La bataille fait rage. Une bataille de méthode. Il s'agit de s'organiser pour construire le prochain plan d'action commercial, qui est une «feuille de route» (comme disent désormais les hommes politiques...) de la plus grande importance dans cette entreprise agroalimentaire qui se bat au quotidien pour préserver ses parts de marché, acquises de haute lutte, en concurrence directe avec des importations à très bas coûts.
Banal.
Quoique pas tant que ça, si on veut bien regarder de plus près la méthode qu'il s'agit d'utiliser désormais, puisque le nouveau propriétaire, un groupe hollandais, impose un exercice très strict à base de multiples statistiques reliées entre elles par un logiciel exclusif censé donner la tendance lourde de l'évolution de chaque segment de marché. Et donc de désigner les objectifs de conquête et de fidélisation. Facile.
Apprentissage collectif.
Un virtuose hollandais démontre la plus-value, évidente à ses yeux, d'une approche fondée sur une utilisation rationnelle de son logiciel d'analyse « qui donne de l'intelligence à nos expériences, et de la rationalité à nos intuitions » (sic).
Air étonné, et pour tout dire un peu contrit, des chefs de vente régionaux, qui ont conquis pied à pied toutes les ouvertures de site et se sont battus pour préserver leurs linéaires contre la terre entière, dans un métier où la qualité des relations leur paraît aussi déterminante que les remises de fin d'année, et les budgets de promotion l'arme incontournable qui donne du charme (et de la visibilité) à la marque.
Mais le siège ne veut plus le savoir : c'est le marché qui donne les objectifs, c'est la statistique qui dit vrai, c'est le logiciel qui tranche.
Il suffit de nourrir le logiciel Moloch de données objectives pour que le plan de l'année prochaine soit « crédible, accessible, motivant, toutes les qualités qui font un bon plan d'action » (re-sic).
Scepticisme de toute l'équipe. Le plus expérimenté se lance. « Il est possible que vous disiez juste. Il est même certain que votre logiciel permet d'explorer des niches de chiffre d'affaires que nos bases de données habituelles ne repèrent pas. Admettons. Mais vous oubliez, à mon avis, les recettes essentielles du succès : la construction partagée, le temps de la réflexion, l'incubation mentale avant d'attaquer l'objectif. C'est tout le secret de la cuisine à l'ancienne : ce n'est pas qu'elle soit objectivement meilleure. Mais le fait d'éplucher ensemble, de prendre son temps, de laisser mijoter, de se rencontrer autour du plat avant même qu'il existe, c'est ça qui lui donne le meilleur goût. »
Bien vu !
Pierre-Loïc Chantereau <
