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« Il faut développer une éthique du management »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 28.09.2004 |

Pour le père Hugues Minguet, spécialiste du droit social, il est grand temps de reparler d'éthique dans les entreprises. Car, selon lui, la logique exclusive du profit à court terme place les dirigeants et les managers dans une situation schizophrénique inédite.

E & C : Pourquoi est-il urgent de réconcilier, dans l'entreprise, éthique et performance ?

Dom Hugues Minguet : Parce que les dirigeants et les managers vivent une situation totalement schizophrénique. Certains d'entre eux prônent un discours sur les valeurs, sur la place de l'homme au travail, sur l'importance du capital humain et du développement personnel. Dans le même temps, cette rhétorique est balayée par la volatilité du marché, matérialisée par la quête des profits à court terme, par des opérations de fusion-absorption inattendues, qui déstabilisent durement les salariés. Le plus grave, c'est que les managers n'ont aucune prise sur cette logique. Pourtant, ils souhaiteraient sortir de l'ornière et redonner du sens à leur mission.

E & C : Comment, justement, redonner du sens aux pratiques managériales ?

H. M. : Tout le travail consiste à réconcilier une vision anthropologique avec un management cohérent, c'est-à-dire un management qui devient porteur de sens. Attention, il n'est pas question, ici, de tomber dans une sorte d'angélisme. La base, c'est la connaissance du terrain. L'axe anthropologique consiste à réfléchir sur l'homme, à prendre en compte les différentes zones de l'être - le corps, la dimension psychologique et affective, l'esprit, la dimension spirituelle. Dès qu'il y a rupture sur une de ces zones, on aboutit à une perte de sens. Je pense, par exemple, à la taylorisation, qui asservit le corps des ouvriers, ou encore à certains stages de motivation qui se révèlent, en fait, de véritables tentatives de manipulation mentale. Dans ce contexte, il faut développer une éthique du management qui respecte et sert la personne et la communauté.

Il existe quatre types de morale possibles : la morale libertaire, qui met l'accent exclusif sur la liberté ; la morale de la rigueur, qui s'attache à la vérité en excluant la conscience et la liberté ; la morale des gourous ou des charismatiques, qui s'enracine dans un ressenti, une conscience subjective sans référence à une vérité, sauf celle du gourou ; la conscience et l'altérité. Un comportement managérial éthique, c'est cette faculté de tenir ensemble liberté, vérité et conscience avec la même force, sans que l'un, prenne le pas sur l'autre. C'est le chemin de l'altérité.

E & C : Comment la génération actuelle des managers abordet-elle ces problèmes ?

H. M. : Il y a une quinzaine d'années, les dirigeants bénéficiaient encore du recul nécessaire. Face à l'actionnaire, ils pouvaient faire triompher leurs idées. De leur côté, les entreprises entretenaient un équilibre entre le capital et le social. Dès que le modèle anglo-saxon s'est imposé, le système a consacré le leadership de l'actionnaire, créant, ainsi, un déséquilibre profond affectant la perception de l'entreprise par ses salariés, la perception du travail, les relations humaines.

Au contact des étudiants du MBA d'HEC - des personnes qui disposent déjà d'une solide expérience professionnelle -, je ressens bien ce malaise, mais, en même temps, je constate que la donne est en train de changer. Il y a dix ans, en effet, les hauts potentiels étaient des mercenaires sans états d'âme. Aujourd'hui, la priorité n'est plus forcément portée sur leur carrière, mais sur le sens qu'ils veulent donner à leur travail. Ils sont en attente d'autres modèles. Il y a donc de l'espoir, même si, reconnaissons-le, certains d'entre eux sont très désabusés et adoptent une attitude cynique. D'autres, mal à l'aise, consomment des anxiolytiques.

E & C : Les concepts de développement durable et de responsabilité sociale vous paraissent-ils aller dans le bon sens ?

H. M. : Oui, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un gadget ou d'un alibi. Je suis tout de même assez critique vis-à-vis des agences de notation, parce qu'elles ne se préoccupent pas, à mon sens, suffisamment des salariés. En outre, une entreprise peut se donner une image de respectabilité, mais reporter ses dysfonctionnements et son absence d'éthique sur ses sous-traitants et ses fournisseurs.

E & C : Que vous inspire le débat actuel sur les délocalisations ?

H. M. : La France est mise à l'épreuve. Nos dirigeants ont une culture d'ingénieur, ce qui les a amenés à s'intéresser davantage à la technique qu'à l'homme. Conséquence : nous assistons à une lente disparition du travail humain. Reste qu'un emploi en Inde ou en Chine n'est pas moins digne qu'un emploi en France. Ces pays ont, eux aussi, le droit d'améliorer leur niveau de vie.

Ce qui est choquant, ce sont ces délocalisations sauvages dictées par la recherche de plus de bénéfices. Malheureusement, je connais aussi des entreprises, en particulier des PME familiales, qui n'ont pas eu le choix : partir ou périr. Les plus vertueuses d'entre elles sont, d'ailleurs, revenues en France après cet exil contraint.

ses lectures

De la personne, Édith Stein, éditions du Cerf, 1992.

Le Livre de Tobi, texte sacré.

Engagement, espoirs, rêves, Vincent Lenhardt, Alain Godard, Village Mondial, 2004.

parcours

Moine bénédictin, le père Hugues Minguet est aussi un spécialiste du droit social. En 1991, il crée le Centre entreprises au sein du monastère de Ganagobie (04), avec pour objectif de conduire une réflexion sur l'éthique et le monde du travail.Il lance l'Unité de recherche éthique. Des séminaires d'éthique, de management et de spiritualité sont organisés, accueillant grands patrons et DRH.

En 2002, il fonde l'Institut sens & croissance au monastère Coeur de Jésus, dans le Var.

Depuis dix ans, il anime le séminaire «Ethique et Entreprise» pour le compte du MBA d'HEC. Dom Hugues Minguet est coauteur, avec Jean-Loup Dherse, de L'éthique ou le chaos (Presses de la Renaissance, 1999).