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Les DRH hesitent a ouvrir les vannes

Enquête | publié le : 11.01.2005 | Jean-François Rio

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Les DRH hesitent a ouvrir les vannes

Crédit photo Jean-François Rio

Alors que la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social autorise, sous réserve d'un accord d'entreprise, la communication électronique syndicale, peu de sociétés permettent une ouverture de leur intranet aux syndicats. Explications.

Trente, quarante, cinquante au mieux ? Bien malin qui pourrait comptabiliser avec précision le nombre d'accords autorisant les syndicats à utiliser les moyens électroniques de l'employeur (intranet, messagerie). Depuis l'ère des pionniers (France Télécom, Renault, Atos...), suivis de quelques autres (Accor, La Poste, Cogema, Vedior, Eutelsat...), il semble bien que la communication électronique syndicale fasse du surplace. « C'est le calme plat, confirme Jean-Paul Bouchet, secrétaire adjoint de la CFDT Cadres. J'ai été moi-même très étonné de n'avoir été sollicité sur ce sujet qu'à cinq reprises en 2004 par des militants. »

La situation pourrait toutefois évoluer. Car notre Code du travail a récemment pris un coup de jeune. Réformant son article L 412-8, la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, a officialisé la possibilité, pour les syndicats, de s'exprimer sur un panneau d'affichage électronique.

Accord d'entreprise obligatoire

« Un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise », précise le Code, mais, sans accord, point de salut ! C'est en substance ce qu'a confirmé un jugement en référé du TGI de Nanterre opposant la société Oracle et deux délégués syndicaux CFDT (lire p. 15). Le message des juges ? Le nouvel article L 412-8 ne souffre d'aucune ambiguïté et, à défaut d'accord d'entreprise, la communication électronique syndicale est tout bonnement interdite. Dès lors, faut-il se féliciter de ce coup de jeune réglementaire ? Va-t-il booster l'expression électronique syndicale ou, au contraire, freiner certaines velléités ? Les pronostics restent partagés.

Saisir l'opportunité

« La modification du Code du travail va dans le bon sens, soutient Jean Gonié, juriste au Forum des droits sur Internet. A l'instar de la possibilité du vote électronique lors des élections professionnelles, le législateur a suivi le mouvement de dématérialisation des relations sociales et du dialogue social. Une tendance lourde, qui s'accompagne d'un fort développement du nomadisme. Il appartient désormais aux partenaires sociaux de saisir cette opportunité. »

A la CFE-CGC, on souligne que, depuis la loi de mai dernier, « il y a de plus en plus de demandes d'ouverture de négociations. Les décisions judiciaires sont de plus en plus lourdes en cas d'usage de la messagerie professionnelle en dehors d'un accord », ajoute le syndicat des cadres. Reste que cette nouvelle donne risque d'assécher un certain nombre de pratiques. Que se passait-il auparavant ? Les sections syndicales se saisissaient des moyens électroniques - sans forcément obtenir l'aval de l'employeur -, puis les deux parties finissaient par trouver un terrain d'entente, via la conclusion d'une charte d'utilisation sur les TIC ou d'un accord d'entreprise.

Combat d'arrière-garde

« De toutes les façons, la loi ne changera rien, tranche Jean-Claude Ducatte, administrateur du cabinet Epsy. Pour qu'elle ait un sens, l'information syndicale doit être accessible sur le portail intranet de l'entreprise au même niveau que les informations délivrées par la direction. Ce qui n'enchante guère les DRH. En outre, ceux-ci hésitent à ouvrir leur intranet car ils redoutent fortement les risques de dérive en période de surchauffe sociale. » « Un combat d'arrière-garde », rétorque Izy Béhar, DRH d'Eutelsat, qui préfère cantonner le discours syndical sur l'intranet plutôt que le voir se répandre sur le web. « Une position intenable, avance, de son côté, Michel Kalika, directeur du DEA e-management à l'université Paris-Dauphine, alors que, parallèlement, les TIC chamboulent les organisations du travail et que les entreprises transforment leur intranet en outil de travail. »

Faible accès aux TIC

De fait, le faible engouement pour l'intranet syndical recouvre de multiples explications. La première est assez classique : de très nombreux salariés, en particulier ceux oeuvrant dans les secteurs industriels, n'ont toujours pas accès aux nouvelles technologies. Les bornes interactives d'accès sont, certes, de plus en plus présentes dans les sites de production, mais elles n'intéressent qu'une infime partie de la classe ouvrière. « La communication électronique syndicale est réservée en priorité aux entreprises de service à forte culture high-tech ou aux groupes très éparpillés », remarque Izy Béhar. Par ailleurs, rares sont les DRH seniors, en poste dans les grands groupes, à maîtriser les enjeux de la révolution numérique.

