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Des accords d'entreprise pour plus de transparence

Les Pratiques | Point fort | publié le : 16.11.2004 | Emmanuel Franck

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Des accords d'entreprise pour plus de transparence

Crédit photo Emmanuel Franck

La mise à disposition de permanents syndicaux, rémunérés par l'entreprise, pour tenir un mandat fédéral ou confédéral, est une pratique courante mais légalement risquée. Quelques entreprises ont signé des accords en vue d'une plus grande transparence.

C'était devenu un secret de polichinelle. La mise à disposition de permanents syndicaux, investis hors de l'entreprise mais rémunérés par elle, est désormais admise par tous, syndicats comme employeurs. Confédérations, fédérations, unions départementales ou locales fonctionnent, en partie, grâce aux heures de délégation issues du droit syndical négocié dans les entreprises.

Une pratique que les syndicats justifient par le besoin de financer leurs activités d'«intérêt général» (négociation des conventions collectives, négociations interprofessionnelles...), mais qui se trouve à la limite de la légalité. D'après les syndicats, ces mises à disposition font peser sur les entreprises le risque de délit d'abus de biens sociaux et de prêt illicite de main-d'oeuvre, même si une telle condamnation n'a encore jamais été prononcée.

Encadrer les mises à disposition

Récemment, Gérard Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, a proposé aux cinq confédérations de mieux encadrer, dans le secteur privé (comme cela se fait déjà dans le public), ces mises à disposition (voir Entreprise & Carrières n° 734). Mais, avant même cette proposition, qui devra encore se concrétiser dans le Code du travail, certaines entreprises ont recherché plus de transparence dans leur contribution au financement des syndicats.

Subvention annuelle

Ainsi, depuis l'accord sur la concertation sociale du 23 juin 2000, signé par quatre syndicats, mais pas par la CGT, Renault verse une subvention annuelle de 91 470 euros à chaque fédération syndicale nationale de la métallurgie. Expérimentée pendant trois ans, la disposition a été reconduite. Dans le réseau des Caisses d'épargne, l'accord national du 30 septembre 2003 prévoit que l'employeur prend en charge, pendant une durée de trois ans renouvelables, la rémunération d'un responsable par organisation syndicale, amené à exercer des fonctions « en dehors de l'entreprise, auprès de sa fédération ou confédération syndicale ou d'une instance interprofessionnelle ». Cette prise en charge donne lieu à une convention tripartite entre l'entreprise, le responsable syndical et la fédération ou la confédération.

Quant à l'accord unanime de droit syndical d'EADS, du 5 avril 2002, il combine les deux dispositifs. L'entreprise rémunère deux représentants du personnel par organisation syndicale pour l'exercice de leur mandat fédéral ou confédéral. Elle prévoit aussi un budget de 15 000 euros par organisation syndicale pour les dépenses de ces deux représentants. Enfin, elle verse une subvention annuelle de fonctionnement de 75 000 euros à chaque fédération syndicale nationale de la métallurgie représentée à son comité national. Là encore, ce dispositif à durée déterminée a été reconduit.

Difficultés financières

Pour justifier cette générosité, les entreprises évoquent en premier lieu leur volonté d'améliorer le dialogue social avec les fédérations. « Il s'agit, également, de développer un dialogue social mondialisé, à l'image de l'entreprise », explique Francis Bonne, directeur des relations sociales de Renault. Ce dernier reconnaît aussi que les « difficultés financières des syndicats liées à la faiblesse de leurs cotisations » ont été un argument.

De leur côté, les signataires de l'accord EADS cachent à peine leur attente d'un geste des pouvoirs publics : le texte précise que le financement des fédérations deviendra caduc « le mois suivant l'entrée en vigueur d'une loi éventuelle relative au financement et à la représentativité des syndicats ».

Les entreprises font également valoir que de telles dispositions favorisent la transparence, dans un contexte juridique que Frédéric Agenet, directeur des relations sociales d'EADS, juge « pour le moins ambigu ». Comme le reconnaît Francis Bonne, dans un contexte de judiciarisation croissante, « il nous fallait un document clair, opposable juridiquement ». « Ce type d'accord légitime et sécurise le financement des syndicats par les entreprises », juge ainsi Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'université de Paris-1. Tout comme l'avocat en droit pénal des affaires Maurice Lantourne (lire article ci-dessous).

Du côté des syndicats, si tous louent la transparence de telles dispositions, ils se montrent gênés aux entournures par le soupçon que ce financement jette sur leur indépendance. « Il ne faut pas que cela brouille les cartes », déclare Elios Insa, trésorier de la CFE-CGC. Même s'il préfère la transparence d'un accord à l'opacité des petits arrangements, Michel Doneddu, trésorier de la CGT, reconnaît que « le financement direct des fédérations par les entreprises fait débat chez nous. D'autant plus qu'il a pour contrepartie la baisse du nombre d'heures de délégation ».

L'accord Renault fait, par exemple, passer le nombre d'heures de délégation des délégués du personnel de 25 à 15. « Pourquoi pas ?, répond, de son côté, Yves Legrain, de la CFDT. Ce n'est pas dans les entreprises où nous avons signé ces accords que nous sommes les moins revendicatifs. » Mais, d'une manière générale, les syndicats préféreraient un financement interprofessionnel, sur le modèle de l'accord signé avec l'Union professionnelle artisanale en 2001, voire national.

Paix sociale

Hubert Landier, consultant en relations sociales et directeur de la lettre Management social, voit, quant à lui, dans le financement direct des fédérations par les entreprises, un moyen de lutter contre les syndicats maison et d'acheter la paix sociale. Egalement critique, Jean-Emmanuel Ray estime que « les syndicats auront d'autant moins de raisons d'aller recruter de nouveaux militants qu'ils pourront obtenir des financements par ailleurs ». Une étude de la Dares d'octobre 2004 relève que seuls 5,2 % des salariés du privé sont syndiqués.

L'essentiel

1 Les fédérations, confédérations et unions locales syndicales fonctionnent en partie grâce à des permanents rémunérés par les entreprises.

2 Cette pratique courante expose les entreprises au risque d'abus de biens sociaux et de prêt illicite de main-d'oeuvre.

3 Certaines entreprises ont choisi de signer des accords encadrant et sécurisant cette pratique.

Une ressource non négligeable pour la CFDT

Les sources de financement des syndicats sont multiples. Le magazine Liaisons sociales en dressait une liste dans son numéro de septembre 2004 : les cotisations, les aides des collectivités territoriales, la rémunération de la gestion de la formation professionnelle continue, l'Etat, les entreprises, les branches, l'Europe, le paritarisme, les comités d'entreprise et les mises à disposition.

La CFDT a calculé que, sur 38,91 millions d'euros de ressources annuelles, les mises à disposition équivalent à 2,3 millions d'euros. Elles «rapportent» plus que le paritarisme (2 millions d'euros), et un peu moins que les produits financiers (2,8 millions d'euros). Les cotisations pèsent 19,6 millions.

La confédération s'avoue cependant incapable de distinguer les mises à disposition issues du droit syndical du secteur public - où cette pratique est légalement encadrée, et donc plus développée - de celles issues du secteur privé.

Yves Legrain, trésorier adjoint de la CFDT, estime que cette contribution du secteur privé est « faible sans être négligeable ».

Auteur

  • Emmanuel Franck