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Les Pratiques

De plus en plus de travailleurs pauvres

Les Pratiques | Point fort | publié le : 12.10.2004 |

Emplois saisonniers, contrats aidés, travail à temps partiel subi, missions d'intérim journalières... Le sous-emploi progresse en France et les salariés pauvres se multiplient. En outre, la reprise de l'emploi n'améliorera pas forcément leur sort.

Ala naissance de son deuxième enfant, Karine C. n'a pas repris un emploi à temps plein. Elle a opté pour un contrat «jeune maman», chez Auchan, de 17 h 30 par semaine, soit 3 h 30 par jour. De 17 heures à 20 h 30, elle est caissière pour un salaire horaire de 7,80 euros brut, soit 871,82 euros mensuels. Elle ne travaille ni le dimanche, ni en soirée - ces plages horaires étant réservées aux volontaires - mais elle peut être appelée à travailler le samedi, selon les besoins du magasin. Tarik, lui, travaille comme livreur, chez Pizza Hut, de 19 heures à 23 heures et gagne un peu moins de 500 euros par mois. Jusqu'à janvier dernier, et malgré ses onze ans de maison, il n'avait droit à aucune prime d'ancienneté. Cette année, le préjudice est réparé. Après un accord obtenu à l'arraché entre les syndicats et la direction, il percevra 75 euros par an. Mais seuls une centaine de salariés (sur 20 000) toucheront cette prime. Peu d'entre eux passent le cap des trois ans dans l'entreprise, le délai suffisant pour bénéficier de ce coup de pouce financier. Philippe D., serveur chez Chicago pizza pie depuis vingt ans, a, lui, réussi à décrocher un temps plein, rémunéré 1 230 euros brut. S'il bénéficie d'une prime d'ancienneté, c'est la mutuelle qui lui réserve, bien souvent, des surprises. « Notre patron ne s'acquitte pas toujours de ses cotisations, si bien qu'il faut attendre de longues semaines pour avoir droit aux remboursements de nos dépenses de santé. »

Niveau de ressources

Aux Etats-Unis, on les appelle les working poors. En France, ce sont les travailleurs pauvres, ceux situés en bas de l'échelle salariale, qui subissent des horaires chaotiques, une absence de sécurité de l'emploi et une protection sociale très fragile. Ils cumulent les emplois saisonniers, les contrats aidés, le travail à temps partiel ou le travail temporaire. En 2003, plus d'une mission d'intérim sur cinq, soit 22 % du total des missions, ne dépassait pas la journée. Mais ces salariés peuvent aussi être en CDI. Ce contrat ne garantit pas forcément un niveau de ressources suffisant pour vivre décemment. Résultat ? Côté rémunération, ils se situent, le plus souvent, juste au-dessus du seuil de pauvreté (évalué par l'Insee à 557 euros par mois pour une personne seule en 1999). Ils sont, généralement, employés dans la grande distribution, l'hôtellerie, la restauration, mais on les trouve également dans les centres d'appels, dans l'agriculture et le bâtiment. Au total, ce sont des milliers de salariés, principalement des femmes, des jeunes, les personnes les moins qualifiées.

En 1997, la CFDT commerces et services a tenté de savoir comment vivaient ces personnes. D'après son enquête, réalisée auprès de 1 211 salariés d'Auchan, de Carrefour et de Casino, 45 % ont entre 25 et 35 ans, 48 % sont locataires et 12 % habitent chez leurs parents ; 1 % à 2 % sont sans domicile fixe. Concernant les horaires de travail, ils sont 12 % à travailler en temps partiel, avec des horaires fixes, et 23 % avec des horaires décalés ; 60 % des salariés interrogés estiment qu'il s'agit d'un temps partiel subi. Ils sont pourtant qualifiés (40 % d'entre eux ont des CAP/BEP et 30 % ont un diplôme supérieur au bac). Les salaires sont, là encore, très faibles : 43,5 % touchent entre 610 et 915 euros par mois et 16 %, entre 610 et 305 euros, soit moins que le RMI. « Notre secteur d'activité est un vrai laboratoire de la précarité, déplore Jean-Pierre Sorranto, secrétaire fédéral de la CGT commerce et services. La réduction des coûts est le mode de gestion retenu par les entreprises du secteur. » Plus récemment, une étude du Secours catholique révèle que 20,2 % des personnes accueillies, en 2002, par l'association, sont des salariés.

Résurgence syndicale

Si les syndicats n'arrivaient pas à capter l'attention de ces salariés, le mouvement de grève, entamé début 2002, par les vendeurs de la Fnac Champs-Elysées, a changé la donne. Sous l'impulsion de la CGT, le conflit s'est généralisé à l'ensemble des enseignes de «la plus belle avenue du monde», Disney, Virgin, McDonald's, Sephora et Quick. On a alors assisté à une résurgence du mouvement syndical. La CGT services a, ainsi, noté une forte poussée de ses adhérents, passant de 20 000 en 1985 à 30 000 en 2003. Dans un même temps, d'autres mouvements spontanés sont apparus. Abdel Mabrouki, employé chez Pizza Hut, ex-delégué CGT, a lancé l'association Stop précarité (1), et a réussi à devenir le porte-parole des travailleurs précaires en France. Aujourd'hui, l'association dispense des cours de droit gratuits, proposés par une inspectrice du travail.

