Les transformations des normes de travail, d'emploi et de compétences dans l'entreprise en réseau, la @entreprise , deviennent de nouvelles sources de maladies professionnelles.
E & C : Quelles sont les principales caractéristiques de la «@entreprise» qui impactent les conditions de travail ?
Alain d'Iribarne : La «
Dans cet environnement complexe, il y a un besoin crucial de savoir qui fait quoi. Une traçabilité de gestion, c'est-à-dire l'enregistrement informatique de toutes les actions liées aux processus de travail des salariés, est là pour répondre à ce besoin de transparence tout au long des chaînes de valeur. Gestionnaires, cadres, exécutants, tous sont concernés par cette traçabilité, qui permet d'asseoir une plus grande réactivité, grâce à un reporting quasiment en temps réel, avec, en prime, des mécanismes d'évaluations individuelles. Le tout est instrumenté par de multiples indicateurs (temps de traitement d'un dossier, taux d'erreurs...). Cela contribue à impacter les conditions de travail dans un contexte d'approfondissement de la logique productiviste taylorienne, fondée sur une parcellisation/intensification/ précarisation revisitée. C'est dans les secteurs des services que des maladies professionnelles liées à des traumatismes psychiques se développent de façon privilégiée.
E & C : Vous pointez des contradictions entretenues par la «@entreprise» qui participent à ces tensions.
A. d. I. : Alors que les processus de travail sont collectifs, les indicateurs d'évaluation sont encore largement individuels et se durcissent. Il y a un effet pervers, dans la mesure où des collaborateurs peuvent très bien augmenter leur productivité individuelle tout en dégradant le résultat collectif. A un niveau individuel, la suspicion est à l'honneur et l'entreprise y perd globalement. Mettre en avant l'autonomie, alors que le cadre de travail tend, au contraire, à se rigidifier et à se standardiser, m'apparaît comme une deuxième contradiction, sauf s'il y a mise en place d'une ingénierie gestionnaire sophistiquée.
Enfin, il est de plus en plus demandé aux collaborateurs de partager la responsabilité de ces ensembles instables et interdépendants que sont les «
E & C : Les indicateurs qui existent pour donner du sens et des repères sont-ils donc biaisés ?
A. d. I. : La «
E & C : Que pensez-vous de la montée en puissance des maladies professionnelles liées à des traumatismes psychiques ?
A. d. I. : Les collaborateurs sont mal armés pour affronter cette complexité. L'augmentation du nombre d'arrêts maladie, dont les médecins peinent, d'ailleurs, de plus en plus, à diagnostiquer les causes, témoigne bien du fait que ces salariés n'ont plus confiance dans des règles du jeu, qui ne sont pas claires. La traçabilité des activités individuelles dans la «
Une théorie du capitalisme est-elle possible ?, Robert Boyer, éd. Odile Jacob, 2004.
Le sens du progrès, une approche historique et philosophique, Pierre-André Taguieff, Flammarion, 2004.
L'aristocratie médiévale, Ve-XVe siècle, Jacques Morsel, Armand Colin, 2004.
Docteur en sciences économiques, Alain d'Iribarne est directeur de recherche au CNRS et travaille sur les usages d'Internet dans les PME et les grands groupes au Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (Lest), à Aix-en-Provence.
Il a été, de 1990 à 1994, directeur du département scientifique des sciences de l'homme et de la société au CNRS. Auparavant, il était directeur du Programme interdisciplinaire de recherche sur les technologies, le travail, l'emploi et les modes de vie (Pirttem) au CNRS.