Qu'est-ce que l'entreprise ? Selon François Eymard-Duvernay, la théorie néoclassique libérale va un peu vite. Pour elle, il s'agit d'un cadre de production dans lequel des individus libres et égaux passeraient un contrat de travail, où chaque partie engagerait ce qu'elle a à offrir, travail ou salaire. En effet, selon l'auteur, professeur d'économie à l'université Paris-10, directeur de recherche au CNRS et conseiller scientifique au Centre d'études de l'emploi, cette théorie du travail comme un marché, supposant un individu autonome qui cherche à optimiser son bien-être personnel, et utilise, pour ce faire, des moyens rationnels, est un leurre. Elle fait l'impasse des liens de subordination du système capitaliste. Elle méconnaît les asymétries inhérentes à des activités qui nécessitent le rassemblement de capitaux importants.

Mais, si cette analyse fait l'impasse de la dimension institutionnelle qui réglementait, peu ou prou, l'entreprise capitaliste, elle préfigure le mouvement de bascule du pouvoir dans l'entreprise d'aujourd'hui au profit des seuls actionnaires. En effet, la tyrannie des marchés et du profit, et la flexibilité qui en découle, tend à fragiliser le statut salarial et la continuité du lien d'emploi, caractéristique des grandes entreprises. A la limite, c'est l'entreprise tout entière qui tend à se dissoudre dans une loi du marché généralisée, faisant, au passage, péricliter les régimes sociaux, menaçant l'environnement, creusant les inégalités.

Il semble donc urgent de réinscrire l'entreprise dans la cité pour qu'elle ne devienne pas un lieu de pouvoir incontrôlé, prélude d'un appauvrissement généralisé et, peut-être, aussi, de quelque chose comme une nouvelle barbarie. Une réflexion sociologique qui entend déboucher sur des questions de philosophie morale et politique.