Une baisse du chômage permettrait-elle de diminuer le nombre de ces salariés pauvres ? Selon le Commissariat général du Plan, parmi les dix métiers qui connaîtront la plus forte croissance au cours de la décennie, cinq impliqueraient des tâches d'exécution ne comportant aucune responsabilité et n'offrant aucune possibilité de promotion, tels que des emplois d'agent d'entretien, d'ouvrier de la manutention, de caissier et d'ouvrier du bâtiment. Par ailleurs, une reprise de l'emploi n'entraînerait peut-être pas systématiquement des augmentations de salaire pour les travailleurs situés au milieu ou en bas de l'échelle. Sauf à être sur un marché extrêmement tendu.

Mesures politiques

S'il n'existe pas de solution miracle, quelques initiatives ont, toutefois, été prises, pour endiguer le phénomène. Sur le plan politique, deux mesures, décidées au début de l'été, devraient apporter une petite bouffée d'oxygène. La revalorisation du Smic hôtelier (6 % inférieur au Smic de droit commun en raison de la déduction d'avantages en nature), de 11 %, devrait profiter aux quelque 250 000 smicards du secteur, soit quasiment la moitié des effectifs. Les salariés devraient bénéficier de la sixième semaine de congé et de la mise en place d'un régime de prévoyance. En outre, le retour au Smic unique, prévu en 2005, et non en 2006 comme le souhaitait Nicolas Sarkozy, soulagera les 2 millions de salariés rémunérés au salaire minimum.

Au niveau professionnel, les branches ont également apporté quelques garde-fous. La grande distribution a, par exemple, décidé, lors de la signature de l'accord sur les 35 heures, en 1999, d'améliorer le sort des salariés à temps partiel. Ces derniers bénéficient, désormais, d'une garantie d'emploi de 26 heures par semaine (au lieu de 22 heures) en cas de modulation horaire. Qui plus est, la coupure entre deux séquences de travail est portée à quatre heures dans les magasins qui ferment le midi. Dans les autres cas, elle est de trois heures. En revanche, peu d'entreprises mettent la main à la poche. Hormis quelques avances sur salaire, les directions des ressources humaines n'ont pas mis en place de programmes à destination des employés les moins bien payés, prêts ou bourses d'urgence, par exemple, pour les salariés se retrouvant soudainement en situation de crise. Des efforts restent à faire. Au risque, sinon, de creuser davantage les inégalités.

(1) Il est, par ailleurs, l'auteur de Génération précaire, aux éditions du Cherche-Midi.

Comparaison France-Etats-Unis

Selon deux chercheurs de l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales), Sophie Ponthieux et Pierre Concialdi*, le terme de working poors est apparu aux Etats-Unis dans les années 1960. En France, les working poors - au départ, le plus souvent, ouvriers spécialisés, manoeuvres ou salariés agricoles -, sont apparus dans les années 1990. La problématique relève, ici, de l'analyse du marché du travail. « L'incidence de la pauvreté est plus faible en raison d'une protection sociale plus étendue », soulignent les auteurs de cette étude.

Mais la comparaison entre les deux pays réserve quelques surprises. « En 1997, la proportion des bas salaires est près de deux fois plus élevée aux Etats-Unis qu'en France (respectivement 30 % et 15 %). Mais, contrairement à ce que l'on observe en France, l'incidence des bas salaires aux Etats-Unis est restée, hormis certaines variations conjoncturelles dans les années 1980, plutôt stable sur l'ensemble de la période, alors qu'elle a augmenté assez fortement en France, passant de 11,4 % en 1983 à 15,1 % en 1997. » La multiplication du temps partiel et des contrats aidés explique cette montée en puissance. Pour la France, on observe que les emplois à durée limitée et ceux relevant de la politique de l'emploi sont surreprésentés : « Il y a six fois plus de salariés sous contrat aidé, et plus de deux fois plus de CDD que parmi l'ensemble des salariés. Ces catégories n'ont évidemment pas leur équivalent en tant que telles aux Etats-Unis où le développement de l'emploi précaire emprunte sans doute d'autres formes, comme celle du travail indépendant. »

* Travail, genre et sociétés, n° 11, avril 2004.

L'essentiel

1Les salariés pauvres sont généralement employés dans la grande distribution, l'hôtellerie, la restauration. On les trouve également dans les centres d'appels, l'agriculture et le bâtiment. Au total, ce sont des milliers de salariés, principalement des femmes, des jeunes, les personnes les moins qualifiées.

2Selon une étude du Secours catholique, 20,2 % des personnes accueillies, en 2002, par l'association sont des salariés.

3Quelques initiatives ont été prises qui devraient endiguer le phénomène : revalorisation du Smic hôtelier, retour au Smic unique en 2005, accords de branche... En revanche, les entreprises restent à la traîne.