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Les licenciements doivent se justifier par une vraie stratégie

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.10.2004 |

Pour certaines entreprises, supprimer des emplois est devenu la solution banale aux maux les plus divers : difficultés économiques, fusions, restructurations, downsizing... Mais le remède, souvent, ne se révèle ni efficace ni indispensable.

E & C : Vous situez les suppressions d'emploi dans les entreprises entre contraintes économiques et pressions sociales. Où finissent les contraintes, où commencent les pressions ?

Florent Noël : Je parle des licenciements donnant lieu à des plans sociaux, ce qui laisse de côté 80 % des cas : quand l'entreprise est trop petite pour justifier un plan social ou quand le nombre de personnes licenciées est faible. Dans les 20 % restants, objet de mon étude, je distingue quatre cas. Dans les deux premiers, le licenciement s'impose ou est, du moins, justifié par une véritable réflexion RH. Dans les deux autres, aucun vrai critère de gestion des ressources humaines n'apparaît.

Premier cas - je pense, par exemple, à Moulinex -, l'entreprise rencontre de réelles difficultés économiques, réduit la voilure et peut même être amenée à disparaître. Ici, les licenciements ne peuvent être évités, ils accompagnent le déclin. Second cas, on peut prendre l'exemple de Danone : une véritable réflexion sur l'efficacité de l'outil de production et les compétences nécessaires a conduit à une décision de licenciement. La décision est économiquement rationnelle. Même si elle est discutée sur le plan de la morale, elle correspond à une analyse rigoureuse : on a identifié un sureffectif, on le traite.

Dans les deux autres cas, le licenciement pose problème, dans la mesure où il ne se fait pas à partir d'indicateurs spécifiques aux ressources humaines. Le cas numéro trois peut être, ainsi, illustré par les entreprises qui ont des politiques systématiques de suppression des unités à la rentabilité la moins élevée. La décision de suppressions de poste ne se fait pas à partir d'une logique RH, mais sur des critères strictement financiers. Dans cette même catégorie, invoquer, notamment, une baisse du cours de l'action pour justifier des licenciements revient à relier deux aspects de l'entreprise sans lien de causalité. Un risque existe de porter alors durablement atteinte au potentiel productif de l'entreprise. Dernier cas, que j'appelle les licenciements mimétiques : on licencie parce que c'est une solution dans l'air du temps à laquelle tout le monde a recours, parce qu'on est, finalement, incapable d'imaginer d'autres pistes.

E & C : Comment expliquez-vous ce qui ressemble à un effet de mode ?

F. N. : Un certain nombre de contraintes sociales jouent dans le sens des suppressions d'emploi. La première source de pression, au moins supposée, est l'actionnaire : les dirigeants licencient comme preuve de leur bonne volonté. Ils savent, ou imaginent, que s'ils mettent en avant des suppressions d'emploi, les actionnaires seront moins enclins à contester leur gestion. Ensuite, on peut parler d'un véritable savoir-faire du licenciement. Les DRH sont souvent recrutés pour ce que, par euphémisme, on qualifie parfois de «capacité à impulser le changement». On choisit les licenciements, entre autres solutions, parce qu'on sait faire : il s'agit, pour la personne en charge de ces dossiers, d'un gage de compétence, ce pour quoi on a fait appel à elle.

Enfin, il ne faut pas négliger le phénomène d'imitation. Si les autres licencient, c'est qu'il doit y avoir de bonnes raisons à cela. C'est ainsi que l'on assiste à de véritables épidémies d'externalisations, de reengineering, sans qu'on sache vraiment, en fin de compte, si ces solutions sont efficaces sur les performances.

E & C : Quelles sont les autres solutions à envisager ?

F. N. : La gestion des ressources humaines n'est, souvent encore, que l'administration du coût du personnel. Si on veut progresser dans la gestion des compétences, il est indispensable que la DRH s'impose comme interlocuteur technique, apportant une analyse sur les compétences nécessaires à l'entreprise et le capital humain accumulé. A supposer que la composante humaine intervienne à part entière à côté des analyses globales strictement quantitatives et financières. Il y a, je crois, une prise de conscience sur ce point et la fatalité des suppressions d'emploi devrait tendre à régresser. Le licenciement n'est souvent qu'une possibilité parmi d'autres : réduction des autres coûts, redéploiements d'activité, réorientations stratégiques, etc. Je reste convaincu qu'il existe souvent une large marge de manoeuvre. D'autant plus, d'ailleurs, que licencier n'est pas toujours la solution la moins onéreuse, ni pour l'entreprise ni, évidemment, pour la société. Les réductions d'effectifs se justifient au regard de la stratégie qui les rend nécessaires, jamais comme une fin en soi.

ses lectures

Les vertiges de l'emploi : l'entreprise face aux réductions d'effectifs, Rachel Beaujolin, Grasset/Le Monde, 1999.

La gestion des sureffectifs : enjeux et pratiques, sous la direction de Géraldine Schmidt, Economica, 2001.

parcours

Docteur en sciences de gestion de l'IAE de Paris, Florent Noël est, aujourd'hui, maître de conférence à l'IAE de Paris, chercheur au Gregor (Groupe de recherche sur la gestion des organisations).

Son ouvrage Les suppressions d'emplois (éditions Vuibert, 2004) est issu d'une recherche primée par l'Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH) et la Fondation nationale pour l'enseignement de la gestion des entreprises (Fnege).