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L'industrie du disque ébauche un dialogue social

SANS | publié le : 08.06.2004 |

Prenant l'alibi du téléchargement illicite de musique sur Internet comme la cause exclusive de leurs difficultés actuelles, les majors multiplient les plans sociaux. Du coup, le front syndical s'organise. Autre grande première dans ce secteur : organisations professionnelles et syndicales découvrent le dialogue social.

Infléchir la gestion par le dégraissage des industriels de la musique. C'est avec ce mot d'ordre que les salariés des labels se sont donné rendez-vous, le 2 juin dernier, entre 12 heures et 15 heures (sic), pour un pique-nique place du Palais-Royal, à Paris. Que l'on ne s'y trompe pas : ce débrayage, un tantinet champêtre, à l'appel des fédérations CFDT et FO, ainsi que des sections syndicales CFDT, CFTC, CGC, CGT et FO des majors et des indépendants, est une première du genre. Fortement atomisé et faiblement syndicalisé, ce petit secteur, qui rassemble à peine 5 000 salariés, vivait, jusqu'alors, dans une bulle dorée, que la multiplication des plans sociaux et des ruptures de contrats d'artistes a fait éclater.

Chute des chiffres d'affaires

Il faut dire que l'activité du disque en France traverse une crise sans précédent. D'après le Syndicat national de l'édition phonographique (Snep), l'organisation patronale qui représente les majors, le chiffre d'affaires de l'industrie musicale a chuté de 21 % au premier trimestre 2004 par rapport à la même période de 2003. En volume, les ventes de singles accusent une baisse de 26 %, tandis que celles des albums plongent de 21 %. De piètres résultats que n'a pas compensés l'explosion des DVD musicaux. « Pour les artistes, le tarif, c'est entre 20 % et 40 % de ventes en moins », martèle Hervé Rosny, directeur du Snep. Conséquence : les marges des maisons de disques s'effondrent.

Chez les indépendants, le bilan n'est pas plus reluisant. « La grande majorité des indépendants sont des TPE réalisant moins de 150 000 euros de chiffre d'affaires annuel. Certaines d'entre elles subissent de plein fouet le retour des invendus. Elles ne sont pas référencées dans la grande distribution, qui truste le gros des ventes », explique Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI).

L'an dernier, Inca Production et Poplane ont mis la clé sous la porte. Trema, le label qui abritait Michel Sardou, a été cédé à Universal. Bilan : 20 personnes licenciées. La situation est toutefois plus contrastée qu'il n'y paraît. Ainsi, certains indépendants, comme Naïve ou Pias, tirent leur épingle du jeu en affichant des taux de croissance de l'ordre de 30 %.

Stratégie de rentabilité à court terme

« Pour faire face à cette situation, reprend Hervé Rosny, les entreprises ont pris des mesures d'économie globale, car, dans le même temps, les coûts fixes n'ont pas diminué. Le nombre de contrats d'artistes a été divisé par deux et, malheureusement, des plans sociaux sont en cours. » Pour le Snep, en tout cas, l'ennemi est clairement identifié : l'internaute qui télécharge illicitement de la musique. Une vision qui est loin de convaincre toute la profession. Ainsi, pour l'UPFI, les majors sont plutôt en train de payer le prix de leurs propres errements. « Elles privilégient une stratégie de rentabilité à court terme, ce qui les pousse à favoriser la rotation d'artistes au détriment d'un développement des carrières d'auteurs. En outre, elles n'ont pas anticipé l'arrivée d'Internet. A cela s'ajoute une inflation sur les coûts de marketing qui représentent 20 % du chiffre d'affaires des majors. La riposte à la piraterie repose, avant tout, sur le développement des offres de téléchargement payant », analyse Jérôme Roger.

Manque d'anticipation technologique

Bien qu'émanant de la seconde organisation professionnelle du secteur, ce constat est largement partagé par les syndicats de salariés. Lesquels reprochent aux employeurs de ne pas avoir suffisamment anticipé le virage technologique et ses conséquences sur l'évolution des métiers. « Pendant de longues années, ce secteur a vécu comme dans un rêve. Aujourd'hui, c'est vrai, des métiers ont évolué. Sans doute faudra-t-il, par exemple, former les commerciaux, premières victimes des plans sociaux, aux techniques du marketing en ligne », concède Hervé Rosny.

Baisse de la qualité de l'offre

Les organisations syndicales critiquent également une politique de promotion dispendieuse, des ponts d'or accordés aux seules valeurs sûres de la variété, une trop grande dépendance vis-à-vis de la grande distribution (ce qui a, au passage, contribué à laminer les petits disquaires) et des médias audiovisuels, ainsi que des choix artistiques douteux. « Certes, le piratage a un impact négatif sur les ventes, mais le plus grave, c'est la baisse de la qualité de l'offre. Chez Warner, dix artistes seulement génèrent 80 % du chiffre d'affaires. Est-ce bien normal ? », s'interroge Jean-Luc Lefèvre, délégué syndical CFDT.

Autre motif d'inquiétude : la fusion entre BMG et Sony, en cours d'examen à Bruxelles. « Si ce rapprochement aboutit, nous redoutons une véritable casse sociale », avertit Martine Zuber, responsable de la Fédération communication et culture de la CFDT. Ce mariage, que dénonce également l'UPFI, pourrait, par ricochet, inciter d'autres groupes (EMI et Warner ont la faveur des pronostics) à fusionner.

