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Les Pratiques

L'industrie allemande veut réduire le coût du travail

Les Pratiques | Point fort | publié le : 05.10.2004 |

Après le coup de tonnerre de Siemens, beaucoup d'entreprises allemandes ont brandi la menace des délocalisations pour imposer à leurs salariés des plans d'économie drastiques et doper leur compétitivité. Les syndicats affaiblis crient au chantage.

Le constructeur automobile allemand Volkswagen va-t-il bientôt connaître la première grève dure de son histoire ? C'est dans un climat très tendu que doivent reprendre, ce 5 octobre, les négociations salariales entre la direction et l'influent syndicat IG Metall. Fort d'un taux de syndicalisation de 97 % chez VW, IG Metall réclame 4 % d'augmentation salariale et, surtout, une garantie de l'emploi sur dix ans pour les 103 000 salariés allemands. Confronté à une chute de ses ventes, le premier constructeur automobile européen entend, lui, au contraire, réduire de 30 % ses coûts de personnel d'ici à 2011, soit 2 milliards d'euros d'économies par an. Versant de l'huile sur le feu juste avant le lancement des négociations, son directeur financier avait prévenu que 30 000 emplois pourraient être menacés en Allemagne, soit 17 % de l'effectif total, si les salariés n'acceptaient pas un plan d'économie. Jusqu'à fin octobre, les salariés respectent une période de «paix sociale». Au-delà, ils pourraient bien décider de déclencher une grève.

Il s'agirait d'un événement sans précédent pour VW, mais aussi pour l'Allemagne. Car l'ancienne entreprise étatique, dont la Basse-Saxe possède encore 20 % du capital, jouissait, jusqu'à présent, de l'image d'une société éprise de consensus, où les fruits du succès étaient partagés de manière équitable entre les salariés et les actionnaires.

Véritable laboratoire social, c'est elle qui a inventé, en 1993, la semaine des quatre jours pour sauver 30 000 emplois. C'est encore elle qui a embauché, en 2001, 5 000 chômeurs payés 5 000 marks (2 500 euros) pour produire le monospace Touran. Consciente de ses responsabilités sociales, l'entreprise semblait être un modèle en miniature de l'économie sociale de marché. Mais les temps ont changé. Au moment même où le gouvernement Schröder a engagé une vaste réforme de l'Etat-providence devenu hors de prix, Volkswagen, a, lui aussi, décidé de serrer la vis. « Nous vivons au-dessus de nos moyens », s'est justifié Bernd Pischetsrieder, patron de VW. Et pour cause : le coût du travail de VW est supérieur de 11 % à celui de BMW ou de Mercedes, et de 20 % à celui fixé par l'accord de branche dans la métallurgie. Or, le constructeur a vu son bénéfice net reculer de 35 % au premier semestre 2004, à 851 millions d'euros. Au premier semestre, ses ventes ont baissé de 8,6 % aux Etats-Unis, et de 4,2 % sur le marché, pourtant phare, de la Chine.

Améliorer la structure des coûts

« Si nous voulons maintenir nos emplois en Allemagne, Volkswagen doit nettement améliorer la structure de ses coûts », a mis en garde Peter Hartz, directeur du personnel. Pour y parvenir, ce dernier veut obtenir un gel des salaires pendant deux ans dans les six usines «ouest-allemandes» de Volkswagen. Il entend, aussi, lier jusqu'à 30 % des salaires bruts aux résultats de l'entreprise. Dans le même temps, VW souhaite redéfinir le temps de travail et le faire varier en fonction de l'âge des salariés. Le groupe entend, enfin, instaurer une concurrence entre ses sites allemands. Ces derniers pourraient proposer, volontairement, d'augmenter provisoirement le temps de travail pour remporter la production d'un nouveau modèle... « Il s'agit d'un nouveau style que nous ne pouvons accepter », s'est plaint Harmut Meine, négociateur en chef d'IG Metall, qui reproche surtout à VW de ne pas offrir une garantie de l'emploi.

