, l'entreprise peut licencier pour cause réelle et sérieuse le salarié qui n'atteindrait pas les objectifs fixés contractuellement.

Côté salariés, l'accord a été signé par Jean-Pierre Cressy, devenu délégué syndical CFDT chez ITG. Ancien cadre dirigeant de grandes entreprises et spécialiste de la médiation dans les conflits du travail, il s'est naturellement imposé comme secrétaire de la délégation unique du personnel, mise en place alors qu'ITG employait moins de 200 équivalents temps plein. « Même si la mise en oeuvre de ces garanties coûte de l'argent, les entreprises ont intérêt à conclure de tels accords, qui n'entravent pas leur développement, affirme Jean-Pierre Cressy. Pour preuve, ITG a largement dépassé la barre des 200 équivalents temps plein. Le personnel va prochainement élire son CE, ses délégués du personnel, et disposer d'un CHSCT. Nous avons conclu des accords de participation et d'intéressement, ouvert un plan d'épargne d'entreprise et renforcé la formation. » « Nous proposons à nos consultants des formations à la gestion administrative et au marketing, du conseil individuel », confirme Jacques Vau, le président d'ITG.

La stratégie de la CFDT est claire : multiplier les accords d'entreprise pour aboutir à un accord collectif annexé à la convention collective Syntec, qui tiendrait compte des spécificités du champ et serait applicable à toutes les entreprise de portage salarial. « D'ici à fin 2005, une dizaine de sociétés pourraient avoir signé des accords similaires. Nous serions alors en mesure de peser auprès de Syntec et de le faire asseoir à la table des négociations », espère Jean-Pierre Cressy.

Contrat de travail intermittent

Mais, de son côté, la FeNPS émet des signaux discordants. « Ces accords d'entreprise rapprochent les portés du salariat traditionnel, comme s'ils étaient des consultants salariés d'un cabinet de conseil classique, avec un salaire assuré. C'est contraire à l'esprit du portage salarial. Bien sûr, nos adhérents respectent les obligations inhérentes au contrat de travail. Mais, en aucun cas, elles ne sauraient garantir un salaire entre deux missions », estime Josette Londé.

La FeNPS défend le contrat de travail intermittent mis en place par la loi Aubry II. « C'est un CDI qui se caractérise par une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées. Il est plus souple que le CDD et ses règles de carence obligatoire », explique la présidente de la fédération. La confusion risque encore de régner longtemps au sein du portage salarial.

Les règles d'un portage salarial éthique

Le portage suppose la conclusion de trois contrats : une convention de portage entre l'entreprise de portage et le «porté», qui fixe le cadre de leur collaboration ; un contrat de mission conforme au droit commercial entre la société de portage et l'entreprise cliente ; et un contrat de travail en CDI conforme au droit du travail.

La société de portage doit s'engager à rémunérer mensuellement le porté, indépendamment des conditions de paiement du client. Le versement du paiement après encaissement des sommes facturées au client constitue une infraction au Code du travail.

Le salaire net oscille entre 45 % et 55 % des honoraires facturés après prélèvement des cotisations sociales et des frais de gestion. Ceux-ci sont généralement négociés entre l'entreprise et le porté en fonction du chiffre d'affaires dégagé par l'activité.

L'employeur doit apporter l'assurance, par sa situation financière renforcée par une caution bancaire, que les salaires seront payés, y compris en cas de factures impayées de la part d'un client.

L'essentiel

1 Les chiffres les plus couramment admis font état de 240 sociétés de portage salarial et de 15 000 «portés». Ceux-ci exercent leur activité professionnelle comme intervenants autonomes, sous un statut salarié mais peu protecteur.

2 En 2004, pour la première fois, trois sociétés de portage salarial ont conclu, avec la CFDT, un accord d'entreprise qui sécurise la relation salariale et organise des garanties collectives au bénéfice des portés.

3 D'ici à la fin de l'année, une dizaine d'entreprises de portage pourraient avoir signé des accords similaires. La CFDT espérant aboutir à un accord collectif, annexé à la convention collective Syntec.

Auteur

  • Marie-Pierre Vega