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« L'obligation de loyauté n'interdit pas la critique »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 07.12.2004 | Rodolphe Helderlé

Les frontières entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas sont à redéfinir dans les entreprises en matière d'usage des technologies communicantes par les salariés. Surtout à l'heure où vie privée et vie professionnelle se mélangent allègrement pour certains salariés.

E & C : De plus en plus de salariés, d'ex-salariés ou de syndicats s'expriment sur Internet en écornant des entreprises. Paradoxalement, vous considérez que la sanction disciplinaire et/ou la réponse judiciaire ne sont pas toujours les réponses les plus adaptées.

Sébastien Ducamp : L'entreprise va rencontrer de plus en plus de difficultés à maîtriser son image. Le mouvement que l'on peut qualifier d'opinion des communautés prend un essor considérable sur Internet sous la forme d'un «écrit-parlé» très volatile.

En outre, le réseau est une mémoire qui permet à tout un chacun de faire ressortir l'information. Si un employeur estime qu'un salarié met en porte-à-faux son image, je ne pense pas que la sanction disciplinaire ou la voie judiciaire soient effectivement les plus appropriées, sauf dans les cas manifestes de délits graves (propos diffamatoires flagrants ou racistes). Pour les cas les plus nombreux, il y a un risque autrement plus important, en termes d'image, de sanctionner ou de licencier un salarié mettant en cause, sur un site personnel, des pratiques ou une politique de son entreprise. Un phénomène de victimisation est susceptible de se propager rapidement sur la toile. L'entreprise doit apprendre le débat, la critique et l'échange. Il est plus efficace de se placer clairement sur le terrain de la dialectique. La réaction la meilleure serait donc de s'approprier le débat.

E & C : Ce jeu du débat pourrait-il se décliner en interne ?

S. D. : L'intranet représente un formidable terrain d'expression. L'obligation de loyauté d'un salarié à l'égard de son entreprise n'interdit pas la critique. Dans ces conditions, autant que celle-ci puisse s'exprimer en interne. Il faut savoir accepter le jeu du débat dans l'entreprise. C'est un moyen de réduire les risques de comportements déloyaux et d'éviter qu'ils ne soient mis sur la place publique (Internet).

E & C : Quid de l'équilibre entre les prérogatives de l'employeur en matière de sécurité et le nécessaire espace de liberté qui doit être offert aux salariés ?

S. D. : Le contrôle de l'information sortante est d'autant plus problématique qu'il se confirme que les entreprises n'ont pas le droit d'ouvrir les fichiers personnels et autres mails transmis par les salariés au motif que ce sont des correspondances personnelles. Et cela même s'il s'avère que des informations sensibles sont adressées à la concurrence.

Un arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2004 s'inscrit dans la droite ligne de l'arrêt Nikon. L'arrêt s'applique, cette fois, non pas à des fichiers personnels, mais à des courriers électroniques. Or, un juge ne peut accorder une dérogation au secret de la correspondance que dans des cas limités particulièrement graves. Trop souvent, par méconnaissance des règles applicables, l'employeur a tendance à consulter les boîtes mails et les fichiers. On parle de captation illicite des moyens de preuve. Si la possibilité de faire sortir de l'information est facilitée, la traçabilité est également accrue.

Dans l'état actuel des choses, les entreprises ne peuvent que renforcer les moyens de contrôle des flux, les habilitations d'accès aux informations sensibles ou encore limiter les accès à la messagerie comme le pratiquent déjà certaines d'entre elles.

E & C : Vous estimez qu'il y a quelque chose de biaisé dans le postulat qui consiste à dire que la frontière entre vie professionnelle et vie privée explose du fait, notamment, des technologies communicantes.

S. D. : Il semble, en effet, que c'est notamment sur la base de ce postulat que les juges considèrent qu'il existe un droit à une correspondance personnelle échangée à partir de l'entreprise. Or, pour encore beaucoup de salariés, on peut pourtant considérer que la frontière entre vie professionnelle et vie privée est toujours très nette et il ne me semble pas aberrant, alors, que les mails adressés depuis ou reçus sur l'adresse IP de l'entreprise soient considérés comme professionnels par nature (à l'exception de ceux qui relèveraient du droit syndical, et pour lesquels les règles sont désormais bornées).

C'est pour les cadres, à qui les entreprises donnent les moyens d'accéder à l'intranet à partir de leur domicile et confèrent une grande indépendance dans l'exécution de leurs missions, que la frontière vie professionnelle/vie personnelle a explosé. Pour cette catégorie de personnel, toute la relation contractuelle de travail est d'ailleurs à repenser (depuis la notion de subordination jusqu'à la définition du temps de travail). Un statut contractuel «para-subordonné» ne serait-il pas plus approprié ?

En matière de durée du travail, pour les cadres dirigeants ou les VRP, l'avancée a été faite. En échange, le salarié devra bénéficier d'une véritable garantie d'indépendance et d'autonomie dans l'exécution de ses missions pour éviter les dérapages. Il y a un débat à mener pour trouver un équilibre. La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Je pense, notamment, aux cadres en forfaits jours pour lesquels, théoriquement, un travail, même de quelques minutes, un samedi, devrait être décompté comme un jour de travail.

ses lectures

Watchmen - les gardiens, Alan Moore, Delcourt G. Productions, 1998.

Les bonnes soupes du monastère, Victor-Antoine d'Avila-Latourette, 1998.

Histoire, Jacques Prévert, Gallimard, 1972.

parcours

Titulaire d'un DEA de droit social, Sébastien Ducamp a rejoint, en 1997, le département droit social de Kahn & Associés, cabinet particulièrement présent dans le secteur des nouvelles technologies. Il est associé depuis 2002.

Précédemment, il exerçait chez Arthur Andersen International.

Auteur

  • Rodolphe Helderlé