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Les entreprises ne pourront pas se passer des seniors

SANS | Aller plus loin avec | publié le : 15.06.2004 |

Les pénuries de compétences à venir vont bouleverser le marché du travail. Les seniors auront la possibilité de conserver une activité, éventuellement aménagée, après 60 ans. D'ici à cinq ans, les entreprises n'auront d'autre choix que de revoir leurs pratiques dans ce domaine.

E & C : La réforme des retraites repose, en grande partie, sur une hypothèse de quasi plein emploi dans quelques années, avec une forte hausse du taux d'activité des plus de 55 ans. Que pensez-vous de ce scénario ?

Robert Rochefort : Les pénuries de main-d'oeuvre seront très structurantes pour le marché de l'emploi. La situation est simple : nous allons assister à un phénomène de départs en retraite massifs qui auront des effets différents selon les secteurs. Dans certains d'entre eux, déjà en pénurie de main-d'oeuvre - santé, éducation, hôtellerie -, et avec les effets des accords sur les carrières longues, la situation sera préoccupante à brève échéance, avec même des risques de disparition de certains métiers. Les entreprises vont devoir se dire qu'il est urgent de conserver les seniors. Elles prendront alors des dispositions dans le domaine du management, de la formation, de la modularité des horaires de travail, pour que les seniors aient leur place. Au-delà de 60 ans, et peut-être jusqu'à 70 ans, à terme, étant donné l'évolution de l'espérance de vie, le maintien en activité peut prendre différentes formes, avec des temps réduits, des cumuls emploi-retraite, du tutorat, des retraites progressives... permettant d'acquérir des droits supplémentaires.

E & C : Certains experts imaginent pourtant un scénario un peu plus sombre, considérant que les seniors n'auront pas toujours la possibilité de rester dans leur entreprise...

R. R. : Il n'y a pas beaucoup de solutions. Certes, on peut penser gérer ces pénuries de main-d'oeuvre par de nouveaux gains de productivité. Mais la France est déjà allée très loin dans ce domaine. On peut aussi délocaliser, y compris des services. On peut, enfin, s'installer dans des équilibres de sous-emploi : se plonger en récession par insuffisance de main-d'oeuvre. C'est là un scénario noir. Mais je suis plus optimiste. La prise de conscience aura lieu à moyen terme, sur les cinq à dix prochaines années.

D'ici à 2010, la proportion des plus de 55 ans va augmenter de 40 % sur le marché du travail et le coeur de la population active va se concentrer autour des 40-50 ans. Le scénario d'un maintien dans l'emploi des seniors se réalisera : à moitié, selon certains ; davantage, à mon avis. Les entreprises sont, avant tout, pragmatiques. En France, elles ont utilisé les dispositifs de retrait anticipé du marché du travail qui leur étaient proposés, comme les préretraites. Mais si la poursuite d'activité des seniors s'avère utile pour elles, elles sauront l'organiser. Les multinationales pourront aussi pousser leurs filiales françaises à le faire.

E & C : Quels effets cette évolution démographique aura-t-elle sur les pratiques de recrutement ?

R. R. : La situation à venir se caractérise non seulement par les départs massifs d'une génération, mais aussi par l'arrivée sur le marché du travail, dans les quelques années à venir, de classes d'âge peu importantes en nombre. Ainsi, pour les bacheliers de 2004, nés en 1985-1986, on était sur des étiages de natalité très bas. Le croisement des deux courbes explique le risque de pénurie de compétences. On pourrait assister à des pratiques prédatrices des entreprises pour les jeunes ayant une bonne formation, avec, notamment, des embauches avant même la fin de leur cursus. Pour l'instant, il existe une «zone tampon» entre la fin des études et le premier emploi stable. Elle va se résorber, avec un délai raccourci entre l'obtention du diplôme et le CDI. Mais, dans trois ou quatre ans, les jeunes arrivant sur le marché de l'emploi seront moins nombreux, alors que les départs en retraite se multiplieront. La compétition entre employeurs risque d'être acharnée et même de prendre une dimension européenne.

E & C : Les entreprises semblent peu pressées de prendre en compte ces évolutions. Comment l'expliquez-vous ?

R. R. : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Certes, il existe des blocages, d'abord parce que les entreprises n'ont jamais autant fonctionné dans une perspective de court terme. Mais nous arrivons à un point de rupture, qui créera l'urgence. Les DRH que je rencontre sont déjà largement sensibilisés, même s'ils se sentent souvent isolés ou incompris de leurs directions générale, marketing ou financière. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le rôle de tout le secteur du travail temporaire. Déjà, sur certaines missions, les sociétés d'intérim ne peuvent parfois proposer qu'un senior à leurs clients, et elles s'attachent à faire valoir tous ses avantages. Par la suite, il faudra que les entreprises et les DRH sachent mixer les générations dans l'organisation du travail. Aujourd'hui, avec les entrées tardives et les départs anticipés, la différence d'âge maximale dans l'entreprise est de 33 ans environ. Elle passera bientôt à 40 ans, voire 45 ans, à terme.

The good shopping guide 2004, éd. The ethical marketing group < www.thegoodshoppingguide.co.uk >.

Largo Winch. Le prix de l'argent, Francq et Van Hamme, éditions Dupuis.

Journal (1887-1910), Jules Renard, éditions Robert Laffont.

parcours

Directeur du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc), Robert Rochefort est aussi vice-président des Semaines sociales de France, depuis 2001, administrateur de Cetelem et, depuis cette année, d'Eurotunnel.

Sociologue et économiste, il est, à 48 ans, l'un des meilleurs spécialistes des conditions de vie en France. Il a publié, notamment, La société des consommateurs (1995), Le consommateur entrepreneur (1997). Plusieurs de ses ouvrages concernent les seniors : Vive le papy-boom (2000) et La retraite à 70 ans ? (2004).