Fracture générationnelle

« La fracture générationnelle porte également sur la manière dont les DRH appréhendent le dialogue social, souligne Yves Desjacques, DRH de Vedior France. Les plus anciens dans la fonction, ceux qui ont connu les mouvements sociaux les plus durs, estiment que la définition des moyens d'expression syndicale ne fait pas partie de leur mission. » Michel Kalika porte un jugement encore plus sévère. Selon lui, la frilosité des DRH s'explique surtout parce que ces responsables n'ont jamais été de véritables moteurs sur les intranets. « Parfois, souligne-t-il, on assiste à des situations cocasses avec de jeunes délégués syndicaux férus de nouvelles technologies face à des DRH complètement déconnectés. » Le contraire est aussi possible.

Avec une population vieillissante, le monde syndical ne brille pas non plus par sa capacité d'adaptation aux TIC. « Les sections syndicales, explique Jean-Paul Bouchet, accusent un apprentissage très lourd et exigeant. Pour les confédérations, il est capital d'utiliser le levier de la formation. » Cette incapacité des syndicats à faire vivre des intranets, par manque de moyens ou de formation, se double, selon Yves Lasfargue, directeur du cabinet Obergo, d'une incapacité à proposer de véritables services aux salariés. « Au final, constate cet ancien syndicaliste, on s'aperçoit que seuls les sites Internet et intranet des centrales syndicales fonctionnement correctement. »

Prudence surprenante

La prudence des acteurs paraît, en tout cas, surprenante. D'autant plus que la plupart des accords existants - intégrant, c'est vrai, certaines restrictions (absence de forums, de listes de diffusion, de liens Internet, faible capacité de stockage...) - satisfont généralement leurs auteurs. « Notre accord de mai 2002 se porte bien. Je n'ai pas noté de dysfonctionnement particulier et les syndicats n'ont pas exprimé de nouvelles attentes », observe Gérald Ferrier, directeur de la politique sociale du groupe Accor.

Renégociation

Dans le groupe de travail temporaire Vedior, le texte du 8 janvier 2003 sera renégocié le 28 février prochain. A cette occasion, les syndicats vont exprimer de nouvelles revendications : intégrer des photos pour améliorer l'attractivité des espaces syndicaux, placer des liens vers les sites web des fédérations ou encore disposer d'une alerte sur l'intranet groupe lorsqu'une information nouvelle est disponible sur un espace syndical. « L'accord évolue dans le bon sens. Il est particulièrement bien adapté au dialogue social dans notre entreprise qui, avec ses 800 agences, est très éclatée, remarque Jean Paré, délégué syndical central CFE-CGC. En outre, depuis que nous disposons de cet outil, nous avons enregistré une progression sensible de nos adhésions. »

Accord innovant

Chez Eutelsat aussi, après trois années d'utilisation, Izy Béhar est plutôt satisfait de cette innovation. « Seule dérive, indique-t-il, les syndicats adressent parfois directement le tract par la messagerie, une pratique interdite. » L'accord en vigueur dans cette entreprise est l'un des plus innovants en la matière, puisqu'il autorise les délégués syndicaux à utiliser la messagerie professionnelle pour informer chaque salarié qu'un tract est disponible sur leur espace intranet.

L'essentiel

1 L'ouverture des intranets aux syndicats est une pratique qui reste peu répandue dans les entreprises. La loi du 4 mai 2004, qui autorise, sous réserve d'un accord d'entreprise, la communication électronique syndicale, va-t-elle changer la donne ?

2 Fracture numérique et peur des dérives sont deux des raisons qui expliquent la grande frilosité des acteurs RH en matière d'intranet syndical. Avec une population vieillissante, les syndicats éprouvent, quant à eux, des difficultés d'adaptation aux TIC.

3 Les entreprises qui ont franchi le pas sont globalement satisfaites de l'utilisation des dispositions de leur accord.

Renault : nouveau couac sur l'intranet ?

Le 31 décembre 2002, le TGI de Nanterre condamnait la direction de Renault pour discrimination syndicale. La raison ? La marque au losange avait refusé l'accès de son intranet à la CGT, prétextant que ce syndicat n'était pas signataire de la charte d'utilisation portant sur l'attribution de moyens électroniques aux organisations syndicales.

