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« Notre système de négociation collective est archaïque »

SANS | publié le : 22.06.2004 |

Les projets de "simplification" du Code du travail et la réforme du dialogue social ne vont pas permettre de sortir le système de négociation collective de son "archaïsme", mais les accords de méthode peuvent constituer un bon outil.

E & C : Que vous inspire le projet de simplification du Code du travail, sujet sur lequel vous avez été auditionné par le Conseil économique et social ?

Tiennot Grumbach : J'ai été très déçu par la publication du rapport du CES. Il reflète une sorte de pensée unique sur la nécessité de simplifier le Code sans mettre en évidence qui serait bénéficiaire de cette simplification. On parle de complexité, mais, majoritairement et grâce à leur culture orale, les travailleurs connaissent ce qui les concerne. Notamment, les garanties fondamentales de la procédure entourant le licenciement : entretien préalable, énonciation du motif, audition éventuelle en commission paritaire de discipline... En vérité, certains employeurs jugent compliqué tout ce qui les empêche de décider seuls. Ils visent le "laisser-faire" contractuel. Exemple : la proposition du Medef d'un licenciement de gré à gré, déjà mentionnée dans le rapport remis par la commission de Michel de Virville. L'objectif ne consiste pas en une simplification du droit du travail mais en une suppression des droits acquis au fil des décennies.

E & C : Craignez-vous qu'un tel projet vise à contourner les obligations des employeurs en cas de licenciements économiques collectifs ?

T. G. : Les travailleurs ont très peu de droits en matière de licenciement économique, sauf ceux liés au respect des procédures préalables à la notification. La Cour de cassation estime qu'elle ne doit pas porter d'appréciation sur la cause économique elle-même. Celle-ci serait du ressort exclusif de l'employeur. C'est une position intenable à long terme, en raison du droit européen qui fait prévaloir le principe de proportionnalité entre la cause et ses effets. Les Hauts magistrats ne pourront résister longtemps à une séparation inefficace entre la procédure et la forme. La combinaison de la mondialisation et de la structuration des groupes transnationaux permet, en effet, une présentation artificielle des comptes. Viendra le temps, je l'espère, où la Haute juridiction - en application des principes de proportionnalité et de loyauté des contrats - prononcera l'annulation des licenciements d'économie sans cause réelle et sérieuse, qui privent des dizaines de milliers de salariés de leur droit constitutionnel au travail.

La Cour de justice des communautés européennes et la Cour de Strasbourg ont des positions beaucoup plus nuancées. D'ailleurs, les juges de premier degré et d'appel suspendent fréquemment des procédures de consultation pour donner le temps de négocier et de chercher des solutions permettant de protéger l'emploi.

E & C : Dans cette perspective, quel avenir voyez-vous aux accords de méthode ?

T. G. : Cela peut constituer un très bon outil. Si, dès le départ, l'employeur donne des garanties d'emploi aux salariés menacés par une restructuration, il n'y a aucune raison que les syndicalistes s'engagent dans des procédures judiciaires. Les représentants des salariés peuvent surseoir à tout recours à la justice en convenant avec la direction d'un accord de méthode portant sur le champ, les thèmes, la durée et la transparence de la négociation.

Leurs intérêts divergent, mais les parties peuvent aboutir à un constat d'accord total ou partiel et le soumettre aux salariés ou à leurs représentants élus. Dans un grand groupe qui devait licencier sur trois sites, nous avons, en deux semaines, élaboré des solutions constructives à travers le regroupement de deux sites et une promesse d'investissement sur le troisième. Dans une autre entreprise en redressement judiciaire, une négociation sur trois jours - sans la totalité des consultations du CE - a permis d'éviter le dépôt de bilan. Il faut savoir utiliser les marges de manoeuvre.

E & C : Les nouveautés législatives, notamment la loi sur le dialogue social, favorisent-elles cette démarche ?

T. G. : Le système de négociation collective en France est archaïque. Il faudrait passer du droit d'opposition au droit d'engagement. La CGT, la CFDT et l'Unsa estiment que pour rendre un accord applicable, il faut que les signataires aient la légitimité que représente la majorité des votants aux élections de CE ou de DP. Mais la CFTC, FO et la CFE-CGC craignent de perdre la représentativité que leur confère la loi. La loi Fillon 1 apportait des avancées considérables en permettant les accords de méthode signés par des syndicats majoritaires. Mais le principe en a été abandonné sous la pression du Medef. Et la loi Fillon 4 opte pour une majorité en nombre de syndicats, remettant ainsi en cause la majorité d'engagement en laissant le champ libre à la majorité d'opposition. Des difficultés sont à craindre pour la négociation collective. D'autant plus qu'avec l'élimination du principe de faveur, des employeurs vont chercher des accords dérogatoires aux conventions de branche. Les principes juridiques sont inversés, puisqu'ils consacrent désormais la prééminence de l'accord d'entreprise ou de groupe. Bref, la dérogation au principe de faveur devient la règle. Le monde marche sur la tête.

SES LECTURES

Les grands arrêts du Code du travail.

- L'entreprise et les libertés du salarié, Philippe Waquet, éditions Liaisons, 2003.

- Les abeilles et la guêpe, François Maspero, Seuil, 2002.

PARCOURS

Diplômé de sciences économiques, Tiennot Grumbach, après un troisième cycle en droit et le diplôme d'avocat, enfile la robe en 1972, d'abord pour des affaires pénales puis de droit du travail, tout en militant au sein du Syndicat des avocats de France.

Successivement maître de conférences à Paris-1 et directeur de l'Institut des sciences sociales du travail de Sceaux, il a écrit La défense prud'homale et de nombreux articles dans Droit social et Droit ouvrier.