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« La politique est la seule arme des syndicats français »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 09.11.2004 | Violette Queuniet

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« La politique est la seule arme des syndicats français »

Crédit photo Violette Queuniet

Si les syndicats français jouent un rôle politique, c'est parce qu'ils n'ont pas le choix. Steve Jefferys observe chez les employeurs français une grande réticence à négocier, voire à admettre l'engagement syndical. Les syndicats ne peuvent s'affirmer qu'en poussant l'Etat à intervenir et en mobilisant «dans la rue».

E & C : On a l'habitude d'opposer le syndicalisme français, très politisé, au syndicalisme à caractère professionnel des autres pays européens, en particulier dans le nord de l'Europe. Est-ce la réalité ?

Steve Jefferys : Ce n'est pas tout à fait vrai. En Grande-Bretagne, les syndicats débattent de questions politiques, mais ces débats sont internes à chaque syndicat. En France, le débat politique est extérieur, entre confédérations. Certes, il y a aussi des débats internes dans les confédérations, mais pas autant qu'en Grande-Bretagne. En fait, ce ne sont pas les syndicats français qui diffèrent le plus de ceux d'autres pays, mais les employeurs français qui diffèrent de leurs homologues : ils sont beaucoup plus agressifs ! Le Medef est un mouvement très idéologique, qui a réussi à mobiliser 25 000 employeurs contre les 35 heures.

Les employeurs français ont adopté très tôt le discours sur la gestion des ressources humaines. C'est un discours qui met l'entreprise au centre, avec l'idée que chacun doit coopérer pour le bénéfice de tous. Cette approche est très liée au catholicisme et va à l'encontre d'une idéologie pluraliste. Etre dans une entreprise, c'est avoir un engagement avec elle. Il s'agit d'encourager le salarié à s'y investir et le persuader que c'est là son intérêt. Du coup, il n'existe pas de légitimité du mouvement syndical, ni pour la voix du salarié organisée en dehors de l'entreprise.

Le salarié syndiqué suscite la méfiance. En France, la négociation a toujours été difficile à cause de cette grande méfiance. Les salariés ont peur de se syndiquer car cela signifie se mettre à l'écart. Une réaction justifiée : il faut rappeler que, dans les années 1990, 12 000 représentants du personnel étaient licenciés chaque année, la plupart du temps, pour raison disciplinaire. De leur côté, les employeurs ont peur de leurs salariés.

Comme la négociation est difficile à l'intérieur de l'entreprise, cela oblige le mouvement syndical à se tourner vers la rue, vers la politique. Il s'agit d'attirer l'attention des pouvoirs publics et d'essayer de pousser l'Etat à intervenir. Cette logique est celle du mouvement syndical en France.

E & C : Cette dimension politique va-t-elle se renforcer ou va-t-on vers d'autres expressions du syndicalisme, le réformisme, par exemple ?

S. J. : Depuis dix ans, le déclin des syndicats s'est arrêté. L'arrivée de Sud et de l'Unsa a apporté de nouvelles façons de militer : contestataire chez Sud, rattaché au métier à l'Unsa. Mais c'est surtout parce qu'il a joué le rôle d'opposant politique, en 1995, contre le néolibéralisme du gouvernement Juppé, que le mouvement syndical est toujours là.

Le pari de la CFDT, qui consiste à devenir l'interlocuteur principal du gouvernement et à jouer la carte du réalisme syndical, n'est pas gagné. Le problème, c'est que les employeurs n'ont pas plus confiance en la CFDT qu'en d'autres syndicats ! Elle peut gagner son pari si elle a en face d'elle des employeurs vraiment prêts à négocier sérieusement. Ce n'est pas le cas en France. La CFDT a gagné une image, mais a perdu pas mal d'adhérents. Nous sommes dans une période où le rapport de force est en faveur des employeurs. Le mouvement syndical est donc dans une situation de faiblesse, plus grande qu'avant. Les possibilités d'agir sont toujours déterminées par les employeurs et par l'Etat.

E & C : Le gouvernement a réussi à imposer la réforme des retraites sans susciter une forte mobilisation, comme celle de 1995. Est-ce que cela aura des conséquences sur le mouvement syndical ?

S. J. : C'est difficile à dire. En 2003, les premières manifestations ont eu plus d'ampleur qu'en 1995, mais la CFDT a rapidement signé avec le gouvernement et le mouvement s'est cassé. Cette défaite fera-t-elle à l'avenir renoncer les gens à manifester ? Si les syndicats continuent à avoir une influence, c'est surtout parce qu'ils sont capables de prendre la rue, comme ils l'ont fait en 1995. S'ils ne peuvent pas mobiliser, je ne vois plus très bien quel rôle ils peuvent jouer. Je pense que cela entraînera une perte d'adhérents.

Si un gouvernement de droite est élu en 2007, ce sera un mauvais signe pour le mouvement syndical. C'est lié au caractère politique des syndicats : au niveau national, ils ont besoin soit d'un gouvernement de gauche pour défendre la protection sociale des salariés, soit d'une mobilisation suffisamment forte pour faire reculer un gouvernement de droite.

N'oublions pas qu'en face, le Medef se positionne aussi sur le plan politique et entend influencer le gouvernement. Est-ce que le gouvernement sera à l'écoute du Medef ? Sa force vient de l'union, réalisée par Ernest-Antoine Seillière, des grandes entreprises et des PME. Mais si cette union vient à se rompre - notamment sur les questions de la constitution européenne, de l'immigration -, alors son influence diminuera.

ses lectures

Syndicats, la nouvelle donne. Enquête sociologique au coeur d'un bassin industriel, Sylvie Contrepois, Syllepse, 2003.

Les espaces de la négociation collective, branches et territoires, Annette Jobert, Octarès éditions, 2000.

Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Stéphane Beaud, Michel Pialous, Fayard, 1999.

parcours

Ouvrier et militant syndical de 1969 à 1972, puis journaliste, Steve Jefferys embrasse une carrière universitaire dans les années 1980, après l'obtention d'un PhD (doctorat).

Spécialiste des relations du travail en France et en Europe, il est, depuis 2002, directeur de l'Institut de recherche sur la vie au travail à la London Metropolitan University.

Il est l'auteur notamment de Liberté, égalité and fraternité at work : changing french employment relations and management, paru à Londres (éd. Palgrave, 2003).

Auteur

  • Violette Queuniet