Chantage

Comme Volkswagen, de plus en plus de grandes firmes allemandes en difficulté essaient de réduire leurs coûts de production en taillant dans les acquis sociaux ou en allongeant le temps de travail sans compensation salariale. A chaque fois, elles brandissent la menace des délocalisations. « Les grandes entreprises peuvent le faire d'une manière d'autant plus convaincante qu'elles ont déjà toutes investi en Europe de l'Est ou en Chine », constate Martin Werding, chercheur de l'institut économique Ifo. Il estime qu'il s'agit d'une attitude « légitime », que l'Allemagne souffre des coûts du travail les plus élevés au monde, notamment en raison des niveaux de salaire et de charges sociales, et qu'il est du « devoir » des entreprises de doper leur compétitivité. « L'alternative serait la faillite », annonce-t-il.

Absence de «sens patriotique»

Au printemps dernier, le chancelier Schröder avait reproché aux entreprises qui délocalisent leur absence de « sens patriotique ». « Ce concept n'est pas pertinent pour les entreprises », critique Martin Werding. Ferdinand Dudenhöffer, expert automobile à l'université de Gelsenkirchen, pense, lui aussi, que l'Allemagne souffre d'un énorme problème de coûts. Une heure de travail coûte, ainsi, 33 euros dans l'industrie automobile, contre 23 euros en France et 6-7 euros en Hongrie. « Je comprends pourquoi Renault dit ne pas avoir de problème avec la semaine des 35 heures. Ici, la tendance est à l'allongement », remarque Ferdinand Dudenhöffer, avant de prédire : « Dans trois ans, la semaine des 35 heures aura disparu dans la métallurgie allemande. »

En juin dernier, c'est Siemens qui avait relancé le débat sur le temps de travail outre-Rhin. Menaçant de délocaliser 2 000 emplois en Hongrie, le groupe électronique avait forcé IG Metall à accepter un allongement du temps de travail hebdomadaire de 35 à 40 heures pour le même salaire, dans deux sites de fabrication de téléphones portables et sans fil, à Bocholt et à Kamp-Lintfort en Rhénanie du Nord/Westphalie. Objectif de la direction : baisser de 30 % les coûts salariaux. La mort dans l'âme, IG Metall avait accepté de revenir sur l'une de ses principales conquêtes sociales : la semaine des 35 heures, introduite en plusieurs étapes dans la métallurgie ouest-allemande à l'issue d'une grève historique, il y a vingt ans.

En contrepartie, Siemens s'est engagé à ne pas licencier et à investir 30 millions d'euros dans les deux usines. « Ces sites sont désormais aussi compétitifs que ceux de Hongrie », s'est félicité un porte-parole de Siemens. « Siemens nous a mis le pistolet sur la tempe : soit vous marchez au pas, soit nous allons en Hongrie ! C'était du pur chantage », a dénoncé Wolfgang Müller, responsable d'IG Metall, siégeant au conseil de surveillance de Siemens. « Du chantage ? Nous avons mis tous les faits sur la table », s'est défendu Heinrich von Pierer, patron de Siemens, qui avait proposé au comité d'entreprise de se rendre en Hongrie et en Chine aux frais du groupe : « Vous verrez. Vous aurez peut-être des sueurs froides. Ils travaillent comme des fanatiques, beaucoup plus durement qu'ici. Une concurrence monstrueuse a lieu. Il est urgent que nous fassions plus d'efforts. »

Des syndicats affaiblis

« Les syndicats ont du mal à se faire à cette nouvelle donne. Mais leur pouvoir s'affaiblit », souligne Martin Werding. Un mois à peine après Siemens, IG Metall a dû, ainsi, accepter un plan d'économies draconien, imposé, cette fois-ci, par DaimlerChrysler à ses 160 000 salariés en Allemagne. Le constructeur automobile avait menacé de transférer 6 000 emplois à Brême, où la convention collective est plus favorable à l'employeur, voire en Afrique du Sud. En contrepartie, le syndicat a obtenu une garantie de l'emploi jusqu'à 2012.

Aujourd'hui, un autre conflit salarial a éclaté chez Opel, filiale déficitaire de General Motors, qui réclame un gel des salaires jusqu'en 2009 et le retour à la semaine de 40 heures, payées 35. Mais, cette fois-ci, l'enjeu est encore plus important. Car la maison mère a annoncé qu'elle voulait supprimer l'un des deux sites de Rüsselsheim, en Allemagne (qui produit la Vectra), ou de Trollhättan (Saab), en Suède, utilisés seulement à 50 % de leurs capacités. Depuis, les salariés des deux usines vivent dans l'angoisse du chômage. Les CE des six sites européens d'Opel se sont réunis pour afficher leur solidarité. Reste à savoir combien de temps elle va durer.