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Intégrer la dimension du genre dans la santé au travail

SANS | publié le : 01.06.2004 |

Prendre en compte la dimension de genre dans les études de santé au travail permettrait la mise en place de véritables politiques de prévention des risques envers les femmes, d'améliorer les conditions de travail pour tous, et ce, afin de favoriser la mixité dans les métiers.

E. & C. : Vous publiez La santé des femmes au travail en Europe, des inégalités non reconnues*, dans lequel vous faites le constat que les hommes et les femmes ne travaillent pas dans les mêmes conditions. Quel est l'enjeu d'une étude de ce lien entre la santé au travail et l'égalité homme-femme ?

Laurent Vogel : Ce serait d'aborder, enfin, la dimension du genre dans la santé au travail. Il faut tenir compte de trois aspects principaux. On ne peut pas ignorer, bien sûr, que les femmes et les hommes présentent des différences, tout d'abord, d'un point de vue biologique. Cet aspect n'est certes pas le plus important, mais il ne doit pas pour autant être négligé. Je pense, en particulier, aux spécificités hormonales, physiologiques et, évidemment, celles liées à la maternité, cette dernière étant largement admise. Cela étant dit, il serait trop simple de réduire les différences à cette particularité, d'autant que les femmes ne passent pas leur vie à être enceintes !

Les deux autres différences, celles-ci primordiales, sont relatives à la distribution inégale, entre les hommes et les femmes, du travail rémunéré et du travail non rémunéré. Dans une vision collective et globale du travail, il faudrait prendre en compte la charge du travail domestique. Car la double charge de travail semble produire des effets différenciés sur la santé.

Les rapports sociaux sexués permettent de mieux comprendre l'articulation entre le discours général sur la santé des femmes et la division sexuelle du travail. Lorsque l'on aborde la question de la santé des femmes au travail, c'est bien de la mixité dont il est question. Une approche offensive des conditions de travail et, donc, de la santé au travail, permettrait d'amorcer une tentative de transformation de ces dernières, de manière à favoriser la mixité dans les métiers.

L'exemple le plus parlant en la matière concerne le secteur du bâtiment. Il est évident que les conditions de travail, telles qu'elles existent aujourd'hui, rendent l'accès à ces métiers très difficile aux femmes. On pourra toujours multiplier à l'infini les formations et les efforts de prévention. Mais ce sera vain tant que l'on ne transformera pas véritablement les conditions de travail.

E & C : Vous pensez, par ailleurs, qu'une sous-information sur les maladies professionnelles des femmes conduit à penser qu'elles ne sont pas exposées et, donc, sortent du champ de la prévention.

L. V. : En effet. Il est, ainsi, frappant de constater qu'en France, par exemple, les statistiques d'indemnisation des maladies professionnelles ne précisent pas le sexe des salariés concernés. Dans les autres pays européens, où il existe des données par genres, il ressort que les femmes se situent dans une fourchette qui va de 25 % à 40 % des maladies professionnelles reconnues. Pour le Royaume-Uni, ce taux est inférieur à 10 %.

Une première explication, faussement naïve, pourrait être que les salariées ont des conditions de travail qui les exposent à des risques de maladies professionnelles beaucoup moins importants. Une telle explication est contredite par l'ensemble des données collectées par les systèmes d'informations indépendants des organismes de compensation. Ainsi, dans les enquêtes européennes d'Eurostat sur la force de travail, qui sont fondées sur la perception des salariés, on constate que, dans la majorité des pays couverts, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à mentionner des problèmes de santé causés par leur travail.

On pourrait, ainsi, citer des maladies spécifiquement féminines comme le cancer du sein. Les études sur le rôle des facteurs professionnels dans les cancers du sein restent rares, alors que l'hypothèse d'une corrélation entre le travail de nuit et le cancer du sein a été soulevée en 1987.

Tant que l'on se fondera sur des chiffres faisant penser que les maladies d'origine professionnelle ne touchent pas les femmes, celles-ci n'entreront jamais dans les priorités de politique générale de prévention.

E & C : Comment mettre en place une approche sexuée des conditions de travail ?

L. V. : Tout dépend de ce que l'on entend par "approche sexuée". S'il s'agit d'une détermination différente des conditions de travail des hommes et des femmes, je reste très réservé. En revanche, je pense qu'il faut une approche sensible à la différence de genre, mais, évidemment, sans que cela débouche sur des stéréotypes.

L'exclusion des femmes d'un certain nombre de postes de travail à hauts risques continue à être un des éléments constitutifs de la division sexuelle du travail. Cette exclusion débouche rapidement sur une représentation erronée, selon laquelle les postes de travail féminins sont nécessairement à faibles risques.

En réalité, les risques peuvent être simplement différents et, notamment, différer leurs effets dans le temps. C'est la domination masculine qui trouve, dans cette différence, un principe de hiérarchie. Les risques féminins sont considérés comme moindres, non parce qu'ils ne porteraient pas atteinte à la santé ou parce qu'ils engendreraient une moindre souffrance. Simplement, ils portent atteinte à des aspects de la santé considérés comme moins importants.

Aujourd'hui, l'objectif est d'atteindre l'égalité dans l'exercice de métiers où les conditions de travail ne posent de problème ni aux hommes ni aux femmes. Cette approche nécessiterait la contribution des salariées elles-mêmes. L'exemple des équipements de travail et des procédés de production est une bonne illustration. Lorsque l'on enquête sur les troubles musculo-squelettiques, la plainte la plus fréquente relevée auprès des salariées a trait à la mauvaise adaptation de leurs équipements de travail, qui les obligent à adopter des postures contraintes, aggravant parfois fortement la charge globale de travail. Les concepteurs de ces équipements négligent l'aspect de confort ergonomique. Bilan : ces inadaptations demeurent un obstacle important à la mixité.

* Editions du BTS http://www.etuc.org/tutb

PARCOURS

Laurent Vogel est docteur en droit de l'université de Nantes. Il est l'auteur d'une thèse sur le droit communautaire de la santé au travail (1998).

Entre 1979 et 1984, il a travaillé en Amérique centrale, dans le cadre de la Commission des droits humains (non gouvernementale) du Salvador, puis a enseigné à Rome, entre 1984 et 1990.

Depuis 1990, il est chargé de recherche au bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité (une émanation de la Confédération européenne des syndicats), où il dirige l'Observatoire de l'application des directives en santé et sécurité.

SES LECTURES

Warda, Sonallah Ibrahim, édition Actes Sud, 2002.

- Critique de l'organisation du travail, Thomas Coutrot, éditions La Découverte, 2002.

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