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Où va L'Amérique de Bush ?

Enquête | publié le : 18.01.2005 | Caroline Talbot, à New york

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Où va L'Amérique de Bush ?

Crédit photo Caroline Talbot, à New york

Le président George Bush inaugure officiellement son second mandat le 20 janvier. Il veut utiliser le «capital politique» gagné lors des élections. Pour son «Amérique des propriétaires», il envisage une intervention minimale de l'Etat, dans les entreprises, comme dans le domaine de la protection sociale.

« J'ai gagné un capital politique, a fièrement déclaré le président républicain George Bush, au lendemain des élections. Et maintenant, j'entends le dépenser. » Pour George Bush, le vote des électeurs a conforté un vieux credo. L'Amérique qui l'a installé à la Maison-Blanche pour quatre années supplémentaires est un pays de propriétaires, grands et petits, de leurs maisons comme des entreprises. Les chiffres du Cato Institute, un laboratoire d'idées installé à Washington, montrent la montée en puissance de l'actionnariat individuel. En 1983, 19 % seulement des foyers américains possédaient des titres en Bourse, 32 % en 1989, près de 50 % aujourd'hui. La maison est aussi une valeur sûre ; 64 % des Américains étaient propriétaires immobiliers en 1990. Dorénavant, 69 % de la population possède un logement. George Bush a un projet inspiré de l'orthodoxie libérale : encourager ces propriétaires. Ce qui se traduit d'abord par un désengagement massif de l'Etat, au profit d'allègements d'impôts et de charges.

Déficits alourdis

Le président républicain avait hérité, en 2000, d'un surplus. La cagnotte de l'Oncle Sam, espérait-on à l'époque, pourrait atteindre 2 200 milliards de dollars en 2012. Mais George Bush a très vite allégé les recettes d'une partie des impôts sur le revenu. Et comme les dépenses, elles, se sont accrues pour financer, entre autres, la guerre en Irak et en Afghanistan, les déficits se sont alourdis. Le budget bouclé le 30 septembre se termine sur un déficit de 413 milliards de dollars. Et si les allègements d'impôts concédés sont maintenus, il pourrait atteindre 700 milliards de dollars en 2014, calcule la Brooking's Institution.

Toujours moins d'Etat

L'intervention de l'Etat dans la vie des Américains se réduit au fil des mandats. Si les impôts diminuent, la gestion des retraites est aussi restituée aux individus. L'un des grands projets du deuxième mandat de George Bush est, en effet, la réforme de la «Social Security», ou, plus exactement, sa privatisation. Aujourd'hui, la Social Security est prélevée à la source : l'employeur retranche automatiquement 12,4 % de la paie du salarié. Dans une logique de répartition, les sommes prélevées permettent de payer les retraites du moment et le reste, placé en bons du Trésor, rapporte 2 % l'an. Le taux de couverture, bien plus faible qu'en France, ne représente que 42 % des 35 meilleures années (avec des carrières moins linéaires). Les conseillers de George Bush sont persuadés qu'on peut faire mieux... en prenant des risques. Leur idée : récupérer un pourcentage des sommes récoltées pour les rendre aux foyers américains. A eux de placer leurs dollars, comme bon leur semble, en actions de Wall Street, pour leurs vieux jours.

Il faudra régler le problème de la transition du système de répartition à la capitalisation individuelle pour les classes d'âge qui ont cotisé mais qui n'auront pas le temps d'épargner. Assurer une retraite à ces ayants droit devrait, selon les experts, contraindre l'Etat à emprunter jusqu'a 2 trillions de dollars sur les vingt prochaines années.

Sécurité sociale privée

La privatisation de la Social Security n'en est encore qu'au stade de projet, les détails ne sont pas arrêtés. Mais le président en parle de plus en plus souvent. De même, il évoque régulièrement le financement des dépenses de santé, sans cesse croissantes. Les données les plus récentes du Congressional Budget Office montrent une hausse de ces dépenses de 9,3 % en 2002. Et tablent sur une augmentation de plus de 7 % pour les prochaines années.