Anticipant la décision de justice, la direction de Renault proposait une nouvelle mouture de son texte. Laquelle recevait, le 29 mai 2002, le blanc-seing de la CGT. Plus de deux ans après cet épisode, la CGT se prépare de nouveau à se tourner vers les tribunaux. En cause, le non-respect de l'accord, notamment de ses dispositions relatives au déploiement, dans les sites de production, des intranets syndicaux. « A ce jour, sur les 13 établissements, seuls ceux de Rueil et de Guyancourt sont dotés d'un intranet syndical CGT. La direction invoque des problèmes techniques, mais c'est une question politique », peste Philippe Noël, délégué syndical central CGT de Renault.

Autre difficulté soulevée par Philippe Noël : la majorité des salariés n'ont toujours pas accès aux TIC. « Consigne de la direction : le salarié doit demander la permission à son chef pour aller surfer sur l'intranet syndical. Imaginez un peu la situation. » Pour Francis Bonne, directeur des relations sociales de Renault, « les retards sur les déploiements des espaces syndicaux locaux s'expliquent par la refonte totale de l'architecture de notre système d'information dont les syndicats vont d'ailleurs bénéficier ». En attendant, la CGT peut toujours se consoler sur la toile. Son site web < cgt-renault.com > existe depuis 1999.

Information sociale à sens unique chez Dassault Systèmes

Les salariés de Dassault Systèmes ont pris l'habitude de recevoir régulièrement, au rythme des négociations, des informations détaillées directement dans leur messagerie. Pour Chantal Berton, directrice des relations sociales, « communiquer à tous, via la messagerie, sur les négociations en cours - 4 ou 5 par an - est un moyen d'apporter à chaque collaborateur une information sur l'état d'avancement des propositions et contre-propositions échangées. C'est aussi l'occasion d'expliquer les enjeux stratégiques et d'accompagner ainsi la compréhension que chacun peut avoir du dialogue social ». En 2004, les salariés ont ainsi pu recevoir des informations sur plusieurs négociations relatives à l'intégration des salariés handicapés, à l'épargne salariale, au Perco et à la traditionnelle NAO.

Aucun texte ne prévoit, en revanche, l'expression syndicale sur l'intranet. Des négociations avaient été entamées sur le sujet, il y a quatre ans, sans aboutir. « Dans notre entreprise, le réseau informatique est un outil de travail pour les développeurs. L'envoi de mails en grand nombre peut donc présenter une difficulté pour leur activité. L'usage de la messagerie par les organisations syndicales pour envoyer leurs tracts n'apparaît pas aujourd'hui être une voie de communication adaptée. D'autant que l'inflation des messages électroniques peut finalement nuire à la communication. » L'alternative qui consisterait, pour les salariés, à s'abonner à des fils d'information syndicale n'est toutefois pas exclue.

Oracle interdit une liste de discussion externe

La liste de discussion externe sur laquelle étaient inscrits, avec leur adresse électronique professionnelle, près de 450 salariés d'Oracle a été supprimée après l'interdit et l'astreinte de 200 euros par mail envoyé prononcés par le TGI de Nanterre, le 26 octobre 2004. La liste de discussion était localisée sur le site Internet de la section CFDT. La direction d'Oracle a attaqué deux délégués CFDT à titre personnel en se fondant sur l'article L 412-8 introduit par la loi du 4 mai 2004. Celui-ci stipule, en effet, que l'usage du courrier électronique professionnel à des fins syndicales ne peut se faire que dans le cadre d'un accord d'entreprise. Or, il n'y a pas d'accord de cette nature chez l'éditeur de solutions informatiques. Pourtant, cette liste de discussion existait depuis 2001.

Quant à la charte d'Oracle, elle autorise un usage privé et raisonnable de l'adresse professionnelle. « Nous tenions à ce que les salariés s'enregistrent avec leur adresse professionnelle afin, justement, de nous assurer que les informations diffusées resteraient dans le périmètre d'Oracle. Nous relançons une nouvelle liste avec, cette fois, les adresses électroniques personnelles des salariés d'Oracle. Environ 70 salariés sont d'ores et déjà inscrits », souligne Franck Pramothon, délégué syndical CFDT, qui a fait appel de la décision du tribunal.

Oracle a également fermé le répertoire de documents partagés ouvert par la CFDT sur l'intranet. Destiné à recueillir des commentaires sur les comptes rendus de CE, cet espace avait été créé en mai dernier sans que la direction en soit informée.

Auteur

  • Jean-François Rio