logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

« Il faut remettre de la vie dans les entreprises »

SANS | publié le : 13.07.2004 |

Pour fonctionner durablement, une entreprise doit privilégier sa "part humaine", qui, seule, est capable d'inventivité et d'innovation. Remettre du vivant et de l'humain dans des sociétés organisées comme des machines est essentiel, même si l'investissement est important.

E & C : Pour durer, une entreprise doit-elle être humaine ?

Bernard Leblanc-Halmos : Il n'y a pas d'antinomie entre la vocation de l'entreprise à faire du profit et le fait qu'elle soit humaine. Il faut penser au mot anglais "relevant". Aujourd'hui, nous sommes constamment amenés à relever des défis et à préparer la relève des nouvelles générations. Cela dit, nous sommes à la croisée des chemins : l'un nous mène vers une entreprise robotisée, et l'autre vers une entreprise humaine. La robotisation, c'est mettre sous normalisation, sous conception ordonnancée, dans les rails, dans une espèce de routine technologique. Il y a beaucoup d'endroits où l'on gère les personnes comme on gère des stocks. L'entreprise est devenue azoïque, c'est-à-dire sans vie. C'est le risque zéro ! On a l'impression d'être dans un univers stérile, sans vie végétale, sans vie humaine. Cela n'est pas durable. Comment une entreprise peut-elle durer sans la part spécifiquement humaine d'inventivité, d'ingéniosité, d'audace et de dextérité ?On ne travaille bien que sur des marges : marges d'initiative, d'erreur ou marges de liberté. Comment des commerciaux peuvent-ils travailler sur des marges lorsque leur directeur ne quitte plus son écran et envoie ses ordres par mail ? Comment peut-on travailler avec un appareil binaire ? A terme, forcément, cela devient inefficace. Seule l'entreprise humaine est durable, mais il faut consacrer un peu de temps, de l'attention et quelques richesses au "matériel humain", car la part humaine, c'est le coeur de l'entreprise.

E & C : N'est-ce pas antinomique avec les impératifs de maîtrise de temps et de coût des entreprises ?

B. L.-H. : Il faut accepter de perdre un peu de temps afin d'en gagner. Ne plus se voir, se toucher, se rencontrer fait perdre du temps. Pour tous les primates de la planète, le laps d'intégration de la nouveauté est de l'ordre de... trois secondes. C'est se serrer la main, hocher la tête, etc. Or, de plus en plus de responsables ne dépensent plus ces trois secondes, ne disent plus ni bonjour ni merci ni bravo. Ceux qui pensent n'avoir pas le temps de le faire se sont-ils demandé combien cela pourrait leur coûter en effet boomerang ? Un maximum !

Dans le monde du travail, beaucoup de gens sont en conduite forcée et n'arrivent plus à disposer d'un moment. Si on ne sait plus élargir le temps, l'approfondir, il risque de se réduire à une dimension linéaire. On devient accro à des systèmes en ligne de fuite, des labyrinthes, comme sur les jeux électroniques. Au Japon, cette maladie, que l'on nomme "le clan des emmurés", atteint des hommes de 30-35 ans qui ne fonctionnent que sur écran. Ils sont quasiment autistes et presque inaptes à la vie relationnelle. Animer une équipe, s'émerveiller, contempler... sont des notions qui n'existent plus pour eux. Même prendre une décision originale devient impossible, car ils ne peuvent se référer à un quelconque dossier système.

E & C : Lorsqu'une entreprise en arrive à ce point de rupture, que peut-on faire ?

B. L.-H. : Il est toujours possible de procéder à un réglage du cadran horaire avec des nouveaux accords de fond sur le temps. Par exemple, faire attention aux temps de début, qu'on a pris l'habitude d'éliminer, sous prétexte qu'il faut toujours aller droit au but. On peut gagner beaucoup de temps en étant très attentif à la qualité des démarrages. Lorsque l'on voit comment démarrent certaines réunions... C'est du gâchis ! Même chose pour les temps de fin. Quand une réunion s'interrompt pour x raisons, elle s'effiloche tant qu'on en occulte totalement le final.

En dehors de ces temps, il y a ceux de mise en valeur et de questionnement. Pour qu'une entreprise fonctionne bien sur la durée, il faut que quelqu'un - que j'appelle "l'optimisateur" - passe du temps à relever les valeurs. Un optimisateur pour dix personnes est nécessaire. Ils occupent, par ailleurs, leurs fonctions, mais ce sont eux qui animent, arrangent, facilitent. Il est essentiel de les détecter (c'est le rôle du DRH) et de les entraîner, car ils sont réellement très profitables pour l'entreprise.

E & C : Quand une entreprise n'arrive plus à atteindre ses objectifs, est-ce toujours un problème d'équipe ?

B. L.-H. : Quand j'interviens, je dis aux managers : ne changez pas votre équipe ni la tournure des événements, changez la tournure d'esprit ! On me rétorque souvent : « Oui, mais c'est un problème de personnes. » Je ne m'y attarde pas trop. Dans la liste "qui, quoi, comment", ce qui m'intéresse, c'est le quoi : ce qui est en train de changer. Si le "qui" est fixe, on n'avance plus. Je considère toujours les personnes dans ce qu'elles deviennent et non dans ce qu'elles sont. Il faut prendre les gens comme des acteurs d'évolution, de changement, approfondir le "quoi" et le révéler. Découvrir vers "quoi" l'on va et pour "quoi", car tout le monde carbure à deux choses : l'intérêt et le plaisir. Les deux sont indispensables. S'il y a une relance de la croissance à opérer, c'est bien celle de la croissance du contentement !

SES LECTURES

Le Tao de Poh, Benjamin Hoof, éd. P. Picquier, 2004.

- La vie devant soi, Romain Gary, Gallimard, 1982.

- Anna et Mister God, L. de Goustine, V. Sproxton, Fynn et W. Papas, Seuil, 1976.

PARCOURS

Musicien, sculpteur, dessinateur, écrivain, Bernard Leblanc-Halmos intervient, depuis trente ans, dans l'animation d'équipes auprès d'entreprises telles que Bouygues, EDF, Leroy-Merlin, Schlumberger, ainsi que dans de nombreuses PME.

Il est également formateur de coachs. Il a publié de nombreux ouvrages mêlant sagesse et humour : Les apprentis sages, Où trouver le temps, L'élan créateur, N'écartez pas l'hypothèse que vous êtes génial (éditions L'Etre Image), Comment prendre le pouvoir (éditions Albin-Michel).