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Harcèlement moral : il faut organiser la prévention

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 23.11.2004 | Guillaume Le Nagard

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Harcèlement moral : il faut organiser la prévention

Crédit photo Guillaume Le Nagard

La loi française sur le harcèlement moral a permis d'introduire la notion de santé mentale dans le Code du travail et d'imposer une prévention dans ce domaine. Mais elle pêche en ne définissant aucune procédure de prévention. Dans les faits, les victimes restent souvent privées d'interlocuteur.

E & C : On parle moins, aujourd'hui, du harcèlement moral qu'au moment de la sortie de votre livre, en 1998, ou du vote de la loi de modernisation sociale, qui comportait un volet sur le harcèlement, en janvier 2002. Le phénomène est-il en régression ?

Marie-France Hirigoyen : Je ne le pense pas. Avec la publication de la loi, les tribunaux de prud'hommes se sont encombrés d'accusations de harcèlement moral, notamment dans les grandes villes et, en particulier, à Paris. Mais si, dans la capitale, l'an dernier, 85 % des plaintes associées à un licenciement évoquaient un harcèlement moral, seulement 5 % ont abouti à une condamnation de l'employeur pour ce motif. Dans ce contexte, il semble que des salariés victimes de harcèlement avéré aient eu plus de mal à se faire entendre, conduisant parfois leur avocat à plaider pour des motifs différents, comme l'atteinte à la dignité.

Claire Bonafons : Beaucoup de demandes ont continué de parvenir aux associations. Faute de subventions, nombre d'entre elles ont disparu. Souvent, les permanents et les spécialistes du harcèlement moral - avocats, juristes, psychologues - sont guettés par l'épuisement, ce qui semble être le cas au niveau européen, selon une enquête d'origine britannique présentée lors du sommet de Bergen sur le harcèlement moral, en juin dernier. Malgré la loi, de nombreuses victimes souffrent, ainsi, de n'avoir pas pu trouver d'interlocuteur.

E & C : Quels sont les aspects positifs de cette loi, après presque trois ans d'existence ?

M.-F. H. : Le premier d'entre eux est de reconnaître que certaines situations de travail peuvent être à l'origine de troubles psychiques. Le thème de «santé mentale» est mentionné pour la première fois dans le Code du travail français. Cette évolution permet de prendre conscience que la souffrance au travail existe toujours, même si ses sources ont changé. L'autre élément positif est l'obligation de prévention, qui nous permet de sensibiliser les dirigeants. Ceux-ci se rendent compte qu'une bonne prévention du harcèlement passe souvent par la mise en oeuvre d'un management sain, transparent, respectueux. La loi nous donne une occasion de les convaincre que c'est aussi leur intérêt.

E & C : Comment pourrait-on améliorer la prise en compte du harcèlement, à travers la loi ou dans le partage de bonnes pratiques ?

C. B : Concernant la prévention, je pense que la loi française aurait pu aller plus loin. Elle prévoit une obligation de prévention, mais ne la définit pas, contrairement, par exemple, à la loi belge. Celle-ci précise ce qu'est le dispositif de prévention nécessaire, définit le profil et le rôle des «conseillers en prévention», internes ou externes à l'entreprise, selon son effectif, financés par elle, mais indépendants. Ils sont chargés de mettre en place des plans de prévention, d'enquêter dans l'entreprise et d'assurer la médiation entre les parties. Les problèmes se règlent au niveau de l'entreprise et on évite donc une procédure judiciaire, ce qui reste un échec pour tout le monde. Autre élément intéressant, au Québec : la toute récente loi mentionne le respect d'un délai pour le traitement des plaintes déposées dans l'entreprise. Ce qui évite de laisser perdurer des situations de harcèlement génératrices de désinsertion sociale pour la victime et coûteuses pour l'entreprise.

M.-F. H. : Constatez la différence avec le cas français. Pour l'instant, seules de grandes entreprises déjà en avance sur le plan social, et qui en font une question d'image, ont travaillé sur le sujet, comme Coca-Cola, Dupont de Nemours, mais aussi le conseil régional d'Ilede-France ou la communauté urbaine de Brest. Mais chacune doit inventer un dispositif de prévention. Ailleurs, dans beaucoup d'entreprises, les victimes ne savent toujours pas à qui s'adresser.

E & C : Vers quel modèle les entreprises devraient-elles s'engager pour être efficaces sur le sujet ?

C. B : Pour ce qui est de la prévention, il s'agirait, d'abord, de définir un ou plusieurs interlocuteurs légitimes et les marges de manoeuvre dont ils disposent, qu'ils soient extérieurs ou pas à l'entreprise, pour régler les problèmes de façon informelle quand c'est possible. Ensuite, il faut décliner une information pour tout le monde, sur la loi et sur le dispositif existant dans l'entreprise.

M.-F. H. : Il faut, bien sûr, former ces personnes ressources et les syndicalistes. Mais, par ailleurs, il faut aussi former l'encadrement sur les risques liés à un mauvais management, qui amène à interpréter certains faits liés au stress ou au management brutal comme du harcèlement. En mettant l'éclairage sur ce phénomène, on a, en effet, débusqué d'autres formes de souffrance morale au travail, jusque-là occultées, et qui tendent maintenant à masquer les vrais cas de harcèlement moral. Une bonne prévention couvrira aussi, indistinctement, ces problèmes.

Leurs lectures

Chroniques de l'oiseau à ressort, Haruki Murakami, Seuil, Collection Points, 2004.

Les traumatismes psychiques de guerre, Louis Crocq, éditions Odile Jacob, Paris 1999.

Traumatisme, question d'urgences, thèse de doctorat en psychopathologie et psychologie clinique, Clara Duchet, Paris-V, 2001.

parcours

Claire Bonafons est consultante et chercheuse sur le harcèlement moral. Elle accompagne des entreprises dans la définition de leur politique de prévention. Elle a réalisé, en juin dernier, une enquête auprès de dirigeants pour préciser leur état d'esprit face aux nouvelles obligations légales.

Marie-France Hirigoyen est psychiatre. Elle a écrit, en 1998, Le harcèlement moral, un best-seller qui a permis à de nombreuses victimes de reconnaître leur situation, et a été consultée, avec d'autres experts, lors de l'élaboration de la loi française sur le harcèlement moral.

Toutes deux présentaient aussi, fin juin, au 4e congrès international de Bergen sur le bullying et le harcèlement moral au travail, une communication sur la loi française et ses perspectives.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard