logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

La rénovation managériale est sur les rails

SANS | Point fort | publié le : 15.06.2004 |

Laboratoire d'essai pour les entreprises publiques ? Depuis quelques temps, la SNCF est le théâtre d'une révolution. Rémunération au mérite, formation au management, responsabilisation des agents... Louis Gallois, le président de l'entreprise, insuffle une culture entrepreneuriale qui n'a pas que des adeptes.

La SNCF entame sa mutation. Elle a posé les jalons de sa rénovation managériale, insufflant une vision plus moderne de l'entreprise. L'objectif ? Se préparer à la concurrence européenne en modifiant profondément la vieille organisation. « Nous voulons faire de la SNCF une entreprise ouverte sur l'Europe, tournée vers ses clients et attentive à la qualité de ses services », explique Monique Fournier-Laurent, directrice des cadres et de l'Institut du management à la SNCF.

Déjà, le fret ferroviaire a entrouvert ses frontières en 2003. La prochaine étape est fixée à 2006 pour la libéralisation des trafics internationaux, et à 2007 pour les trafics domestiques. Avant d'entamer le troisième «paquet ferroviaire», actuellement en cours de discussion, et qui portera sur l'ouverture à la concurrence du trafic voyageurs. Ni «machine infernale» ni «incinérateur de subventions», elle cherche, aussi, à être plus attractive pour séduire des profils atypiques. D'ici à 2010, 70 % des cadres, 50 % des agents de maîtrise et 40 % des agents d'exécution partiront à la retraite.

Pari impossible ? « Un mouvement d'ensemble est engagé, a déclaré Louis Gallois, président de l'entreprise, devant un parterre de 600 responsables des ressources humaines réunis à la Cité des congrès de Nantes, dans le cadre des rencontres annuelles de la fonction, le 5 mai dernier. Il y aura, bien sûr, des blocages, des difficultés. Cela fait partie de la vie. Mais le mouvement d'ensemble est de plus en plus visible. Alors, allons-y, allons plus vite et comptez sur moi pour donner le tempo. Ayez du culot ! »

L'entreprise part avec un avantage certain. Un sondage, réalisé en 2002, auprès de 180 000 cheminots, indiquait, en effet, que 58 % d'entre eux étaient favorables à une rémunération au mérite et que 74 % demandaient la mise en place d'un système d'intéressement. Un heureux hasard qui pousse à accélérer les changements. Mais comment faire table rase d'une culture «fonction publique» ? « Nous devons passer d'une logique de moyens à une logique de résultats, en donnant plus d'initiatives et de responsabilités aux agents », assure Monique Fournier-Laurent.

Gratification individuelle de résultat

C'est vrai que l'entreprise revient de loin. L'une des premières initiatives a concerné l'entretien individuel d'évaluation. Entré en vigueur en 1988, pour une poignée de cadres, il vient d'être généralisé à l'ensemble de l'encadrement. Parallèlement, l'entreprise a instauré une gratification individuelle de résultat (GIR) pour récompenser ceux qu'elle juge plus méritants. Distribuée sous forme de prime, cette gratification varie entre 0 % et 40 % d'un mois de salaire. Les 1 500 cadres dirigeants ont, eux, une rémunération variable. Cette part représente, désormais, 20 % de la rémunération totale, contre 10 % l'an passé.

La direction souhaite également développer de nouvelles marges financières. C'est pourquoi elle teste de nouvelles formules d'intéressement à l'échelon des établissements en fonction de leurs résultats économiques. Une trentaine se sont, actuellement, lancés dans l'expérience, sur 280 établissements.

Arrivée de cadres de proximité

Autre démarche : la SNCF a désigné une nouvelle strate hiérarchique, les cadres de proximité, issus, pour la plupart, du terrain. Leur mission consiste à encadrer, dans chaque établissement, une équipe d'environ 30 agents d'exécution et, surtout, à nouer le dialogue avec la base. Car le dialogue social comporte « des lacunes », dixit Louis Gallois, qui a présenté la SNCF comme un triangle dont les trois angles sont la hiérarchie, les organisations syndicales et les agents. « Le dialogue entre la hiérarchie et les organisations syndicales, entre les organisations syndicales et les agents d'exécution est très important et très nourri, a-t-il expliqué, à Nantes. Le maillon faible, c'est l'échange entre la hiérarchie et les agents. Il faut que les trois côtés du triangle soient de la même consistance. » Concrètement, l'encadrement de proximité doit davantage prêter attention aux agents. Une façon de ne pas laisser le champ libre aux syndicats.

