logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Demain

« Les chômeurs, acteurs à part entière de la vie économique »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 14.12.2004 | Violette Queuniet

Image

« Les chômeurs, acteurs à part entière de la vie économique »

Crédit photo Violette Queuniet

Le chômage, en tant qu'activité de recherche d'emploi, est indispensable à la croissance. Il ne doit pas être traité comme un mal social. Les politiques publiques doivent mieux accompagner les chômeurs dans cette recherche et la protection de l'emploi doit être fondée sur des mesures fiscales plutôt que sur une législation contraignante.

E & C : Vous soutenez que, dans notre système économique, le chômage est nécessaire. Pourquoi ?

Pierre Cahuc et André Zylberberg : Nous vivons dans une économie dans laquelle il y a un énorme processus de créations et de destructions d'emplois. En France, 10 000 emplois sont détruits et créés chaque jour ouvrable. Ce processus joue un rôle très important dans l'amélioration de la productivité. C'est à ce titre que le chômage est nécessaire, ou plutôt le chômage en tant qu'activité de recherche d'emploi. En effet, l'activité de recherche d'emploi permet aux gens de retrouver un travail plus productif, donc de créer plus de valeur ajoutée, de payer des impôts, de consommer davantage, etc. C'est pourquoi nous insistons là-dessus : il faut vraiment traiter, aujourd'hui, le chômage comme une activité de recherche d'emploi, et non plus comme une maladie ou un mal social. Paradoxalement, pour lutter contre le chômage, il faut commencer par en comprendre le besoin. Et c'est sans doute parce qu'on ne conçoit pas que la recherche d'emploi soit une activité socialement utile qu'on a, en France, un des taux de chômage les plus élevés des pays industrialisés.

E & C : Quelles sont vos préconisations en matière de politique publique de l'emploi ?

P. C. et A. Z. : Il faut bien rémunérer les chômeurs, mais de manière incitative, et les faire accompagner par des professionnels de la recherche d'emploi, ce qui n'est vraiment pas le cas en France. Notre service public de l'emploi est très éclaté - ANPE, Unedic, Afpa -, il n'y a pas de guichet unique, pas de suivi vraiment professionnel des chômeurs. L'ANPE sous-traite les deux tiers de son activité de bilans de compétences de manière peu efficace puisque ce sont des petits bouts de parcours des chômeurs qui sont sous-traités. En outre, il n'y a pas, en France, de gros opérateurs externes pour ces prestations. A l'étranger - Pays-Bas, Australie, Allemagne, etc. - les agences publiques de l'emploi sous-traitent l'ensemble du parcours à d'importants opérateurs externes rémunérés au taux de replacement. Cela repose, en outre, sur un profilage : l'organisme est rémunéré différemment selon le profil de la personne à placer, cadre supérieur ou femme de 50 ans sans qualification.

Il faut également en finir avec l'idée qu'évincer un certain nombre de gens du marché du travail - jeunes, femmes, salariés âgés -, permet de réduire le chômage. Au contraire, cela a tendance à l'amplifier puisque les prélèvements sociaux et fiscaux se font sur une population active plus réduite. L'impôt peut être désincitatif, ce qui entraîne une baisse de la compétitivité et un renchérissement du coût du travail pour les entreprises.

De même, il est faux de penser que le taux d'emploi augmentera grâce à la baisse démographique : comme il faudra financer davantage de personnes à la retraite, le coût du travail augmentera, ce qui sera préjudiciable à l'emploi.

La loi Fillon a certes allongé la période de cotisation mais n'a pas touché à l'âge légal de départ à la retraite. Psychologiquement, beaucoup feront le choix de partir à 60 ans, même s'ils n'ont pas suffisamment cotisé. Il aurait fallu fixer l'âge de la retraite à 65 ans.

E & C : En matière de protection de l'emploi, que suggérez-vous ?

P. C. et A. Z. : La taxation des entreprises qui licencient est une solution intéressante dans la mesure où la valeur sociale d'un emploi - ce qu'il rapporte à l'entreprise et au salarié mais aussi à la collectivité via les impôts qui sont payés - est plus grande que sa valeur privée (ce que reçoit le salarié de l'entreprise hors impôts). La taxation des licenciements existe aux Etats-Unis où l'assurance chômage est financée par un système qui s'appelle l'expérience rating. Les entreprises paient un taux de cotisation modulé en fonction du coût que l'entreprise a infligé via ses licenciements aux caisses d'assurance chômage. Le taux de cotisation peut passer, par exemple, de 3 % de la masse salariale à 12 % (le même système existe en France pour les accidents du travail).

En France, la législation de la protection de l'emploi, fondée sur le contrôle du juge, est à la fois inefficace et inéquitable : inefficace car elle ne permet pas de maintenir le volume global de l'emploi, inéquitable car elle ne protège que certains salariés - qui ne sont pas les plus défavorisés - et accroît l'insécurité des autres travailleurs. Aujourd'hui, la réglementation française impose une obligation de reclassement aux entreprises, mais elles n'ont pas d'obligation de résultats.

Nous pensons que les chômeurs doivent être accompagnés par de vrais professionnels et que leur reclassement doit être financé par l'impôt, les entreprises payant une taxe pour financer un fonds de reclassement. Il est temps de penser un système plus favorable aux demandeurs d'emploi et, donc, plus favorable à la croissance.

Le Sursaut - rapport Camdessus, La Documentation française, 2004.

Saving capitalism from capitalists, Raghuran G. Rajan et Luigi Zingales, Crown Business (New York), 2003.

The Elisive Quest for Growth, William Easterly, MIT Press, 2001.

parcours

Pierre Cahuc est professeur d'économie à l'université Paris-I, professeur chargé de cours à Polytechnique et chercheur au Centre de recherche en économie statistique (Crest). Il est l'auteur, avec Francis Kramarz, du rapport De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, commandé par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo et remis le 26 novembre.

André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS, est membre de l'Equipe universitaire de recherche en économie quantitative (EureQua) de l'université Paris-I où il enseigne l'économie.

Ils ont publié ensemble de nombreux ouvrages sur l'économie. Leur dernier livre, Le chômage, fatalité ou nécessité ? (Flammarion), vient de remporter le 8e prix «Mutations et travail», organisé par Synapsis (groupe Nuages Blancs) en partenariat avec l'association des anciens ESCP-EAP.

Auteur

  • Violette Queuniet