Drôle d'époque.
Je me trouve au sein d'une équipe de vente confrontée à un nouveau challenge. Pour ces gens qui surfent sur un succès facile depuis des années, l'idée d'être désormais obligés de multiplier les efforts de fidélisation de leurs clients n'est pas facile à digérer.
Mais l'heure est à la mobilisation. En urgence.
On multiplie donc les plans d'action, on recontacte tous les clients, on vérifie tous les contrats, on s'active avec grande énergie pour préserver l'essentiel.
L'adversaire est rude, qui commence ses activités en France avec un enthousiasme neuf, des équipes de très bon niveau, des frais fixes plus limités, et, du coup, des offres commerciales attractives. Très attractives, même.
Trop aux yeux de mes clients pour qui il est suspect et un peu méprisable quand même de semer le bazar dans un marché jusqu'ici bien tranquille, avec un gâteau partagé entre gens de bonne compagnie et avec de solides marges pour tout le monde.
Mais c'est comme ça : il y a toujours des concurrents assez mal élevés pour semer le trouble dans les métiers de nantis et vouloir une part du gâteau.
Le directeur des équipes de vente, lui, est d'ailleurs très lucide : « On voit bien que le problème ne va pas se limiter au marché franco-français : les anciens tigres de papier sont devenus très efficaces, et nos manières désinvoltes de traiter les clients dans nos anciennes activités de monopole vont se retourner contre nous. On peut comprendre que beaucoup de nos clients s'en réjouissent. Mais, pour nous, l'adaptation est rude. »
Rude, certes. Mais indispensable...
Pour encourager les équipes et mobiliser encore davantage, on a mis en place un challenge. Formule assez classique, avec des points qui se cumulent, et un jackpot pour le gagnant, à la fin d'une période de deux mois.
On y est. C'est le moment de désigner le vainqueur.
On vérifie les résultats avec le chef des ventes. Le gagnant est très en avance. Je propose de le féliciter. Réticence du chef des ventes. Je m'en étonne. Il s'explique : « Ce type est un tricheur. Il rallonge ses heures de travail et fait des appels depuis chez lui pour joindre plus de clients et gagner le trophée. »
« Tricheur » ? ? ?
Juste une question : qu'allons-nous tous devenir si on peut désormais entendre que celui qui s'implique et travaille plus pour gagner davantage peut être accusé d'être un tricheur ?
Pierre-Loïc Chantereau <
