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LA PREVENTION A PETITS PAS

SANS | publié le : 07.09.2004 |

Suspectés de provoquer le décès de 6 000 personnes chaque année, les cancers d'origine professionnelle semblent, enfin, être devenus une priorité de santé publique. En attendant les résultats des négociations "santé au travail" et la finalisation du plan "cancer" de la Cnamts, sur le terrain, les mesures de prévention, découlant notamment du décret de février 2001, tardent à se déployer.

Six cent millions d'euros ! Tel devrait être, selon le Fiva (Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante), le montant qui sera versé en 2005 (470 millions d'euros prévus cette année) aux victimes de la fibre et à leurs ayants droit. Responsable de la majorité des cancers de la plèvre (mésothéliomes) et du poumon, l'amiante - substance proscrite depuis 1997 - continue son lent travail de destruction. Selon les estimations de l'Institut national de veille sanitaire (INVS), plus de 2 000 cas de cancer du poumon sont attribuables, chaque année, à une exposition professionnelle à l'amiante. « En 2002, rappelle Jean-Pierre Cazeneuve, directeur de la prévention à la Cnamts, sur les 625 cas de cancers professionnels indemnisés, 54 % étaient dus à des pathologies broncho-pulmonaires et 22 % à des mésothéliomes. » Autrement dit, l'amiante est à l'origine d'environ trois quarts des réparations versées par la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) de l'assurance maladie.

Prise de conscience

La dramatique affaire de l'amiante - en mars dernier, le Conseil d'Etat a admis la responsabilité de l'Etat - a servi de détonateur et a permis une ébauche de prise de conscience sur la prévention des cancers professionnels. Du Plan national cancer, cher au président de la République, au Plan national santé-environnement du gouvernement Raffarin, et en attendant le plan spécifique "santé au travail" prévu pour la fin de l'année, les indices tendant à prouver que les pouvoirs publics passent à la vitesse supérieure sur ce dossier sont incontestables.

Phénomène de sous-déclaration

« Désormais, lorsqu'on parle de santé publique, on intègre le sujet de la santé au travail. C'est un fait nouveau », se félicite Ellen Imbernon, épidémiologiste et responsable du département santé au travail à l'INVS. Il faut dire, qu'en amont, les experts ont tiré à maintes reprises la sonnette d'alarme. Car le phénomène de sous-déclaration des cancers professionnels cache, en fait, une réalité bien plus sombre.

Alors que près d'un salarié sur dix serait exposé à des risques biologiques dans le cadre de son activité professionnelle, 4 % à 8,5 % des cancers (7 000 à 20 000) sont aujourd'hui suspectés d'être d'origine professionnelle. Selon la Ligue contre le cancer, les cancers professionnels sont, au minimum, responsables de 4 % des décès par cancer (8 % chez l'homme et 1 % chez la femme).

En outre, parmi les 270 000 nouveaux cancers survenant chaque année, en France, (dont 130 000 chez l'homme), 7 000 à 10 000 sont dus à des cancérogènes présents sur le lieu de travail. Toujours selon la Ligue contre le cancer, environ 15 % des cancers du poumon, 10 % des cancers de la vessie, de la peau et des leucémies, et plus de 50 % des cancers du nez et des sinus de la face chez les hommes sont d'origine professionnelle.

Prévention

Si l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité) a fait de la prévention des cancers professionnels un enjeu majeur, cette dernière a également été, en avril dernier, élevée au rang de priorité nationale* à cinq ans par la Cnamts.

Plan d'action

« Avec les partenaires sociaux, il y a une réelle volonté de prendre ce problème à bras le corps, indique Jean-Pierre Cazeneuve. Nous avons créé un comité de pilotage qui doit remettre, avant la fin de l'année, ses directives qui alimenteront un plan d'action. Parmi les axes de travail déjà identifiés, il y a la valorisation de la substitution et l'identification des risques, avec la ferme intention de communiquer en direction des branches professionnelles. »

Président de la commission ATMP, Daniel Boguet (UPA) reconnaît, lui aussi, l'émergence d'une prise de conscience. Il se démène, notamment, pour que les petites entreprises ne passent pas à travers les gouttes des politiques de prévention. Dans cet objectif, il a pesé de tout son poids pour que sa fédération d'origine, celle de la coiffure, s'engage sur une charte nationale de prévention des maladies professionnelles.

Changement notable

« La question des cancers professionnels est sortie du bois dans les entreprises, reconnaît Brahim Mohammed-Brahim, médecin du travail à l'Association médecine et santé au travail à Toulouse. L'élément nouveau, c'est que l'on en discute. Autre changement notable : les facteurs génétiques et environnementaux ont tendance à reculer. C'est-à-dire que l'on accepte de plus en plus l'idée d'une origine professionnelle dans l'apparition de ces maladies. » Depuis un décret CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou toxiques pour la reproduction) de février 2001, tout employeur se doit de procéder à une évaluation des risques. Cette obligation, traduite dans le document unique, doit déboucher sur un recensement des matières dangereuses et sur des mesures de prévention idoines : substitution des cancérogènes par des produits peu ou moins nocifs, dispositifs de protection collective et individuelle, travail en système clos, sensibilisation de tous les acteurs concernés dans l'entreprise (médecin du travail, représentants du personnel, CHSCT...).

Application parcimonieuse

Seul problème : le texte de 2001 aurait du mal à pénétrer les esprits. « Il est appliqué avec parcimonie », confie un médecin du travail. « Notre crainte, c'est qu'il devienne une formalité administrative de plus et qu'il ne débouche sur rien de concret », ajoute Brahim Mohammed-Brahim. Du coup, les "préventeurs" se tournent vers les pouvoirs publics et demandent un renforcement des contrôles de l'inspection du travail.

