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Enquête

Les relations sociales... au palais de justice

Enquête | publié le : 18.01.2005 | C. T.

Aux Etats-Unis, les conflits en tout genre dans l'entreprise se règlent au palais de justice. Les histoires de harcèlement sexuel et de discrimination sexuelle sont actuellement très représentées.

Allison Schieffelin gagnait plutôt bien sa vie à Wall Street. Spécialiste de la vente d'obligations, cette cadre de la banque Morgan Stanley alignait des revenus annuels supérieurs à 1 million de dollars. Mais la banquière n'était pas heureuse. On ne l'invitait pas aux réunions entre hommes du bureau. Elle était exclue des sorties avec les bons clients sur les parcours de golf de Floride. Et on lui avait fait comprendre que la promotion d'une femme à l'échelon supérieur était hors de sa portée. Allison Schieffelin a réagi. Elle a porté plainte pour discrimination sexuelle. Et cette année, la justice lui a donné raison. La banquière et 340 autres plaignantes se sont vu attribuer une somme de 54 millions de dollars en dommages et intérêts. Des programmes de promotion de la diversité ont été mis en place chez Morgan Stanley et un arbitre extérieur veillera au grain durant au moins trois ans.

«Class actions»

L'histoire d'Allison Schieffelin est symbolique du mode de résolution des conflits du travail aux Etats-Unis. Dans l'entreprise américaine, lorsqu'un salarié est mécontent, il ne va pas voir son supérieur hiérarchique, ou un délégué syndical... très souvent absent de la compagnie. Il porte plainte. S'il est rejoint par d'autres qui se reconnaissent dans sa plainte, l'affaire devient une de ces fameuses class actions, ou plaintes en nom collectif, qui ont récemment fait trembler quelques-uns des plus grands états-majors et coûté des fortunes à d'autres banques ou à Coca- Cola. « Si vous vous sentez victime de discrimination, privé de vos droits, vous allez au palais de justice et réclamez beaucoup d'argent, explique David Oppenheimer, professeur de droit à la Golden Gate University en Californie. Dans la société américaine, c'est le premier mécanisme de défense. Je dis toujours à mes étudiants que l'argent est la devise de la justice. »

Compromis financier

Les dizaines de milliers de nouvelles affaires arrivant en justice chaque année vont rarement jusqu'au procès. Un compromis financier plus ou moins discret est souvent trouvé auparavant. Cette judiciarisation du système n'est pas si récente, puisqu'elle date du vote de la loi sur les droits civiques, en 1964. Quelques affaires judiciaires bien senties ont alors permis d'étendre la portée de la loi. Et aujourd'hui, les fonctionnaires de l'EEOC (Equal Employment Opportunity Commission), une agence gouvernementale chargée de combattre les discriminations en tout genre (race, âge, sexe, religion, handicap...), s'appuient sur la loi de 1964 pour ouvrir un dossier, négocier avec les employeurs et, au besoin, apporter l'affaire devant la justice.

Si l'on en croit Larry Pincus, responsable du bureau new-yorkais de l'EEOC, les femmes sont aujourd'hui en haut de l'affiche. Les affaires de discrimination sexuelle à l'agence ont crû de 12 % en dix ans. Et avec la plainte en cours contre Wal-Mart, le numéro un mondial des hypermarchés, les femmes s'installent définitivement à la une de l'actualité. L'enseigne fait, en effet, l'objet d'une plainte collective au nom de 1,6 million d'employées actuelles et anciennes qui se disent victimes des pratiques salariales de la maison. A travail égal, l'employée de base gagnait 1 150 dollars de moins par an que ses confrères masculins. Et se voyait offrir beaucoup moins d'occasions de promotion.

Droit à l'usage de la langue native

Mais les plaintes «raciales» restent elles aussi importantes. Et l'EEOC sait se montrer chatouilleuse, jusque sur des questions de droit à l'usage de la langue native (espagnol, notamment) dans l'entreprise. Les discriminations de tout ordre restent une base de contentieux très fréquente. Autant les indemnités en cas de licenciement économique restent ridicules, autant il peut en coûter une fortune de vouloir se débarrasser, par exemple, d'un salarié âgé sans de sérieux éléments à charge.

Cette judiciarisation a également ses mérites. « Les formations se multiplient dans les grandes entreprises, pour éviter le pire », assure Amy Oppenheimer, une juriste spécialiste du harcèlement dans l'entreprise. Beaucoup d'employeurs évitent le banc des accusés... en renforçant leurs politiques de prévention à base de chartes de bonne conduite et de cours pour managers et recruteurs.

Auteur

  • C. T.