Du coup, l'accompagnement des cadres de proximité est devenu l'un des axes majeurs. Un module de formation, Profession manager, conçu avec l'Essec Management, aide les dirigeants de proximité à remplir leurs fonctions. Il décrypte les situations de travail dans lesquelles ils se trouvent en difficulté (dégradation du climat social, réglementation...) en analysant les cas pratiques. A l'autre extrémité de la hiérarchie, la SNCF tente d'identifier des jeunes à haut potentiel, baptisés, ici, «forts potentiels». Agés de 30 à 35 ans et destinés à devenir cadres dirigeants, ils suivent un programme spécifique d'accélération de carrière.

Inquiétude de nombreux syndicats

Ces nouvelles règles du jeu ne font pas que des adeptes. La plupart des syndicats voient avec inquiétude ces bouleversements et craignent que cette rénovation managériale ne soit qu'un premier pas vers la privatisation de l'entreprise. Pour Christian Mahieux, secrétaire fédéral de Sud-Rail, cette nouvelle donne pose deux problèmes : le développement d'une logique de l'individualité qui est en totale contradiction avec l'esprit d'une entreprise de service public, et la disparition, peu à peu, du statut de cheminot. Il critique, également, la mise en place des managers de proximité, qui peinent, sur le terrain, à faire reconnaître leur légitimité en raison de leurs faibles connaissances techniques.

Patrice Gandrieau, secrétaire général de la CFDT, s'inquiète, lui, de la montée du stress chez certains agents. Un phénomène nouveau, à ses yeux. De son côté, Michel Patard, secrétaire général adjoint de l'Union fédérale des cadres et agents de maîtrise CGT-cheminots, met en avant le malaise des cadres chargés de transmettre un message auquel ils n'adhèrent pas. « Une coupure existe entre la direction et l'encadrement. Ce malaise s'est, d'ailleurs, traduit par une forte adhésion à la CGT, aux dernières élections professionnelles, relève-t-il. La confédération syndicale devenant le deuxième syndicat de cadres, avec 25 % des voix. »

Trop tardive ou trop timide pour certains, la rénovation managériale ne se fera pas sans anicroche. Sans vouloir imposer ses méthodes à la hussarde, Louis Gallois compte sur ses équipes pour faire bouger le terrain et réduire le décalage entre le discours managérial et la réalité du travail au quotidien. Le premier cheminot reste, il est vrai, philosophe : « Après huit ans à la tête de la SNCF, on est vacciné contre l'optimisme. »

Cherche cadres expérimentés

Afin de favoriser en douceur la modernisation de l'entreprise et contourner la lourdeur du statut (à partir de 30 ans, les recrues ne peuvent plus en bénéficier), l'entreprise a fait le choix de recruter des contractuels : ils représentent 10 % des embauches de cadres chaque année (31 sur 421 en 2002, 17 sur 215 en 2003). Les trois quarts des recrutements se font après une première expérience professionnelle. Quelques cadres de haut vol ont, ainsi, franchi le Rubicon. C'est le cas, par exemple, de Bernard Emsellem, ex-président de BDDP-TBWA, aujourd'hui directeur de la communication de la SNCF, ou encore de Dominique Vastel, nommé directeur adjoint de la traction, après avoir occupé un poste de consultant au sein du cabinet Sociovision Cofremca. Ils apportent leur expérience et, surtout, leurs pratiques managériales. Le taux des démissions reste très faible, autour de 4 %.

Le syndicat des initiatives

Echanger sur les contraintes, partager les idées ou déverrouiller les blocages... C'est l'objectif que s'est fixé le Syndicat des initiatives de la SNCF, un réseau de réflexion transversal regroupant 170 membres, directeurs d'établissement, cadres dirigeants, hauts potentiels, sans lien hiérarchique. « On travaille sur des cas très concrets, indique Monique Fournier-Laurent, à l'origine du syndicat, créé en 2003. L'objectif est de favoriser la prise d'initiative, le droit à la responsabilisation et la promotion des idées de proximité. »

L'essentiel

1 Avec l'ouverture à la concurrence européenne et les départs à la retraite, la SNCF cherche à moderniser son organisation.

2 Elle a mis en place une nouvelle strate hiérarchique, les cadres de proximité. Leur mission consiste à faire bouger le terrain et à nouer le dialogue avec les agents d'exécution.

3 Les syndicats restent perplexes. Ils dénoncent un premier pas vers la privatisation de l'entreprise, le développement d'une logique de l'individualité et la montée du stress chez les cheminots. La CGT souligne le malaise de l'encadrement chargé de mettre en pratique un discours auquel il n'adhère pas.