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La prospective est un aiguillon pour les RH

SANS | publié le : 08.06.2004 |

Au sein de l'entreprise, la fonction prospective conduit les services RH à mieux anticiper l'évolution des métiers. C'est, ainsi, le cas à la RATP, où la Mission prospective accompagne depuis vingt ans le passage d'une culture technique à une culture de services.

& C : Vous avez été, jusqu'en avril dernier, chargée de la mission prospective à la RATP. En quoi consiste une telle fonction et à quoi sert-elle ?

Edith Heurgon : A la RATP, la prospective est née au début des années 1980 et a accompagné l'évolution de la culture à dominante technique vers une culture du service et du territoire. C'était la fin d'une époque de modernisation technologique durant laquelle la RATP rencontrait beaucoup de contradictions, où intervenaient les problèmes de fraude, voire d'insécurité, que les ingénieurs ne parvenaient pas à bien comprendre. L'entreprise a alors fait un pari sur les sciences sociales dans toutes leurs dimensions (histoire, géographie, sociologie, psychologie, linguistique...) et a créé une mission prospective, à l'interface du monde de la recherche et du monde de l'entreprise. Sa valeur ajoutée spécifique est de formuler à la recherche les questions que se pose effectivement l'entreprise, d'animer le déroulement des recherches et de restituer leurs résultats en termes opérationnels et stratégiques, de façon à ce qu'ils soient audibles par la direction et par les agents. Sans ce travail d'interface, il n'y a pas d'intégration possible de la recherche dans l'entreprise. La prospective à la RATP s'est délibérément située dans le champ sociétal, avec une grande thèse : on ne peut pas penser les transports sans penser la ville.

E & C : Quel est l'impact de la prospective sur les RH ?

E. H. : La prospective travaille beaucoup sur les métiers et leur évolution en les référant aux missions urbaines de l'entreprise. Par exemple, dès 1981, la mission prospective a attiré l'attention sur le fait que les stations étaient aussi importantes que les lignes, et donc qu'il fallait valoriser les métiers des stations et des gares. D'une façon générale, la volonté est d'intégrer une dimension de service dans tous les métiers. Ainsi, sur la ligne 14 (Météor), les conducteurs sont devenus des "superviseurs d'équipes de services".

Pour résumer, je dirais que le lien de la prospective avec les RH à la RATP, c'est d'obliger les RH et le social à intégrer une réflexion sur la ville et les voyageurs dans toute leur démarche. Cela nous a conduits à organiser de nombreux groupes de travail voyageurs/agents, qui ont toujours été une réussite, aboutissant à la prise en compte, localement, des besoins des voyageurs. Nous avons, ainsi, développé une démarche dite de "prospective du présent" consistant à aller voir, sur le terrain, la multitude d'initiatives et d'innovations mises en place par les agents et les voyageurs. Alors qu'elles sont souvent considérées comme marginales, il suffit de changer de lunettes pour constater qu'elles préfigurent l'entreprise ou la ville de demain. La prospective, dans ce sens, cherche à réduire la distance entre le "monstre froid" qu'est l'organisation avec ses procédures et la vitalité des gens au quotidien, qu'ils soient voyageurs ou agents.

E & C : La fonction prospective existe-t-elle dans d'autres entreprises et a-t-elle tendance à se développer ? A quelles conditions contribue-t-elle au progrès de l'entreprise ?

E. H. : Elle a existé dans de grandes entreprises comme EDF, France Télécom, Elf, L'Oréal, la SNCF. Ce sont des prospectives que je qualifierais de "prospective du prince", c'est-à-dire de direction générale, pour essayer d'anticiper des évolutions de l'environnement et de bien positionner la stratégie de l'entreprise. Il y a des démarches qui se développent, en ce moment, avec d'autres titres : veille sociétale, intelligence économique.

Il faut qu'une équipe prospective ait une double légitimité : dans le monde de la recherche et dans le monde de l'entreprise. Elle doit avoir un terrain de recherche, mais également des dirigeants qui ont besoin d'alimenter leur propre réflexion. C'est aussi une démarche exigeante et de longue haleine, qui implique une pluralité de regards, ce qui est tout autre chose que le "gourou" qui sait et qui vient dire au directeur général ce qu'il faut faire.

A la RATP, la prospective, telle que nous essayons de la définir, n'est pas une prospective de solution, mais elle aide à définir, avec l'ensemble des partenaires, les bonnes questions. Quand on s'est mis d'accord sur les questions, il est beaucoup plus facile de les résoudre. D'ailleurs, le précédent président de la RATP, Jean-Paul Bailly, homme de dialogue, à l'origine de l'alarme sociale, considérait que la prospective était une démarche constitutive de l'enrichissement du dialogue social, un moyen de créer des lieux de débats un peu décalés par rapport aux instances de négociation, une façon d'alimenter l'intelligence collective des acteurs.

SES LECTURES

Pourrons-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Fayard, 1997.

- Agir dans un monde incertain - Essai sur la démocratie technique, M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthe, Seuil, 2001.

- Les trois cultures du développement humain, Jean-Baptiste de Foucauld, Odile Jacob, 2002.

PARCOURS

Titulaire d'un doctorat de mathématiques, Edith Heurgon a fait toute sa carrière à la RATP, où elle a occupé plusieurs postes, dont celui de responsable de formation, et, jusqu'en avril 2004, celui de chargée de la mission prospective.

Elle dirige, par ailleurs, le Centre culturel international de Cerisy et anime, avec Josée Landrieu, la collection Prospective du présent aux éditions de l'Aube.