Mise en place des plans sociaux

Les majors (1) n'ont, en tout cas, pas attendu les retombées de leur campagne choc contre le téléchargement illégal, lancée début mai, pour ouvrir le bal des plans sociaux. Chez Warner (180 salariés), le PSE en cours prévoit la suppression de 56 postes. Chez Vivendi Universal, 22 postes de commercial ont été supprimés. Quant à EMI Virgin, ce sont 70 emplois, soit 20 % de l'effectif, qui sont actuellement menacés (lire encadré ci-dessous). Dans cette entreprise, filiale du groupe britannique EMI, les salariés s'apprêtent à vivre leur troisième plan social, après ceux de 2000 (30 suppressions d'emploi) et de 2002 (60 personnes).

« La coupe est pleine, peste Jacques Lefrançois, délégué syndical CFDT d'EMI Virgin. Le plus incroyable, relate-t-il, c'est qu'en 2002, le plan social a été décidé par solidarité avec le groupe qui était, alors, mal en point, tandis que la France se portait bien. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit, mais pas question, dans ce sens, de compter sur l'aide internationale. Sur l'exercice 2003-2004, clos en mars, EMI a pourtant dégagé un résultat opérationnel de 450 millions d'euros. » Enfin, chez BMG, les effectifs sont passés de 275 en 1996 à 170 cette année. Présentées comme la seule variable d'ajustement à la mauvaise passe actuelle, les coupes claires dans les effectifs ne datent toutefois pas d'hier. Seules les méthodes diffèrent. Au fil du temps, les majors se sont, en effet, peu à peu délestées de certaines activités. Après les studios d'enregistrement, dans les années 1960-70, ce fut au tour des unités de fabrication de disques, dans les années 1980, puis, dernièrement, c'est la distribution qui a été externalisée. Ce mouvement a également touché quantité d'autres fonctions, telles que les services de graphisme, chargés d'élaborer les pochettes de disque.

Création d'une commission paritaire

Petite consolation pour les salariés, cette crise a provoqué la naissance d'un front syndical, auparavant inexistant. « Le processus de syndicalisation a commencé lors des négociations sur la réduction du temps de travail. Puis, le plan social, en 2002, chez EMI, a fait l'effet d'un détonateur », se souvient Martine Zuber.

C'est en janvier dernier, qu'à l'initiative de la CFDT, se réunissent, pour la première fois, des représentants de salariés de toute obédience syndicale. Dans la foulée, une demande de rendez-vous parvient aux sièges du Snep et de l'UPFI. Elle restera lettre morte. Sous la pression médiatique, les représentants patronaux acceptent le principe d'une table ronde, le 26 avril dernier. Une séance au cours de laquelle les deux camps s'entendent sur deux priorités, l'emploi et la formation, ainsi que sur la création d'une commission paritaire de dialogue social. Celle-ci se réunit rapidement, le 7 mai.

En première ligne sur ce conflit, la CFDT y souligne la nécessité d'harmoniser les conventions. Car, dans ce secteur, les salariés sont régis par la convention collective de la métallurgie ou par celle de l'édition musicale (les partitions). Mais la majorité d'entre eux ne relèvent d'aucun texte conventionnel. C'est le cas, notamment, des salariés de Sony. « Nous avons deux solutions devant nous, explique Hervé Rosny. Outre le statu quo, la première est de créer une convention collective de branche, mais le ministère des Affaires sociales n'y est pas favorable, étant donné la taille de notre secteur ; la seconde serait de rallier une convention collective proche de nos préoccupations, à l'intérieur de laquelle nous pourrions négocier une annexe qui préciserait les règles sociales de l'édition phonographique. »

Autre sujet en gestation chez les partenaires sociaux : trouver un cadre légal de discussion pour les sujets relatifs aux politiques d'emploi et de formation professionnelle. L'idée ? Elargir la CPNE de l'audiovisuel - que le Snep devrait prochainement rejoindre - à l'édition phonographique. « La réflexion sociale se poursuit, avance Hervé Rosny, mais ce n'est pas simple, car nous sommes des nains par rapport au cinéma ou à l'audiovisuel. »

Reste à savoir quel sera le niveau d'engagement de l'Etat dans ce dossier. Tout aussi problématique : la rivalité patente des deux organisations patronales pourrait influer le cours du progrès social engagé dans l'industrie du disque.

(1) Warner, Universal, EMI et Sony n'ont pas souhaité répondre à nos questions.

L'essentiel

1 Des plans sociaux qui se succèdent, des services externalisés, les majors du disque taillent dans les effectifs pour faire face à l'écroulement des ventes en France. La cause ? Le piratage sur Internet, affirment en choeur les majors.

2 Les syndicats, traditionnellement peu ancrés dans ce secteur, s'organisent. Pour la première fois, ils ont engagé des discussions avec les organisations patronales.

3 Au sein d'une commission paritaire de dialogue social, créée pour l'occasion, les deux parties ont inscrit deux priorités à leur feuille de route : la politique de l'emploi et les questions de formation professionnelle.

Les réductions d'emploi chez les majors du disque

Vivendi Universal : 22 suppressions d'emploi.

Warner : plan social prévoyant 56 suppressions de poste.

EMI-Virgin : plan social prévoyant 70 suppressions d'emploi, après 60 en 2002 et 30 en 2000.

BMG : pas de plan social, mais les effectifs sont passés, depuis 1996, de 275 à 170 en 2004.

Sony : pas de plan social en cours ; 20 postes de commercial supprimés en 2000.

Source : Fédération communication et culture CFDT

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