Sans couverture sociale

D'ores et déjà, 45 millions d'Américains se disent incapables de payer les cotisations réclamées par les assureurs et ne bénéficient d'aucune couverture sociale. Le président Bush ne peut prôner la reprise en main du système par l'Etat. Il se contente donc de mettre en avant les comptes épargne santé... qui permettent aux familles de créer leur propre assurance santé, sans utiliser les services d'un professionnel. Et il promet de faire passer une loi limitant le montant des dommages que la justice peut imposer lors d'un procès pour erreur médicale. Les énormes assurances risques des médecins devraient ainsi se réduire, entraînant leurs honoraires à la baisse.

Cette Amérique des propriétaires penche naturellement plus en faveur de l'employeur que des salariés. Les syndicats américains, réunis sous la bannière de l'AFL-CIO, sont en constante perte de vitesse. Dans les années 1950, 35 % des salariés étaient syndiqués. Aujourd'hui, ils sont 13 % seulement. Les syndicats ont gardé leurs positions dans les bastions traditionnels, l'automobile, l'aéronautique... mais ils n'ont pas réussi à s'imposer dans la nouvelle économie. Et ils n'ont jamais pu faire leur entrée chez le plus grand employeur du privé, le numéro un mondial de la grande distribution, Wal-Mart. Du coup, l'influence des syndicats dans l'entreprise s'estompe. En 2003, le Bureau of Labor Statistics, l'équivalent américain de l'Insee, n'a recensé que 14 grands arrêts du travail, concernant 129 200 salariés, « un des plus bas historiques ».

Moins de contraintes pour les entreprises

Conviction de la Maison-Blanche : il faut libérer l'entreprise d'un maximum de contraintes pour favoriser l'activité et l'emploi. L'entrepreneur donne donc le «la», avec la bénédiction du gouvernement républicain, ennemi de l'interventionnisme. George Bush s'est empressé d'annuler la batterie de mesures préventives contre les maladies professionnelles, mises en place par le président précédent, Bill Clinton. De même a-t-il relâché la surveillance de la réglementation du travail. Certaines entreprises, désireuses de réduire leurs coûts, en ont profité pour imposer des heures supplémentaires non payées. Le coiffeur SmartStyle, les magasins A and P, la banque JP Morgan Chase... sont actuellement poursuivis en justice pour ces erreurs de pointage. Et des plaintes dans trente Etats différents d'Amérique accusent les hypermarchés Wal-Mart d'avoir abusé du système.

Travailleurs pauvres

L'entreprise de George Bush est très besogneuse. Le taux de chômage américain de 5,5 % fait rêver plus d'un gouvernement européen. Mais il ne faut pas être trop regardant sur le montant de la fiche de paie. Cette Amérique de l'emploi avant tout a créé les working poors ou travailleurs pauvres. Ce qu'ils gagnent ne leur permet pas de s'extirper de la pauvreté. En 2000, le bureau of Labor Statistics recensait 4,7 % de pauvres parmi les salariés. Deux ans plus tard, 5,3 % des salariés restent en deçà du seuil de pauvreté aux Etats-Unis.

L'essentiel

1 Pour son second mandat, George Bush a l'intention de rester fidèle à l'orthodoxie libérale. Chantiers annoncés : baisser les charges en désengageant l'Etat de la sécurité sociale et des retraites.

2 Dans les entreprises, alors que les syndicats perdent chaque année un peu plus d'adhérents, les salariés n'hésitent pas à recourir à la justice, notamment dans le cas de discriminations. Une victoire peut les rendre riches.

3 Plus que les conflits du travail, cette judiciarisation et l'activisme actionnarial des syndicats qui gèrent d'importants fonds de pension peuvent faire évoluer les pratiques des entreprises.

Auteur

  • Caroline Talbot, à New york