Lorsqu'elles ont entamé cette démarche, les entreprises, en particulier les PME/PMI, doivent encore franchir d'autres obstacles. Privées de centres de R & D, prises en tenaille entre leurs clients et leurs fournisseurs, ces dernières éprouvent toutes les peines du monde à favoriser la substitution. Les dispositifs de protection collective sont, quant à eux, économiquement et techniquement très lourds pour de petites entités. « Quant aux protections individuelles, elles sont théoriquement plus faciles à mettre en oeuvre, mais allez demander à un salarié de porter un masque toute la journée ! », soulève Brahim Mohammed-Brahim. « Dans les entreprises, on ne connaît pas la nature du danger d'un nouveau produit. Il n'y a donc aucune précaution et aucune formation relative à sa manipulation », déplore, de son côté, André Hoguet, responsable à la CFTC des questions de santé au travail et vice-président de la commission ATMP.

L'immense difficulté de la prévention des cancers professionnels repose, en effet, sur les incertitudes scientifiques qui entourent les substances chimiques. Sur les 100 000 produits à usage courant, seuls quelques milliers ont été analysés et répertoriés. L'Union européenne définit, à ce titre, trois catégories de substances chimiques CMR, selon leur degré de dangerosité pour l'homme. La catégorie 3 concerne, par exemple, des substances préoccupantes, mais pour lesquelles les preuves sont insuffisantes. « Prenez les fibres céramiques, elles étaient présentées comme un produit de substitution à l'amiante. Pour, finalement, s'avérer cancérogènes des années plus tard », remarque Jean-Pierre Cazeneuve.

Evaluer les risques

Contraindre les industriels fabriquant des produits chimiques à évaluer les risques sanitaires et environnementaux avant leur commercialisation, c'est un des objectifs du programme européen Reach. Critiqué récemment par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, celui-ci a, aujourd'hui, du plomb dans l'aile.

Une des pistes évoquées par les experts pour affiner l'étiquetage des matières dangereuses serait de renforcer le suivi post professionnel des salariés, un domaine dans lequel la France est très en retard. Il permettrait, en outre, d'améliorer la reconnaissance de ces pathologies

Information insuffisante des salariés

Car les cancers professionnels se distinguent, également, par une sous-déclaration très importante. Laquelle résulte tout à la fois d'un manque de sensibilisation aux problèmes de santé au travail des médecins (généralistes et spécialistes), des délais de latence importants entre l'exposition et la déclaration de la maladie, et des démarches administratives rébarbatives à la seule initiative de la victime ou de ses ayants droit. Sans oublier une information insuffisante des salariés sur les propriétés des substances utilisées.

*Aux côtés du risque routier, des troubles musculo-squelettiques et de la formation à la prévention.

L'essentiel

1 Alors que l'amiante continue ses ravages, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de l'importance de prévenir les cancers professionnels. Une question élevée au rang de priorité à la Cnamts (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés).

2 Un décret de février 2001 oblige l'employeur à recenser les produits cancérogènes et à engager une politique de prévention. Ce texte serait loin d'être appliqué.

3 Les cancers professionnels se distinguent par leur sous-déclaration, alors que 4 % à 8,5 % de ces pathologies (7 000 à 20 000) sont, aujourd'hui, suspectées d'être d'origine professionnelle.

Partenariat Arc/Fnath sur les cancers professionnels

L'Arc (Association pour la recherche contre le cancer) a débloqué un budget de près de 1,5 million d'euros pour lutter contre les cancers professionnels et de l'environnement. Elle mène cette action en partenariat avec la Fnath (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés). « La majorité des agents cancérogènes connus sont essentiellement ou exclusivement utilisés en milieu professionnel », souligne l'Arc.

Les deux associations déplorent la méconnaissance des risques de la part des patients et des médecins traitants et l'insuffisance des mesures de prévention. Elles souhaitent, notamment, sensibiliser les salariés concernés dans le BTP, la chimie... « Nous les informerons du rôle que peuvent jouer les médecins du travail, les CHSCT, les délégués du personnel », indique Arnaud de Broca, de la Fnath. Le professeur Marcel Goldberg, de l'Inserm, a été chargé de coordonner le travail des équipes travaillant sur les cancers professionnels.

Celles-ci ont pu mettre au point une "matrice emplois/expositions" permettant d'associer rapidement un métier et une époque à un type d'exposition. Cet outil « exceptionnel », précise le Pr Goldberg, va permettre de dire qui a été exposé au risque cancer, avec quelle substance, dans quelle proportion et avec quelle nature de risque. Avec, à terme, la possibilité d'aider à fixer les valeurs limites d'exposition.

Chantiers de désamiantage : irrégularités à tous les étages

Le travail de contrôle des chantiers de désamiantage, entrepris en mars dernier par les inspecteurs du travail, les contrôleurs des Cram et les experts de l'INRS, n'aura pas été vain.

Sur les 72 chantiers visités en France, 52 comportaient de graves manquements aux règles de sécurité qui encadrent les activités de retrait d'amiante friable. Du coup, 46 chantiers ont fait l'objet de procédures et 3 ont été stoppés.

Absence de certification des entreprises, durée de travail excessive en zone confinée, analyse insuffisante du risque et des moyens d'intervention nécessaires sur le chantier, défaut d'avis du médecin du travail figurent parmi les irrégularités relevées par les enquêteurs. Lesquels promettent de ne pas en rester là.

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